Royaume-Uni. La cour d’appel conclut que les audiences secrètes violent le droit à un procès équitable dans les procédures civiles


Déclaration publique

Index AI : EUR 45/003/2010 -
ÉFAI -
5 mai 2010

La Cour d’appel a statué le 4 mai 2010 que, dans la procédure civile introduite par six anciens détenus de Guantánamo Bay contre les autorités pour complicité de torture, le gouvernement britannique ne pouvait se fonder sur l’examen d’éléments de preuve effectué au cours d’audiences secrètes. Cette procédure permettrait aux tribunaux d’examiner des éléments tenus secrets présentés par les autorités britanniques au cours d’audiences secrètes. Les plaignants et leurs avocats n’auraient pas accès à ces documents et ils ne seraient pas autorisés à assister à ces audiences secrètes, au cours desquelles ils seraient représentés par un avocat spécial désigné par le tribunal. Il serait interdit à l’avocat spécial d’évoquer une partie quelconque de ces éléments tenus secrets avec les plaignants ou de recevoir leurs instructions après en avoir pris connaissance, ce qui entraverait gravement sa capacité de défendre les intérêts de ses clients et rendrait le procès inéquitable.

Dans un arrêt formulé dans des termes très vifs, Lord Neuberger, président de la chambre civile de la Cour d’appel constituée de trois juges qui a examiné l’affaire, a affirmé « fermement et sans ambiguïté » qu’il convenait de statuer en faveur des appelants en faisant valoir que le fait d’autoriser une audience secrète en l’absence d’autorité légale à cette fin porterait atteinte à l’un des principes les plus fondamentaux de la common law, à savoir l’équité des procès.

Lord Neuberger a fait observer : « Nous estimons que le principe selon lequel un justiciable doit avoir la possibilité de voir et d’entendre tous les éléments de preuve qui sont examinés par un tribunal chargé de son affaire est si fondamental et tellement ancré dans la common law qu’en l’absence d’autorité parlementaire aucun juge ne devrait le bafouer […] S’agissant de la common law, nous acceptons l’argument selon lequel ce principe représente une exigence minimale irréductible d’un procès civil ordinaire. »

L’arrêt de la Cour d’appel accroit la pression sur le gouvernement britannique pour qu’il cesse de tenter d’utiliser des audiences secrètes qui portent atteinte à la primauté du droit et empêchent d’obliger les agents de l’État à rendre des comptes pour des violations des droits humains commises à l’étranger. Amnesty International prie à nouveau les autorités britanniques de désigner une commission indépendante chargée d’enquêter sur les allégations de violations graves des droits humains commises dans le cadre des opérations de lutte contre le terrorisme menées à l’étranger depuis le 11 septembre 2001.

La procédure civile concerne six anciens détenus de Guantánamo Bay, tous de nationalité britannique ou domiciliés au Royaume-Uni – Bisher al Rawi, Richard Belmar, Omar Deghayes, Binyam Mohamed, Jamil el Banna et Martin Mubanga – qui sollicitent des dommages-intérêts du gouvernement britannique au motif que les services de renseignement britannique ont été complices de leur maintien en détention ainsi que des actes de torture et des mauvais traitements qui leur ont été infligés. Les six hommes ainsi qu’un autre ancien détenu de Guantánamo Bay avaient engagé une action civile contre le MI5 (le service de contre-espionnage militaire britannique), le MI6 (les services de renseignement), le ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, le ministère de l’Intérieur et le procureur général (uniquement en qualité de mandataire) pour les violations de leurs droits fondamentaux subies durant leur « restitution » et leur détention dans différents endroits, notamment à Guantánamo Bay.

En novembre 2009, un juge de la Haute Cour avait estimé que le gouvernement britannique pouvait en principe se fonder sur des éléments tenus secrets examinés lors d’audiences secrètes auxquelles ni les intéressés ni leurs avocats n’étaient autorisés à assister. Six des plaignants avaient par la suite interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel. Un délégué de l’organisation a observé les audiences qui se sont tenues en octobre 2009 devant la Haute Cour et en mars 2010 devant la Cour d’appel.

Dans les deux cas, les avocats des autorités britanniques ont défendu l’initiative sans précédent consistant à tenir des audiences secrètes dans une procédure civile en dommages-intérêts en invoquant des motifs de « sécurité nationale ».

Dans son arrêt rendu le 4 mai, la Cour d’appel a réaffirmé que le principe d’équité des procès selon la common law exigeait que chaque partie ait la possibilité de prendre connaissance de tous les éléments soumis au tribunal et que tous les arguments devaient être présentés au tribunal publiquement et de manière transparente.

Pour Lord Neuberger, « la procédure doit être équitable et doit être perçue comme telle ».
Cette décision constitue un coup d’arrêt pour les tentatives répétées du gouvernement britannique d’empêcher la communication de documents en invoquant des motifs de « sécurité nationale », réduisant ainsi à néant les efforts pour connaître la vérité sur l’implication du Royaume-Uni dans des violations graves des droits humains. Cet arrêt représente également une étape décisive vers l’octroi de réparations aux anciens détenus de Guantánamo Bay, dans la mesure où il vise à garantir que la procédure civile qu’ils ont engagée sera équitable.

Amnesty International a réclamé la désignation d’une commission indépendante chargée d’enquêter sur les allégations crédibles de violations graves des droits humains commises par les autorités britanniques dans le cadre des opérations de lutte contre le terrorisme menées à l’étranger depuis le 11 septembre 2001 ainsi que la traduction en justice des responsables de tels agissements. L’obligation de rendre des comptes pour les violations commises est fondamentale pour la promotion et la protection des droits humains. Voir le rapport intitulé Time for an inquiry into UK’s role in human rights violations overseas since 11 September 2001 (index AI : EUR 45/001/2010, mars 2010).

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