Communiqué de presse

Royaume-Uni. L’enquête sur les cas de torture loin d’être conforme aux normes relatives aux droits humains

Amnesty International demeure très préoccupée à l’idée qu’une enquête mise en place pour étudier des allégations crédibles selon lesquelles le Royaume-Uni aurait participé à des violations des droits humains de personnes détenues à l’étranger dans le cadre d’opérations antiterroristes ne soit irrémédiablement compromise par les récentes décisions du gouvernement au sujet de son mandat. L’organisation estime que cette enquête risque de manquer l’objectif visé, qui est de faire systématiquement la lumière sur ces allégations et de garantir que ces violations ne se reproduiront plus jamais. Il est particulièrement inquiétant de constater que ce sera toujours le gouvernement qui prendra les décisions relatives aux données qui pourront être rendues publiques, que les victimes présumées de violations n’auront pas le statut officiel nécessaire pour assurer leur participation pleine et efficace à la procédure, et que la commission d’enquête ne cherchera pas activement à obtenir des données ou des éléments de preuve à l’étranger.

Le 6 juillet 2011, le gouvernement britannique a publié le mandat et le protocole de l’enquête sur les cas de torture. Le jour-même, Amnesty International et d’autres ONG ont reçu un certain nombre de lettres de la commission chargée de l’enquête en réponse à des courriers datant de février 2011.

La publication du mandat et du protocole a lieu un an exactement après que le Premier ministre britannique, David Cameron, a annoncé au Parlement qu’une enquête indépendante serait menée sur les allégations faisant état de la participation du Royaume-Uni à des actes de torture et d’autres violations des droits humains concernant des personnes détenues à l’étranger dans le cadre d’opérations antiterroristes.

Amnesty International a salué cette annonce initiale, tout en appelant le gouvernement britannique à veiller à ce que l’enquête soit indépendante, impartiale, approfondie et efficace, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains. L’organisation a souligné qu’une enquête entourée de secret ne permettrait pas de faire toute la lumière ni d’établir véritablement les responsabilités, tant pour les personnes qui affirment que le Royaume-Uni est responsable de violations commises à leur encontre que pour la population dans son ensemble.

En effet, l’an dernier, Amnesty International et d’autres ONG ont présenté des recommandations qui, si elles étaient suivies, contribueraient à garantir que l’enquête soit menée conformément aux normes internationales relatives aux droits humains, en étant indépendante, impartiale, approfondie et efficace. Certaines de ces recommandations ont été adoptées. Par exemple, Amnesty International se félicite que l’enquête mette l’accent sur la politique gouvernementale et la reconnaissance du besoin de tirer les leçons des erreurs passées. Cependant, l’organisation regrette vivement que la plupart des autres recommandations aient été ignorées, ce qui compromet la capacité de l’enquête à atteindre l’objectif visé – faire systématiquement la lumière sur ces allégations et garantir que ces violations ne se reproduiront pas.

En particulier, elle est extrêmement déçue d’apprendre que le gouvernement britannique conservera le choix des informations auparavant non révélées que la commission d’enquête pourra rendre publiques. Le protocole ne prévoit explicitement aucune forme de contrôle judiciaire de ces décisions, qui seront prises en dernier ressort par le secrétaire général du gouvernement à l’issue d’un processus de correspondance écrite entre la commission d’enquête et le secrétariat du gouvernement. La politique gouvernementale et la participation d’agents de l’État à des actes de torture et d’autres graves atteintes aux droits humains sont les principaux objets de l’enquête. Amnesty International estime que, si le gouvernement contrôle complètement les informations que peut révéler la commission d’enquête, cela compromettra profondément l’efficacité de l’enquête en tant que moyen de faire connaître la vérité sur ce qui s’est passé aux victimes présumées et à la population dans son ensemble. La mainmise du gouvernement sur la diffusion d’informations au public mettra à mal l’indépendance et l’impartialité du rapport et des conclusions que la commission publiera[i].

Amnesty International note également que, selon le protocole, le principe de base du processus de publication au cours de l’enquête est que tous les documents auparavant non révélés resteront secrets et que la commission d’enquête devra formuler une demande spécifique pour tout document ou information qu’elle souhaite rendre public. Au lieu de partir d’une position de secret, l’organisation pense que le gouvernement britannique devrait, en toute bonne foi, passer au crible les données qu’il a l’intention de communiquer à la commission d’enquête et déterminer lesquelles peuvent être révélées en toute sécurité sans nuire à l’intérêt public, en faisant valoir des motifs limités et définis précisément. Il devrait alors diffuser immédiatement ces données auprès de la population. Si le gouvernement agissait en toute bonne fois lors de ce processus, le nombre de documents dont il affirmerait que la publication nuirait à l’intérêt public serait forcément beaucoup plus restreint. En ce qui concerne ce volume réduit de données, Amnesty International continue de demander la création d’un mécanisme indépendant pour évaluer si ces données doivent effectivement être cachées à la population et garantir que cette évaluation compare comme il se doit l’intérêt public de leur diffusion et celui, le cas échéant, de leur non-diffusion.

L’organisation remarque en outre avec une grande inquiétude que l’annexe A[ii] du protocole présente des critères très larges quant à ce qui peut être tenu secret pour « protéger l’intérêt public ». Il est décevant de constater que le protocole ne fait aucune référence à la possible supériorité de l’intérêt public de dénoncer et de traiter de façon transparente les actes répréhensibles commis par des organes de l’État par rapport à d’autres considérations[iii]. Il peut être justifié de tenir certains éléments d’information cachés aux yeux du public, par exemple lorsque la révélation d’un nom ou d’autres informations de ce type mettrait manifestement en danger la vie ou la sécurité physique d’une personne identifiée. Cependant, étant donnée la définition trop large qui figure dans le protocole quant à ce qui pourrait nuire à l’intérêt public, on peut vraiment s’inquiéter de la mesure dans laquelle le gouvernement s’appuiera au cours de l’enquête sur de vagues invocations de l’« intérêt public » pour empêcher que la population puisse suffisamment examiner et critiquer le bilan de l’État et de ses organes sur le plan des droits humains et pour éviter que les victimes présumées sachent qui est responsable de ce qu’elles ont subi. Ni le gouvernement, ni la commission d’enquête ne devrait pouvoir invoquer le secret ou la confidentialité au sujet d’un fait si cela empêche qu’une enquête indépendante, impartiale et approfondie soit menée sur des atteintes aux droits humains signalées, que les responsables présumés soient amenés à rendre compte de leurs actes, qu’une victime bénéficie d’un recours utile et de réparations ou que la vérité sur les violations commises soit rendue publique.

Amnesty International, comme d’autres ONG, a par ailleurs engagé à plusieurs reprises le gouvernement et la commission d’enquête à s’assurer de la participation effective des victimes à l’enquête, afin que leur droit à une enquête efficace et à des réparations soit garanti. L’organisation regrette donc vivement que le protocole de l’enquête traite en grande partie les victimes présumées de la même manière que les autres témoins ou simples citoyens. Les victimes d’atteintes aux droits humains jouent un rôle particulier dans les conclusions d’une enquête et doivent avoir un statut qui correspond à cette situation. Pourtant, bien que l’enquête sur les cas de torture soit appelée « Detainee Inquiry » (« enquête relative aux détenus »), son protocole indique clairement que les anciens et actuels détenus qui affirment que le Royaume-Uni a participé aux mauvais traitements qui leur ont été infligés n’auront aucun statut officiel en tant que parties prenante au processus d’enquête. Le fait que l’enquête ne fournisse pas un tel statut aux victimes présumées les empêche de participer pleinement et efficacement à la procédure.

En particulier, Amnesty International est préoccupée par le fait qu’elles ne bénéficieront d’une assistance juridique que pour la préparation des dépositions de témoins et la présentation orale des témoignages. Afin de protéger leurs intérêts légitimes, il faut que les anciens et actuels détenus puissent bénéficier d’une assistance juridique tout au long du processus d’enquête, accompagnée d’un statut leur permettant de s’adresser à la commission au sujet de certains aspects factuels ou juridiques concernant leur cas personnel, ainsi que du droit de faire poser toute question utile aux témoins présentés par le gouvernement.

Il est également regrettable de constater que la commission d’enquête ne cherchera pas activement à obtenir des données ou des éléments de preuve à l’étranger. Même s’il peut s’avérer difficile d’obtenir la coopération d’agents et de représentants d’États étrangers, cela ne doit pas empêcher la commission de s’efforcer d’obtenir cette coopération ou le gouvernement britannique d’utiliser les moyens dont il dispose pour introduire ce type de requêtes et y répondre. Par ailleurs, Amnesty International relève l’évidente contradiction entre la raison invoquée pour ne pas tenter d’obtenir des preuves auprès des autorités d’autres pays, à savoir que le mandat de l’enquête est d’examiner les actions du Royaume-Uni, et le fait que les allégations contre ce dernier ont trait à sa participation à des violations des droits humains commises à l’étranger, dans lesquelles des agents de services de renseignement étrangers sont souvent également mis en cause et, en réalité, plusieurs États sont co-responsables des violations en question.

L’organisation est en outre très déçue que le gouvernement continue de considérer que l’enquête n’a pas été mise en place « pour se conformer ou donner suite à une quelconque obligation internationale ressentie ». Dans un courrier reçu par Amnesty International Royaume-Uni, le ministre des Affaires étrangères, William Hague, a également indiqué que « les mauvais traitements commis à l’étranger ne relevant pas de la compétence du Royaume-Uni, ils ne sont pas couverts par les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme ». L’obligation qui incombe au Royaume-Uni d’enquêter sur les cas de torture et d’autres graves atteintes aux droits humains dont ses agents pourraient s’être rendus responsables dans ses frontières ou à l’extérieur de celles-ci n’est pas une question de point de vue ; c’est une obligation juridique en vertu des traités relatifs aux droits humains auxquels ce pays est partie. L’obligation d’enquêter sur la possible complicité ou autre responsabilité d’agents du Royaume-Uni ne découle pas seulement de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi de la Convention des Nations unies contre la torture et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La Convention contre la torture, en particulier, exige explicitement que le Royaume-Uni enquête sur la possible complicité, participation ou autre responsabilité d’agents de l’État dans tout acte de torture commis n’importe où dans le monde. Une véritable procédure d’établissement des responsabilités à la suite des allégations de complicité de torture doit respecter les obligations internationales du Royaume-Uni en matière de droits humains.

Amnesty International remarque également que le ministre des Affaires étrangères, dans le même courrier, a assuré que le gouvernement « s’engage[ait] à mener une enquête exhaustive et indépendante qui soit conforme aux normes internationales ». Compte tenu du mandat de l’enquête, l’organisation ne voit absolument pas comment cet engagement sera tenu. Elle est très préoccupée à l’idée que le gouvernement ait laissé passer l’occasion de traiter efficacement un nombre croissant d’allégations faisant état de la participation de ses agents et de ses responsables politiques dans les actes de torture et autres mauvais traitements infligés à des détenus, d’une façon qui garantisse le respect de l’obligation de rendre des comptes au public. Au lieu de mettre en place une enquête indépendante, impartiale, approfondie et efficace conformément aux normes relatives aux droits humains, il semble que le gouvernement britannique a fait ce que beaucoup craignaient et préparé le terrain pour une enquête qui sera entourée de secret et, par conséquent, ne pourra absolument pas promettre un véritable établissement des responsabilités.

REMARQUE : Amnesty International, avec huit autres ONG, a présenté des propositions détaillées à la commission d’enquête après l’annonce de sa création et avant la publication de son mandat et de son protocole. L’organisation a en outre exposé par écrit au Premier ministre et au ministre des Affaires étrangères ses préoccupations concernant le champ d’action, l’objet et le déroulement de l’enquête. Pour l’heure, elle n’a reçu aucune réponse concrète du Premier ministre.

Compte tenu des préoccupations mises en avant ci-dessus, Amnesty International et neuf autres ONG ont écrit à la commission d’enquête en déclarant que, malheureusement, si elle procédait de la façon actuellement proposée, elles n’avaient pas l’intention de présenter des éléments de preuve ni de participer aux réunions ultérieures avec ses membres. En particulier, les ONG estiment que l’enquête dans son état actuel ne pourra absolument pas atteindre l’objectif de faire la lumière sur les allégations indiquant que les autorités britanniques ont participé aux mauvais traitements infligés à des personnes détenues à l’étranger.

Pour en savoir plus :

UK : Joint NGO letter to the Solicitor to the Detainee Inquiry, EUR 45/010/2011, août 2011, http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR45/010/2011/en

UK : Joint NGO letter to the Secretary to the Detainee Inquiry, EUR 45/003/2011, 25 février 2011, http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR45/003/2011/en


UK : Joint Submission to Chair of the Detainee Inquiry
, EUR 45/002/2011, 25 février 2011, http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR45/002/2011/en

Europe : Open secret : Mounting evidence of Europe’s complicity in rendition and secret detention, EUR 01/023/2010, 15 novembre 2010, http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR01/023/2010/en

UK : Joint letter re : Inquiry into alleged UK involvement in the mistreatment of detainees held abroad, EUR 45/016/2010, 14 septembre 2010, http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR45/016/2010/en

Royaume-Uni. Des documents rendus publics montrent une nouvelle fois la nécessité de mener de toute urgence une enquête effective sur le rôle du Royaume-Uni dans les actes de torture et les mauvais traitements de détenus prisonniers à l’étranger, EUR 45/011/2010, 15 juillet 2010, http://www.amnesty.org/fr/library/info/EUR45/011/2010/fr

Royaume-Uni. L’enquête proposée sur des cas de torture doit être indépendante, impartiale et approfondie, EUR 45/005/2010, 24 mai 2010, http://www.amnesty.org/fr/library/info/EUR45/005/2010/fr

Royaume-Uni. Il est temps d’ouvrir une enquête sur le rôle des autorités dans les violations des droits humains commises à l’étranger après le 11 septembre 2001, EUR 45/001/2010, 23 mars 2010, http://www.amnesty.org/fr/library/info/EUR45/001/2010/fr

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