ROYAUME-UNI. Des documents rendus publics montrent une nouvelle fois la nécessité de mener de toute urgence une enquête effective sur le rôle du Royaume-Uni dans les actes de torture et les mauvais traitements de détenus prisonniers à l’étranger

Index AI : EUR 45/011/2010 (Public)

ÉFAI - 15 juillet 2010

La divulgation, par la Haute Cour le 14 juillet 2010, de documents jusque là secrets attestant de la connaissance et de l’implication des autorités britanniques dans la détention de ressortissants et de résidents britanniques par des agences de renseignement des États-Unis et d’autres pays ajoute un nouvel élément de preuve de l’implication du Royaume-Uni dans la détention et le traitement de détenus dans des conditions bafouant ses obligations internationales en matière de droits humains.
Les documents rendus publics, dont la plupart ont été partiellement ou considérablement expurgés, donnent un aperçu du rôle joué par tout un ensemble de fonctionnaires britanniques, notamment des agents des services de sécurité du MI5, des services de contre-espionnage militaire du MI6, des agents ministériels, des fonctionnaires et des avocats du gouvernement et attirent une fois de plus l’attention sur la nécessité de mener une enquête indépendante, impartiale et efficace en vue d’établir la vérité sur les graves violations des droits humains relevées.

Les documents rendus publics – parmi lesquels des directives sur la ligne de conduite à tenir et des conseils de nature juridique aux services secrets, des rapports rédigés par des agents des services de renseignement dirigeant des interrogatoires sur le terrain et des notes de communication entre les ministères sur la politique générale et les cas individuels de ressortissants et de résidents britanniques détenus par des services de renseignement étrangers – ont été divulgués dans le Guardian du 15 juillet, après le dépôt auprès de tribunaux nationaux d’une demande d’indemnisation par six anciens détenus de Guantánamo Bay, tous ressortissants ou résidents britanniques (voir complément d’information).

Amnesty International a fait des recherches concernant les dossiers de ces six hommes et ceux de nombreux autres détenus au fil des ans et mené campagne en leur faveur ; l’organisation continue de réclamer l’ouverture d’une enquête sur les allégations crédibles d’implication du Royaume-Uni dans de graves atteintes aux droits humains, au vu des éléments de preuve de plus en plus nombreux et des faits déjà connus, à la fois pour ces dossiers et en matière de politique et de pratiques des autorités britanniques dans la lutte contre le terrorisme. (Voir notamment les documents suivants d’Amnesty International : United Kingdom : Rights deniedthe UK’s response to 11 September 2001, index AI : EUR 45/016/2002 (disponible en anglais seulement), United Kingdom : Justice perverted under the Anti-terrorism, Crime and Security Act 2001, index AI : EUR 45/029/2003 (disponible en anglais seulement), United Kingdom - Briefing for the Committee against Torture, index AI : EUR 45/029/2004 (disponible en anglais seulement), United Kingdom : Amnesty International’s submission of 14 October to the UK Parliament’s Joint Committee on Human Rights in connection with the Committee’s inquiry into the subject of “counterterrorism policy and human rights”, index AI : EUR 45/050/2005 (disponible en anglais seulement), Royaume-Uni. Droits humains : la promesse violée , index AI : EUR 45/004/2006, “Partenaires dans le crime” : le rôle de l’Europe dans les “restitutions” des États-Unis, index AI : EUR 01/008/2006 ; UK : Briefing to the Human Rights Committee, index AI : EUR 45/011/2008 (disponible en anglais seulement), Rôle de l’Europe dans les “restitutions” et les détentions secrètes : les gouvernements nient la réalité, index AI : EUR 01/003/2008 et Royaume-Uni. Il est temps d’ouvrir une enquête sur le rôle des autorités dans les violations des droits humains commises à l’étranger après le 11 septembre 2001, index AI : EUR 45/001/2010).
À la lecture des documents rendus publics le 14 juillet, Amnesty International est profondément troublée par :

1) le fait que l’ancien gouvernement ait pris la décision manifeste, sous l’autorité et avec la connaissance du pouvoir exécutif au plus haut niveau, d’empêcher activement tout accès aux services consulaires de leur pays des ressortissants et résidents britanniques détenus à l’étranger, alors qu’il était évident qu’ils seraient probablement transférés à Guantánamo Bay si les services consulaires n’intervenaient pas. Cette décision apparaît le plus clairement dans l’affaire Martin Mubanga, détenteur de la double nationalité britannique et zambienne, arrêté en Zambie en mars 2002 avant d’être remis aux autorités américaines et transféré à Guantánamo Bay. Parmi les documents rendus publics ce 14 juillet, figure un échange de communications, partiellement expurgé, entre les autorités consulaires en Zambie et l’administration londonienne, duquel il ressort que le conseil donné par Londres aux autorités sur place était de ne pas fournir d’assistance consulaire à Martin Mubanga, ce qui a eu pour conséquence son transfert sur la base de Guantánamo Bay. Le directeur général du MI5 avait confirmé auparavant au Comité de renseignement et de sécurité du Royaume-Uni que Martin Mubanga avait été interrogé à deux reprises par un agent des services de renseignement britanniques au cours de sa détention en Zambie . Voir Rôle de l’Europe dans les “restitutions” et les détentions secrètes : les gouvernements nient la réalité, index AI : EUR 01/003/2008)

2) la politique déclarée, encore une fois avec l’aval de responsables au niveau du ministère, de préférence du gouvernement britannique en faveur d’un transfert des ressortissants et résidents britanniques aux mains des Américains vers la base de Guantánamo Bay plutôt que vers des prisons britanniques ; parmi les documents rendus publics, un télégramme partiellement expurgé du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, daté de janvier 2002, envoyé avec l’aval et/ou portant la signature de Jack Straw, alors ministre des Affaires étrangères, dans lequel est écrit : « L’approche britannique concernant le rapatriement et les poursuites qui pourraient être engagées contre des ressortissants britanniques [détenus par les Américains en Afghanistan et susceptibles d’être transférés vers Guantánamo Bay] n’a pas encore été définie. Néanmoins, nous reconnaissons que le transfert de ressortissants britanniques détenus par les forces américaines en Afghanistan vers Guantánamo Bay reste le meilleur moyen d’atteindre notre objectif de lutte contre le terrorisme en s’assurant de leur maintien en détention. Toutefois, une équipe d’experts se trouve actuellement en Afghanistan pour interroger les détenus pouvant avoir un lien avec le Royaume-Uni afin d’obtenir des informations sur leurs activités et liens terroristes. Nous espérons donc que tous les détenus qu’ils souhaitent interroger resteront en Afghanistan et ne figureront pas parmi les premiers groupes de détenus à être transférés sur Guantánamo Bay. Un délai d’une semaine devrait suffire. Les ressortissants britanniques devraient être transférés le plus tôt possible ensuite. » Une note confidentielle datée du 26 février 2002 et préparée par un agent de l’Unité de protection et de lutte contre le terrorisme du ministère de l’Intérieur, après une réunion la veille de responsables britanniques, dit que : « Il a été décidé à l’issue de la réunion que le Royaume-Uni ne devait pas faire preuve de précipitation pour récupérer les détenus, bien que le ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth n’ait rien dit sur ce point. »

3) les documents contenant des conseils à caractère juridique et des directives sur la conduite à tenir pour les agents du MI6, déclarant que la loi n’exige pas des agents de renseignement britanniques qu’ils interviennent pour empêcher que des personnes ne soient torturées ou soumises à de mauvais traitements, même s’il y a des indications montrant que tel pourrait être le cas, parce que les détenus ne sont pas sous la garde ou le contrôle des Britanniques. Voir par exemple : le message des services secrets britanniques daté du 11 janvier 2002, intitulé : Les détenus d’Al Qaïda ; le chapitre 32 du Manuel de procédure générale des services secrets britanniques intitulé Détenus et opérations de détention (avril 2005) ; un document intitulé Politique de l’agence vis-à-vis des agences étrangères de renseignement et de sécurité au sujet des détenus susceptibles d’être soumis à de mauvais traitements (juillet 2006) ainsi qu’un document du service de sécurité Organigramme : transmission et recherche d’informations pouvant donner lieu à de mauvais traitements (juillet 2006).

Dans un message daté du 11 janvier 2002, le MI6 conseille aux agents de renseignement britanniques sur le terrain ayant signalé les mauvais traitements infligés aux détenus que « étant donné qu’ils [les détenus] ne sont ni sous la responsabilité ni sous le contrôle britannique, la loi ne nous commande pas d’intervenir pour empêcher cela. » La note précise encore que « lorsque les circonstances le permettent » les agents de renseignement peuvent « envisager d’attirer l’attention d’un responsable américain local d’un grade suffisamment élevé [sur les mauvais traitements] » et que l’engagement déclaré du Royaume-Uni en faveur des droits humains signifie que les agents britanniques doivent faire comprendre à leurs homologues américains que des officiers britanniques ne sauraient «  être parties à de tels mauvais traitements » ni « paraître les approuver ».
Amnesty International considère que profiter de la situation d’une personne pour la soumettre à un interrogatoire ou la faire interroger par d’autres personnes pour le compte de l’État, en sachant que cette personne risque d’être torturée ou maltraitée, ou détenue dans des circonstances s’apparentant à une disparition forcée et ne faire aucune tentative pour empêcher que de telles atteintes aux droits fondamentaux de la personne ne soient commises constitue une violation des obligations fondamentales du Royaume-Uni en matière de droits humains, en particulier de l’interdiction absolue de recourir à la torture ou tout autre traitement ou châtiment cruel, inhumain et dégradant et de l’obligation faite à tous les États d’empêcher la torture partout et à tout moment.
La Cour d’appel d’Angleterre et d’Écosse, au cours du procès de Binyam Mohamed, résident britannique ayant fait l’objet d’une « restitution », a fait référence au rôle joué par le MI5 comme allant « bien au-delà de celui de simple spectateur ou de témoin des comportements répréhensibles présumés » (R. (sur requête de Binyam Mohamed) c. ministre des Affaires étrangères et du Commonwealth, [2008], EWHC 2048 (Admin), 21 août 2008, § 88(v).
Amnesty International considère que les documents rendus publics le 14 juillet 2010 vont dans le sens de cette affirmation.

Amnesty International note l’annonce, faite le 6 juillet 2010 par le Premier ministre britannique, de l’ouverture d’une enquête sur l’implication du Royaume-Uni et sa possible complicité dans des actes de torture et autres atteintes aux droits fondamentaux des détenus arrêtés lors d’opérations anti-terroristes à l’étranger ; cette enquête sera présidée par Sir Peter Gibson. Voir L’enquête du Royaume-Uni sur les cas de torture doit être indépendante et approfondie, index AI : PRE01/225/2010, 7 juillet 2010) Le détail du cadre fixé pour l’enquête n’ayant pas encore été rendu public, Amnesty International reste préoccupée par un certain nombre de points ; l’organisation craint notamment que l’enquête ne soit pas suffisamment sérieuse et exempte de l’ingérence du pouvoir exécutif et ne respecte pas les engagements internationaux du Royaume-Uni en matière de droits humains ; la question de savoir dans quelle mesure les audiences relatives à cette enquête se dérouleront dans le secret et dans quelle proportion les éléments de preuve produits seront portés à la connaissance du public et des victimes de violations graves est source d’inquiétude pour l’organisation.
L’enquête devra porter sur la politique et les pratiques (notamment le rôle des agences de renseignement, des forces armées, des fonctionnaires, des avocats du gouvernement et des ministres) dans ces graves violations présumées des droits humains.

Complément d’information
Les documents publiés par le Guardian ont été divulgués à la suite d’une procédure civile intentée par six anciens détenus de Guantánamo Bay, tous de nationalité britannique ou domiciliés au Royaume-Uni – Bisher al Rawi, Richard Belmar, Omar Deghayes, Binyam Mohamed, Jamil el Banna et Martin Mubanga – qui sollicitent des dommages-intérêts du gouvernement britannique au motif que les services de renseignement britanniques ont été complices de leur maintien en détention ainsi que des actes de torture et des mauvais traitements qui leur ont été infligés.Les six hommes ainsi qu’un autre ancien détenu de Guantánamo Bay avaient engagé une action civile contre le MI5, le MI6, le ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, le ministère de l’Intérieur et le procureur général (ce dernier uniquement en qualité de mandataire) pour les violations de leurs droits fondamentaux subies durant leur « restitution » et leur détention dans différents endroits, notamment à Guantánamo Bay. Leur procès va servir de test et son issue pourrait inciter d’autres plaignants à intenter une procédure similaire contre les autorités britanniques. En novembre 2009, un juge de la Haute Cour avait estimé que le gouvernement britannique pouvait en principe se fonder sur des éléments tenus secrets examinés lors d’audiences secrètes auxquelles ni les intéressés ni leurs avocats n’étaient autorisés à assister. Six des plaignants avaient par la suite interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel. La Cour d’appel a statué le 4 mai 2010 que, dans la procédure civile introduite par six anciens détenus de Guantánamo Bay contre les autorités pour complicité de torture, le gouvernement britannique ne pouvait se fonder sur l’examen d’éléments de preuve effectué au cours d’audiences secrètes. Cette procédure permettrait aux tribunaux d’examiner des éléments tenus secrets présentés par les autorités britanniques au cours d’audiences secrètes. Les plaignants et leurs avocats n’auraient pas accès à ces documents et ils ne seraient pas autorisés à assister à ces audiences secrètes, au cours desquelles ils seraient représentés par un avocat spécial désigné par le tribunal. Il serait interdit à l’avocat spécial d’évoquer une partie quelconque de ces éléments tenus secrets avec les plaignants ou de recevoir leurs instructions après en avoir pris connaissance, ce qui entraverait gravement sa capacité de défendre les intérêts de ses clients et rendrait le procès inéquitable. Dans un arrêt formulé dans des termes très vifs, Lord Neuberger, président de la chambre civile de la Cour d’appel constituée de trois juges qui a examiné l’affaire, a affirmé « fermement et sans ambiguïté » qu’il convenait de statuer en faveur des appelants en faisant valoir que le fait d’autoriser une audience secrète en l’absence d’autorité légale à cette fin porterait atteinte à l’un des principes les plus fondamentaux de la common law, à savoir l’équité des procès. La divulgation récente de documents classés a été provoquée par le contentieux résultant, en partie, des efforts déployés après la décision de la Cour d’appel, pour parvenir à un accord sur le montant de l’indemnisation proposée par médiation aux plaignants. Amnesty International a assisté en qualité d’observateur aux audiences qui se sont tenues en octobre 2009 devant la Haute Cour et en mars 2010 devant la Cour d’appel. Voir Royaume-Uni.La cour d’appel conclut que les audiences secrètes violent le droit à un procès équitable dans les procédures civiles, index AI : EUR 45/003/2010, 5 mai 2010.

Pour plus d’informations sur l’appel lancé par Amnesty International en faveur d’une enquête, voir le rapport intitulé Royaume-Uni. Il est temps d’ouvrir une enquête sur le rôle des autorités dans les violations des droits humains commises à l’étranger après le 11 septembre 2001 (index AI : EUR 45/001/2010, mars 2010) et Royaume-Uni. L’enquête proposée sur des cas de torture doit être indépendante, impartiale et approfondie, index AI : EUR 45/005/2010 , 24 mai 2010.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit