Royaume-Uni. Examen par la Cour d’appel d’un dossier clé dans le combat mondial contre la torture.

Déclaration publique

EUR 45/009/2007

Ce 18 juin s’ouvre l’examen, par la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles, d’un important dossier qui aura valeur de test ; il concerne l’appel interjeté par trois Algériens menacés d’expulsion vers l’Algérie pour des raisons de « sécurité nationale ». Amnesty International réaffirme que renvoyer de force ces hommes vers l’Algérie les exposerait à un risque grave de violations de leurs droits fondamentaux, à des actes de torture et autres mauvais traitements ; que les assurances données par les autorités algériennes en matière de protection des droits fondamentaux de ces trois hommes ne sont absolument pas fiables ; et que le déroulement du procès a jusqu’à présent privé ces hommes de la possibilité effective de contester la légalité de la décision prise par les autorités britanniques de les expulser parce qu’ils présenteraient un risque pour la « sécurité nationale ».

Ces trois hommes sont : Mustapha Taleb, auparavant désigné pour des raisons juridiques par la lettre « Y », un homme désigné uniquement par la lettre « U » et un autre homme connu uniquement par ses initiales « RB », désigné jusqu’à présent comme « BB ». Tous trois ont toujours nié avoir pris part à des actions présentant un risque pour la « sécurité nationale ».

Amnesty International considère que ce dossier dépasse le cas de ces trois hommes et la question de leur sécurité et que d’autres personnes se trouvent actuellement confrontées à la même menace. On touche là à la question de l’interdiction mondiale de la torture. Renvoyer des personnes vers un pays où elles courent un risque réel de torture et de mauvais traitements est clairement et absolument interdit en droit national et international. Si le gouvernement britannique parvenait à expulser ces hommes vers l’Algérie, il aurait réussi non seulement à contourner la protection contre tout acte de torture inscrite en droit britannique, mais également à affaiblir cette protection au niveau mondial.

Amnesty International n’a cessé d’exprimer son inquiétude face aux interpellations et aux atteintes systématiques aux droits humains des personnes soupçonnées d’implication dans des activités terroristes par les services de sécurité algériens. Même le gouvernement britannique reconnaît aujourd’hui que s’ils étaient expulsés vers l’Algérie, ces hommes seraient très certainement placés en détention au secret par le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), les services de renseignements algériens. Le DRS s’est spécialisé dans l’interrogatoire des personnes censées détenir des informations sur des activités terroristes. Il est de notoriété publique que ses agents ont recours à la torture et aux mauvais traitements.

Des rapports établis par Amnesty International illustrant abondamment les risques de torture encourus par les personnes arrêtées par le DRS ont été présentés à la Commission spéciale des recours en matière d’immigration (SIAC) à l’occasion des premiers recours interjetés par chaque homme. Ces éléments de preuve n’ont pas été retenus.

Néanmoins, la position du gouvernement britannique est que, en l’absence d’assurances données par les autorités algériennes, ces trois hommes courraient effectivement un risque réel de torture et ne pourraient être expulsés sans risque vers l’Algérie. Pourtant, dans plusieurs affaires similaires, Amnesty International a rassemblé des éléments montrant que les assurances données par le gouvernement algérien n’avaient pas été respectées, générant de graves inquiétudes sur le sort des personnes expulsées interrogées par le DRS.

Deux hommes (Reda Dendani, auparavant désigné par la lettre « Q » et un homme désigné par la lettre « H ») qui avaient été expulsés vers l’Algérie et auxquels on avait promis avant leur expulsion qu’ils ne feraient l’objet d’aucune poursuite à leur retour en Algérie, ont été interpellés et placés en détention au secret avant d’être inculpés. Des allégations de mauvais traitements ont depuis été faites. Ceci devrait prouver à la Cour que ce type de promesses – qu’aucun tribunal au Royaume-Uni ou en Algérie ne peut faire appliquer – n’offre aucune protection. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une tentative peu honorable de contourner la loi et de ne pas accorder aux personnes menacées de torture la protection que leur accorde le droit national et international.

Amnesty International considère que si les audiences inéquitables de la Commission spéciale des recours en matière d’immigration, qui accepte à titre de preuve des informations secrètes des services de renseignements auxquelles les accusés ne peuvent avoir accès et qu’ils ne peuvent contester, aboutissent au renvoi de personnes courant un risque réel de torture, elles ne constitueront qu’une parodie de justice.

Complément d’information
Affaire Mustapha Taleb
Mustapha Taleb a survécu à des actes de torture en Algérie avant son arrivée au Royaume-Uni où il obtenu le statut de réfugié.

Mustapha Taleb, désigné dans un premier temps sous la lettre « Y », faisait partie de ces prisonniers inculpés, jugés et finalement acquittés de toutes les charges pesant contre eux dans une affaire de complot impliquant la production de poisons et/ou d’explosifs en 2005 au Royaume-Uni. Après son acquittement an avril 2005, il avait été libéré de la prison où il se trouvait depuis janvier 2003. Il avait été ensuite à nouveau arrêté et placé en détention dans l’attente de son expulsion vers l’Algérie pour des raisons de « sécurité nationale ».

Mustapha Taleb avait fait appel de son arrêté d’expulsion auprès de la Commission spéciale des recours en matière d’immigration en même temps que plusieurs autres détenus ; il contestait l’accusation de menace à la « sécurité nationale » du Royaume-Uni qu’il représenterait et donnait pour argument qu’il courrait un risque réel de torture s’il était expulsé vers l’Algérie. Amnesty International a assisté en tant qu’observateur aux audiences publiques de la Commission spéciale des recours en matière d’immigration dans cette affaire. Bien que Mustapha Taleb ait été acquitté précédemment, le dossier présenté lors des audiences publiques reprenait la plupart des allégations présentées lors du procès pénal et que le jury avait clairement rejetées.

Pour parvenir à sa décision finale dans l’affaire Mustapha Taleb, la Commission spéciale des recours en matière d’immigration s’est appuyée sur des informations secrètes fournies par les autorités britanniques et auxquelles ni Mustapha Taleb, ni les avocats choisis par lui ni le public n’ont eu accès. La procédure suivie par la Commission spéciale des recours en matière d’immigration a été profondément inéquitable, privant Mustapha Taleb de son droit à un procès équitable et de toute possibilité de réfuter de façon effective les allégations des autorités britanniques selon lesquelles il présenterait un risque pour la « sécurité nationale ».

Trois des jurés qui avaient acquitté Mustapha Taleb lors de son procès au pénal ont été choqués d’apprendre qu’en dépit de cet acquittement, les mêmes éléments de preuve étaient à nouveau présentés devant la Commission spéciale des recours en matière d’immigration pour « justifier son expulsion ». Ces jurés ont écrit à Amnesty International :

« En tant que simples citoyens, nous avons vu se dérouler sous nos yeux une série d’événements orchestrés par les autorités et entachés d’injustice à un point tel que nous nous sentons forcés de nous exprimer. Ce qui se passe est contraire à tout ce que nous aurions cru possible dans une société libre et démocratique. Depuis janvier 2003, "Y" (Mustapha Taleb) a été persécuté par notre gouvernement au-delà des limites de l’imaginable. Tous les trois, nous avons fait partie du jury lors du procès de "Y" [« procès de la ricine inexistante »] ; au bout de sept mois passés à écouter attentivement les témoignages et les déclarations à charge et à décharge, notre jury a acquitté cet homme de tous les chefs d’accusation qui pesaient contre lui en pensant qu’une fois libéré, il pourrait commencer à construire une vie nouvelle dans ce pays. »

Affaires « U » et « RB » (« RB » était désigné sous les initiales « BB » dans les précédentes audiences)
« RB » et « U » sont Algériens. « RB » avait été déclaré « risque pour la sécurité nationale » par la Commission spéciale des recours en matière d’immigration, presque uniquement sur la base d’éléments de preuve présentés lors d’audiences secrètes, dont il n’avait pu avoir connaissance et qu’il n’avait pu contester. Bien qu’il n’accepte pas cette conclusion, il a, au cours d’audiences précédentes, renoncé à son droit de la contester, n’ayant pas confiance dans la capacité de la Commission spéciale des recours en matière d’immigration à l’entendre de façon équitable.

Pour plus d’informations sur les préoccupations d’Amnesty International en matière de tentatives d’expulsion vers l’Algérie faites par le Royaume-Uni, voir :
United Kingdom : Deportations to Algeria at all costs, publié le 26 février 2007, Index AI : EUR 45/001/2007, http://web.amnesty.org/library/Index/ENGEUR450012007

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