Communiqué de presse

Royaume-Uni/Irlande. Il faut rouvrir l’affaire marquante de la torture des « hommes cagoulés »

Des allégations selon lesquelles le gouvernement britannique a autorisé le recours à la torture et à d’autres mauvais traitements en Irlande du Nord dans les années 70 doivent être réexaminées par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et soumises à une nouvelle enquête indépendante, a déclaré Amnesty International lundi 24 novembre.

L’organisation exhorte le gouvernement irlandais à demander la réouverture d’une affaire qui a fait date, le cas Irlande c. Royaume-Uni datant de 1978, relatif à des actes de torture et à d’autres formes de mauvais traitements infligés à 14 individus décrits comme des « hommes cagoulés », internés en Irlande du Nord en 1971.

Les « hommes cagoulés » en question ont soutenu cet appel, à l’occasion d’une conférence de presse d’Amnesty International qui s’est tenue à Dublin le matin du lundi 24 novembre 2014.

« Ces hommes et leurs proches ont le droit d’obtenir vérité et justice. Nous reconnaissons la difficulté pour l’Irlande, sur le plan diplomatique, de demander la réouverture de l’affaire. Nous espérons cependant que le gouvernement irlandais fera preuve de la même détermination que son prédécesseur de 1971, qui avait pris la décision courageuse et sans précédent de faire respecter l’état de droit et de dénoncer des violations des droits humains », a déclaré Colm O’Gorman, directeur exécutif d’Amnesty International Irlande.

«  L’État irlandais avait soutenu à l’époque que les agissements du Royaume-Uni s’apparentaient à des actes de torture - nous lui demandons de réitérer cette affirmation. Cela signifie qu’il doit soumettre les nouvelles informations à la Cour européenne dans les deux semaines. L’heure tourne. »

En 1971, l’Irlande a saisi la Cour européenne des droits de l’homme de son premier cas interétatique, en affirmant que le Royaume-Uni avait porté atteinte à la Convention européenne des droits de l’homme lorsque des membres de l’armée britannique et de la police d’Irlande du Nord ont soumis ces hommes à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements. L’emploi, durant l’internement de ces personnes, de ce que l’Irlande - et Amnesty International - a considéré comme des actes de torture était au cœur de ce cas désormais connu comme celui des « hommes cagoulés ».

L’appel que vient de lancer Amnesty International fait suite à la diffusion en juin d’une émission de la RTÉ intitulée The Torture Files [les dossiers de la torture], qui a révélé l’existence de documents d’archives attestant que le gouvernement britannique n’a pas produit certains éléments de preuve cruciaux lors de l’audience qui s’est tenue devant la CEDH. Amnesty International pense que ces informations auraient pu amener la Cour à rendre un jugement différent en 1978. Celle-ci avait alors estimé que les « cinq techniques » d’interrogatoire utilisées contre ces hommes constituaient des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais pas des actes de torture.

Ces cinq techniques comprenaient le port forcé d’une cagoule, le maintien dans des positions douloureuses, l’exposition à un bruit blanc, la privation de sommeil et la privation de nourriture et d’eau, parallèlement à des agressions physiques et des menaces de mort.

L’émission de la RTÉ diffusée le 4 juin a montré que des dossiers retrouvés dans les archives nationales au Royaume-Uni révèlent que le gouvernement britannique savait que son argument central, à savoir que les effets des techniques utilisées sur les « hommes cagoulés » n’étaient ni graves ni durables, était inexact. Il semble en réalité que le gouvernement était conscient à l’époque des répercussions psychologiques et physiques graves et durables de ces « cinq techniques », et les considérait en fait bien comme des actes de « torture ».

L’émission de la RTÉ a divulgué plusieurs documents inédits indiquant que les autorités britanniques - notamment des ministres - ont autorisé le recours à ces « cinq techniques » en Irlande du Nord, ce qu’ils avaient également nié devant la Cour européenne.

Le Royaume-Uni est parvenu à convaincre la Cour de lui épargner la « marque infamante » d’une condamnation pour torture, en s’abstenant de révéler certains éléments pertinents et en adoptant une position en contradiction directe avec ses propres consignes internes.

L’affaire Irlande c. Royaume-Uni a eu des conséquences d’une grande portée. Le raisonnement décrit dans ce cas a été cité dans les désormais tristement célèbres mémos sur la torture du gouvernement de George W Bush, pour essayer de nier que les violations commises contre des détenus dans le cadre de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » étaient des actes de torture.

Le mois dernier, Amnesty International a écrit à Enda Kenny, le Premier ministre irlandais, afin qu’il fasse pression en faveur de la réouverture de ce cas. Le gouvernement irlandais peut formuler une requête auprès de la Cour européenne et a jusqu’au 4 décembre - soit six mois après l’émergence de nouvelles informations - pour demander la révision du jugement.

L’organisation a également écrit à David Cameron, le Premier ministre britannique, afin d’engager le gouvernement du Royaume-Uni à diligenter une enquête indépendante sur ces allégations et à traduire les responsables présumés en justice. Il n’y a jamais eu d’enquête conforme à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ayant débouché sur l’inculpation des représentants de l’État qui auraient autorisé ou commis ces violations. Amnesty International exhorte par ailleurs le gouvernement britannique à mettre en place un nouveau mécanisme en Irlande du Nord afin d’enquêter sur l’ensemble des violations des droits humains, qu’elles soient attribuées aux forces de sécurité ou à des groupes paramilitaires armés - commises durant le conflit, notamment le recours systématique à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements.

«  Parallèlement à la réouverture du cas Irlande c. Royaume-Uni, le Royaume-Uni est tenu depuis longtemps d’ouvrir une enquête indépendante sur la torture de ces hommes, et d’amener les responsables présumés à rendre des comptes. Il n’en a jamais rien fait. Cela est inacceptable, à la fois pour ces hommes, leurs proches encore en vie, et plus largement, pour la société », a déclaré Patrick Corrigan, directeur du Programme Irlande du Nord à Amnesty International Royaume-Uni.

« Cette responsabilité revient pleinement au gouvernement britannique. Nous demandons à l’Irlande d’user de ses bons offices pour que le Royaume-Uni mène une enquête respectueuse des droits humains.

« Ce cas souligne à quel point il est nécessaire qu’un mécanisme global soit mis en place afin de faire face au passé en Irlande du nord, et que les parties au conflit disent tout sur le rôle qu’elles ont joué dans les violations des droits humains. »

Thomas Hammarberg, qui avait dirigé en 1971 la mission menée par Amnesty International en Irlande du Nord afin d’enquêter sur l’internement, a déclaré :

« Le temps ne guérit pas toutes les blessures si justice n’a pas été rendue. Il y a plus de 40 ans, j’ai dirigé à Belfast une délégation d’Amnesty chargée d’enquêter sur des informations que nous avions reçues faisant état de méthodes d’interrogatoire brutales associées à des mesures de "privation sensorielle". Il était évident pour nous qu’il s’agissait là de très graves violations des droits humains, constituant effectivement des actes de torture.

« J’ai été profondément déçu lorsque la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que les traitements infligés à des détenus en Irlande du Nord en vertu de pouvoirs d’exception au début des années 70 ne s’apparentaient pas à des actes de torture. Des méthodes similaires ont depuis lors été employées contre des suspects, en particulier pendant la "guerre contre le terrorisme" menée par les États-Unis.

« L’allégation selon laquelle le gouvernement britannique a induit la Cour de Strasbourg en erreur dans le cas des "hommes cagoulés" doit être prise très au sérieux. Si elle était étayée, cela constituerait une grave injustice de plus pour les victimes, qui a favorisé l’impunité non seulement à l’époque, mais également pour ceux qui ont recouru à ce type de méthodes dans d’autres situations ces quatre dernières décennies.

«  Ce devrait être dans l’intérêt du gouvernement britannique, en sa qualité de signataire de la Convention des Nations unies contre la torture et de la Convention européenne des droits de l’homme, de veiller à ce que la lumière soit faite dans cette affaire cruciale et à ce que des mesures correctives soient prises. »

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