ROYAUME-UNI : Le gouvernement est accusé de pratiquer la détention illimitée sans inculpation ni jugement

Index AI : EUR 45/012/2002

À la date du 17 juillet, 11 hommes, tous ressortissants étrangers, contestent la légalité de la Loi de 2001 relative à la sécurité et à la lutte contre la criminalité et le terrorisme au motif qu’elle viole leurs droits fondamentaux.

Amnesty International constate avec inquiétude que la mise en application de certaines dispositions de cette loi a entraîné des violations graves des droits humains. La loi prévoit que le ministre de l’Intérieur peut ordonner la détention, sans inculpation ni jugement et pour une période illimitée, de tout étranger considéré, sur la base de soupçons plausibles, comme un « terroriste » présumé et « un danger pour la sécurité nationale ». La décision du ministre peut être entièrement fondée sur des éléments de preuve qui, dans certains cas, ne seront jamais portés à la connaissance du détenu.

Les personnes incarcérées en vertu de cette loi ne peuvent être élargies que si l’ordre de détention est abrogé par le ministre ou annulé par la Commission spéciale d’appel en matière d’immigration, instance habilitée à examiner les appels interjetés contre la Loi de 2001 relative à la sécurité et à la lutte contre la criminalité et le terrorisme et contre les ordres de détention, ainsi qu’à réexaminer ces ordres et à ordonner la mise en liberté sous caution des détenus. Les personnes détenues en vertu de cette loi peuvent également quitter « volontairement » le Royaume-Uni s’ils trouvent un pays tiers disposé à les accueillir ; néanmoins, cela risque d’être difficile une fois qu’une personne a été qualifiée de « terroriste ».

Les pouvoirs qui découlent de cette loi sont en contradiction avec le droit à la liberté et à la sécurité de la personne garanti par l’article 5-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) et par l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Pour cette raison, le gouvernement du Royaume-Uni a suspendu temporairement les obligations qui lui incombent en vertu de ces dispositions ; il a donc exercé son droit de dérogation et a justifié cette mesure en affirmant que le Royaume-Uni était confronté à « un danger public menaçant la vie de la nation ». Toutefois, lorsque le ministre de l’Intérieur a annoncé en octobre 2001 que le gouvernement envisageait d’adopter cette loi, il a déclaré qu’« aucune information immédiate ne faisait état d’une menace spécifique contre le Royaume-Uni ». Le Royaume-Uni reste le seul pays qui a dérogé à la Convention européenne des droits de l’homme à la suite des attentats perpétrés le 11 septembre 2001 aux États-Unis d’Amérique.

Amnesty International est opposée à la détention pour une période illimitée sans inculpation ni jugement. L’organisation appelle le gouvernement du Royaume-Uni à remettre en liberté les personnes détenues en vertu de la Loi de 2001 relative à la sécurité et à la lutte contre la criminalité et le terrorisme, à moins qu’elles ne soient inculpées par un tribunal d’une infraction prévue par la loi et jugées selon une procédure conforme aux normes internationales d’équité.

Amnesty International considère que la détention sans inculpation ni jugement en application de cette loi viole un certain nombre d’autres droits des personnes incarcérées que le Royaume-Uni est tenu, en vertu du droit international, de respecter, et notamment le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de la détention et ordonne la remise en liberté si la détention est jugée illégale. Cette garantie énoncée, entre autres, à l’article 5-4 de la Convention européenne des droits de l’homme constitue une protection fondamentale contre la détention arbitraire et la torture et elle est réputée comme ne pouvant en aucun cas faire l’objet d’une dérogation.

Le placement d’une personne en détention illimitée en vertu de la Loi de 2001 relative à la sécurité et à la lutte contre la criminalité et le terrorisme peut, dans certains cas, équivaloir à l’inculper d’une infraction pénale et à la condamner sans jugement. L’organisation considère que cette loi viole le droit d’être présenté sans délai à un juge ainsi que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et le droit à la présomption d’innocence. Ces droits, que le Royaume-Uni reste tenu de respecter, sont garantis, entre autres, par les articles 5-3 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 14 du PIDCP.

Amnesty International est également préoccupée par les conséquences d’autres aspects de la loi. Celle-ci ne renferme aucune disposition donnant aux détenus le droit de consulter sans délai un avocat. Par ailleurs, dans la mesure où les éléments de preuve secrets ne sont pas nécessairement portés à la connaissance des personnes contre lesquels ils sont invoqués, la procédure appliquée par la Commission spéciale d’appel en matière d’immigration viole le droit à un procès équitable. Bien que la loi prévoie la désignation de défenseurs spéciaux chargés de représenter les intérêts des détenus, ils ne peuvent remplacer un avocat. Le défenseur spécial qui examine les éléments secrets ne peut en discuter avec l’intéressé ou avec son représentant. Ce secret empêche les détenus de contester véritablement les éléments de preuve sur la base desquels ils peuvent être maintenus en détention pour une période illimitée.

Amnesty International estime que les conditions dans lesquelles les personnes incarcérées ont été détenues dans deux prisons de haute sécurité – Woodhill dans le Buckinghamshire et Belmarsh à Londres – constituent également une violation de leurs droits fondamentaux. Dès leur incarcération, ils ont été placés en catégorie A (et même, dans un premier temps, en catégorie AA) et, en conséquence, ont été soumis au régime pénitentiaire le plus strict. Ils restent enfermés vingt-deux heures par jour dans leur cellule sans activités dignes de ce nom ou sans pouvoir rencontrer d’autres détenus et ne bénéficient pas de soins médicaux appropriés. Leurs contacts avec le monde extérieur sont limités : ils ont notamment été privés des visites de leurs familles pendant des mois en raison de lenteurs dans les contrôles de sécurité et, une fois l’autorisation accordée, les visites qu’ils ont pu recevoir étaient en parloir vitré, c’est-à-dire qu’ils étaient séparés de leurs proches par une paroi de verre. Les détenus sont obligés de se déshabiller et sont fouillés après les visites de leurs proches et de leurs avocats ; leurs contacts avec ces derniers sont en outre limités en termes de temps et de moyens.

Ces conditions de détention, s’ajoutant au fait que les détenus n’ont aucun moyen de savoir combien de temps ils resteront en prison, constituent une violation du droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements énoncé, entre autres, à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme auquel il ne peut en aucun cas être dérogé. Les détenus ont décrit leur situation à des envoyés d’Amnesty International comme une « torture psychologique ». L’organisation craint que leur capacité de donner des instructions à leurs représentants ne soit fortement amoindrie par la dégradation de leur santé physique et mentale résultant de leurs conditions de détention.

Amnesty International est particulièrement préoccupée par le cas de Mahmoud Abu Rideh, actuellement détenu dans la prison de Belmarsh. Ce Palestinien de trente et un ans, qui a obtenu le statut de réfugié en 1997 car il avait été victime d’actes de torture, souffre d’un syndrome grave de stress post-traumatique. Son état de santé physique et mentale s’est considérablement dégradé à la suite de son incarcération. Il a des tendances suicidaires et s’est fréquemment livré à des actes d’automutilation. L’organisation s’inquiète de ce que le maintien en détention de cet homme dans la prison de Belmarsh constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant. La Commission spéciale d’appel en matière d’immigration a rejeté pour la deuxième fois, le 24 juin 2002, une requête introduite par les représentants de Mahmoud Abu Rideh qui demandaient son transfert dans un hôpital psychiatrique où les mesures de sécurité imposées sont moins sévères.

Contexte
Huit personnes ont été arrêtées et placées en détention le 19 décembre 2001 en vertu de la Loi de 2001 relative à la sécurité et à la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Deux d’entre elles ont quitté « volontairement » le Royaume-Uni et trois autres ont été arrêtées par la suite. Neuf des 11 personnes qui contestent les mesures prises par le gouvernement britannique sont donc actuellement détenues.

À la connaissance d’Amnesty International, la plupart, voire la totalité, de ces détenus sont des demandeurs d’asile ou avaient obtenu le statut de réfugié au Royaume-Uni. L’organisation déplore que les individus détenus en vertu de la Loi de 2001 relative à la sécurité et à la lutte contre la criminalité et le terrorisme, qu’ils soient demandeurs d’asile ou réfugiés statutaires, soient privés de la protection accordée aux réfugiés par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Ils n’ont notamment pas la possibilité de contester, dans le cadre d’une procédure équitable, toute décision prise en vertu de la loi et qui porte atteinte à leur statut ou à leurs droits.

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