ROYAUME-UNI : Le gouvernement doit agir dès maintenant en faveur des détenus de Guantanamo

Index AI : EUR 45/019/2003
ÉFAI

Vendredi 11 juillet 2003

ANNONCE À L’ATTENTION DES MÉDIAS

Amnesty International s’inquiète du sort de Bisher al Rawi, citoyen irakien
en situation régulière au Royaume-Uni, et de Jamil al Banna, citoyen
jordanien ayant le statut de réfugié au Royaume Uni, qui figurent parmi les
650 personnes au moins actuellement détenues sans inculpation ni procès, ni
accès aux tribunaux, à leurs avocats ou à leurs familles, sur la base navale
des États-Unis, à Guantanamo.

L’organisation est très préoccupée du refus des autorités du Royaume-Uni
d’intervenir auprès des États-Unis en faveur de Bisher al Rawi et Jamil al
Banna, pour leur demander de respecter leurs droits humains.

Les autorités du Royaume-Uni ont refusé d’intervenir en faveur de Bisher al
Rawi, malgré le fait qu’il réside au Royaume-Uni depuis plus de vingt ans,
et que de nombreux membres de sa famille sont citoyens de ce pays. De plus,
depuis qu’il assume ses responsabilités de puissance occupante en Irak,
selon le droit international humanitaire, le Royaume-Uni se trouve
actuellement dans l’obligation, aux termes du droit international,
d’intervenir en faveur des citoyens irakiens. De même, le Royaume-Uni se
trouve dans l’obligation, aux termes du droit international des réfugiés,
d’intervenir en faveur de Jamil al Banna, à qui les autorités du Royaume-Uni
ont reconnu le statut de réfugié.

Amnesty International est préoccupée du fait que Bisher al Rawi, Jamil al
Banna et d’autres personnes détenues par les États-Unis à Guantanamo et
ailleurs (en raison de prétendus liens avec al Qaida ou les Talibans) se
trouvent placés dans des conditions de détention contraires aux normes
internationales relatives aux droits humains. En outre, l’organisation
s’inquiète également du vide juridique dans lequel se trouvent les personnes
accusées par les autorités des États-Unis de liens avec al Qaida ou les
Talibans ; leur détention ne possède en effet aucun fondement juridique
reconnu par le droit international humanitaire ou relatif aux droits
humains.

Depuis la fin du mois de novembre 2002, Amnesty International suit les
affaires de Bisher al Rawi et Jamil al Banna. Tous deux ont été arrêtés et
détenus à leur arrivée à l’aéroport de Banjul en Gambie, le 8 novembre 2002,
en raison de leurs liens présumés avec al Qaida. Les services de
renseignements gambiens (NIA) les ont arrêtés en compagnie d’une autre
personne, Abdullah El Janoudi, ressortissant du Royaume-Uni. Un quatrième
homme, Wahab al Rawi, frère de Bisher al Rawi, également citoyen du
Royaume-Uni et qui était arrivé en Gambie quelques jours auparavant et
s’était rendu à l’aéroport pour les accueillir, a également été arrêté en
même temps qu’eux. Ces quatre personnes se seraient rendues en Gambie pour
une affaire de conditionnement de cacahouètes montée par Wahab al Rawi.

Bisher al Rawi, Jamil al Banna et Abdullah El Janoudi avaient tous trois été
arrêtés le 2 novembre 2002 à l’aéroport de Gatwick, au Royaume-Uni, la
veille du jour où ils avaient prévu de se rendre en Gambie. Ils avaient été
interrogés pendant deux jours à Londres par les autorités, apparemment en
raison de leurs liens présumés avec des groupes « terroristes », avant
d’être libérés sans inculpation. À ce moment, l’un d’entre eux au moins
s’était entendu dire qu’il n’y aurait pas de suites. Amnesty International
croit savoir que depuis le 11 septembre 2001, Bisher al Rawi et Jamil al
Banna auraient été interrogés ou contactés en d’autres circonstances par les
autorités du Royaume-Uni, y compris à leur domicile, mais qu’ils n’avaient
jamais été inculpés. Jamil al Banna, notamment, aurait reçu la visite à son
domicile d’agents des services de renseignement du Royaume-Uni peu de temps
avant le 2 novembre 2002 ; les autorités avaient été informées de son
intention de se rendre en Gambie.

Amnesty International a demandé des précisions aux autorités du Royaume-Uni,
afin de déterminer si celles-ci avaient informé les autorités de Gambie ou
des États-Unis de l’arrestation puis la libération de Bisher al Rawi et
Jamil al Banna au Royaume-Uni, et/ou de leur départ pour la Gambie.

Le 8 novembre, les trois hommes ont quitté le Royaume-Uni pour Banjul, et,
comme indiqué ci-dessus, ont été arrêtés à leur arrivée, ainsi que Wahab al
Rawi. Selon les renseignements dont dispose Amnesty International, après une
premier interrogatoire par la NIA à son QG de Banjul, ils ont été interrogés
par des enquêteurs des États-Unis, tout en étant détenus en différents
endroits de Banjul, dont l’adresse exacte n’a pas été divulguée. L’un
d’entre eux au moins aurait été menacé par les enquêteurs des États-Unis,
qui lui ont déclaré que s’il ne coopérait pas avec eux, ils le livreraient
aux policiers gambiens qui le passeraient à tabac et le violeraient. Les
enquêteurs des États-Unis se seraient également « excusés » pour des
blessures reçues par l’un des suspects au cours de ce qu’ils ont appelé une
« échauffourée » avec des gardiens gambiens.

Wahab al Rawi et Abdullah El Janoudi, libérés sans inculpation aux alentours
du 5 décembre, ont été renvoyés au Royaume-Uni.

Selon les renseignements dont dispose Amnesty International, Bisher al Rawi
et Jamil al Banna ont été détenus au secret pendant environ deux mois à
Banjul, tout en continuant apparemment à être interrogés par des enquêteurs
des États-Unis sur leurs liens présumés avec al Qaida. Amnesty International
a reçu des informations faisant état du transfert des deux hommes à la base
aérienne des États-Unis à Bagram, en Afghanistan, probablement au début du
mois de janvier 2003. Depuis lors, ils ont été transférés à Guantanamo, où
ils sont actuellement détenus. Amnesty International n’a pas pu recevoir
confirmation de la date exacte de ces transferts, car tous les responsables
de Gambie et des États-Unis contactés par l’organisation ont refusé de
confirmer l’endroit où se trouvaient les deux hommes.

Leurs transferts à Bagram puis à Guantanamo ont eu lieu malgré le fait
qu’ils n’avaient pas reçu la permission de consulter leurs avocats, et
qu’une demande d’habeas corpus se trouvait en instance devant les tribunaux
gambiens. L’habeas corpus est une procédure permettant la comparution
immédiate d’un détenu devant
une autorité judiciaire, afin de contester la légalité de la détention,
et de permettre ainsi une éventuelle remise en liberté.

Amnesty International a également été informée que les autorités gambiennes,
par l’intermédiaire de leur haut-commissaire à Londres, ont fait obstacle
aux tentatives faites par des proches de Bisher al Rawi et Jamil al Banna
pour déterminer leur lieu de détention ; les autorités gambiennes leur ont
en effet refusé l’autorisation de donner mandat à un avocat à Banjul pour
agir en leur nom, retardant ainsi de manière importante la présentation de
la requête en habeas corpus.

Bisher al Rawi et Jamil al Banna ont été remis aux États-Unis d’une manière
qui n’a respecté aucune procédure judiciaire, y compris la procédure
d’extradition, ce qui constitue une violation supplémentaire de leurs droits
humains reconnus par le droit international.

Selon les renseignements dont dispose Amnesty International, il semble que
Bisher al Rawi et Jamil al Banna étaient surveillés par les autorités du
Royaume-Uni, peut-être en raison d’éléments transmis par les États-Unis.

Il apparaît clairement que Bisher al Rawi et Jamil al Banna n’ont bénéficié
d’aucune protection contre ces violations de leurs droits fondamentaux,
depuis le moment où ils ont été placés en détention en Gambie.
L’organisation s’inquiète du rôle direct ou indirect que les autorités du
Royaume-Uni auraient joué dans l’arrestation et la détention de Bisher al
Rawi et Jamil al Banna en Gambie, puis dans leur remise illégale aux
États-Unis.

Amnesty International serait très préoccupée d’apprendre que les autorités
du Royaume-Uni avaient effectivement des raisons de penser que Bisher al
Rawi, Jamil al Banna et Wahab al Rawi seraient arrêtés dès leur arrivée en
Gambie, notamment dans le but de les livrer de manière illégale aux
États-Unis, alors même que ces arrestations se seraient produites très peu
de temps après la libération sans inculpation de Bisher al Rawi, Jamil al
Banna et Abdullah El Janoudi au Royaume-Uni.

L’organisation a demandé aux autorités des États-Unis de respecter leurs
droits humains, en particulier de les libérer s’ils ne sont pas rapidement
inculpés d’une infraction reconnue au droit et ce, sur la base de soupçons
raisonnables ; Amnesty International a également demandé que soit respecté
leur droit à disposer d’une aide judiciaire, et à avoir accès aux tribunaux
pour contester la légalité de leur détention.

Contexte

De nombreux détenus de Guantanamo s’y trouvent depuis plus d’un an dans des
conditions qui dans leur ensemble correspondent à un traitement cruel,
inhumain et dégradant, en violation du droit international. Aucune de ces
personnes n’a accès à un tribunal, à une aide judiciaire ou à des proches.
La plupart d’entre elles sont détenues dans des cellules minuscules, parfois
jusqu’à 24 heures par jour, et n’ont que très peu d’occasion de faire de
l’exercice hors de leur cellule.

En novembre 2002, la Cour d’appel, deuxième tribunal d’Angleterre et du pays
de Galles, a déclaré que la détention de Feroz Abbasi à Guantanamo se
trouvait en contradiction manifeste avec les principes fondamentaux reconnus
par le droit du Royaume-Uni et des États-Unis, et par le droit international
 ; la Cour a ajouté que Feroz Abbasi se trouvait dans une zone de vide
juridique, et que sa détention était condamnable. Cette décision de la Cour
d’appel correspond à un recours déposé par la mère de Feroz Abbasi ; ce
recours portait sur une décision d’un tribunal de première instance datant
de mars 2002, qui déclarait que les tribunaux du Royaume-Uni n’étaient pas
compétents pour traiter sa demande selon laquelle les autorités du
Royaume-Uni n’avaient pas suffisamment défendu les droits de leurs
ressortissants détenus à Guantanamo. Dans sa décision de novembre 2002, la
Cour d’appel a rejeté la demande de réparations de la mère de Feroz Abbasi.
Celui-ci, de Croydon, à Londres, figure parmi les neuf ressortissants du
Royaume-Uni officiellement reconnus comme étant détenus sur la base
militaire de Guantanamo - sans inculpation ni accès aux tribunaux, aux
services d’un avocat ou à des proches. Parmi les huit autres personnes
figurent Moazzam Begg de Birmingham, Asif Iqbal et Shafiq Rasul de Tipton.

Comme suite à la décision de la Cour d’appel, Amnesty International a
demandé aux autorités du Royaume-Uni de solliciter des États-Unis le
rapatriement immédiat des ressortissants du Royaume-Uni, à moins qu’ils ne
soient rapidement inculpés d’une infraction prévue par la loi et traduits
devant un tribunal indépendant dans le cadre d’une procédure respectant
leurs droits à un procès équitable, et excluant le recours à la peine de
mort.

Amnesty International s’inquiète de l’absence de réaction des autorités du
Royaume-Uni vis-à-vis de leurs homologues des États-Unis, en ce qui concerne
le respect des droits humains de leurs ressortissants détenus par les
États-Unis à Guantanamo. En outre, des délégués du Royaume-Uni, y compris du
MI 5 (c’est-à-dire les services de sécurité) ont profité du mode de
détention particulier de leurs ressortissants pour leur « rendre visite » à
au moins deux reprises, et les interroger sur des questions de sécurité
nationale du Royaume-Uni, malgré le flou entourant leur statut juridique.
Amnesty International rappelle que toute personne arrêtée au Royaume-Uni et
interrogée sur des activités d’al Qaida a droit à une assistance judiciaire,
y compris à la présence d’un avocat lors de l’interrogatoire.

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