Royaume-Uni. Réaction d’Amnesty International à la décision de la Cour d’appel dans des affaires importantes pour la lutte mondiale contre la torture

Déclaration publique

EUR 45/013/2007

Le 30 juillet 2007, la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a fait connaître sa décision concernant des affaires qui ont valeur de test ; il s’agissait des recours formés par trois Algériens contre leur expulsion en Algérie pour des raisons de « sécurité nationale ». Une partie du jugement est publique, l’autre est secrète et n’est pas transmise aux appelants, ni aux avocats de leur choix, ni au public.

La Cour d’appel a statué que la Commission spéciale des recours en matière d’immigration devait réexaminer chacun de ces trois cas. Dans deux des trois cas, la Cour d’appel est parvenue à cette conclusion en se fondant sur des éléments tenus secrets. Amnesty International est préoccupée par le fait que non seulement ces deux hommes n’ont pas été informés des éléments retenus contre eux par les autorités britanniques, mais qu’ils ne seront pas non plus tenus au courant des éléments sur lesquels la Commission spéciale devra s’appuyer pour reconsidérer cette affaire. Le principe selon lequel la justice ne doit pas être simplement rendue mais aussi considérée comme ayant été rendue semble avoir été complètement ignoré.

La Cour d’appel a en outre confirmé la décision de la Commission spéciale selon laquelle il convenait d’exclure du tribunal les personnes faisant appel de leur expulsion et leurs avocats, y compris au moment où celui-ci examinait si les éléments incitant à penser que les personnes concernées couraient un risque réel d’être torturées ou maltraitées à leur retour étaient suffisants. Amnesty International est extrêmement déçue que la Cour d’appel ait donné son aval à une procédure aussi injuste, en particulier quand ce sont la vie et le sort d’individus qui sont en jeu. Il s’agit d’un renoncement grave au devoir de la Cour de défendre les droits fondamentaux de la personne.

La Commission spéciale avait conclu que l’expulsion de chacun de ces hommes pouvait avoir lieu en toute sécurité et légalité du fait qu’elle était parvenue à la conclusion qu’aucun d’entre eux ne courait un risque réel d’être torturé ou soumis à une autre forme de mauvais traitements ou de violations graves de ses droits fondamentaux. Ces conclusions – et en particulier celle selon laquelle les assurances diplomatiques obtenues par les autorités britanniques auprès de leurs homologues algériens réduisaient suffisamment le risque de voir ces hommes torturés ou maltraités s’ils étaient expulsés – n’ont pas été remises en question par la Cour d’appel dans la partie du jugement qu’elle a rendu publique.

En dépit des lacunes flagrantes des conclusions de la Commission spéciale quant aux risques réellement encourus par chacune de ces trois personnes si elles étaient expulsées en Algérie, la Cour d’Appel a accepté ces conclusions sans poser de question. Le fait que la Cour d’appel n’ait pas jugé nécessaire de contester les conclusions de la Commission spéciale soulève une réelle question : existe-t-il finalement un moyen de remettre en cause les assurances diplomatiques sur lesquelles se fondent les autorités britanniques pour obtenir l’expulsion de ces trois hommes ?

Dans le cas de Mustapha Taleb, la Cour d’appel a cependant statué que la Commission spéciale avait eu tort de conclure sans aucune preuve à l’appui que cet homme pourrait bénéficier d’une interprétation particulière de la législation algérienne. Les autorités britanniques avaient en effet été informées que l’interprétation qui avait été anticipée n’était pas celle qui avait été ou était susceptible d’être adoptée en Algérie. Cependant, il a fallu plus d’un an et une longue procédure en appel pour que cette erreur soit reconnue par les tribunaux britanniques.

Si la Cour d’appel a confirmé les conclusions de la Commission spéciale dans les affaires de « BB » et « U », selon lesquelles leur renvoi en Algérie pouvait se dérouler en toute sécurité compte tenu des assurances qu’avaient reçues les autorités britanniques de leurs homologues algériens, elle a néanmoins décidé que leur cas devait être renvoyé devant la Commission spéciale, en se fondant sur des éléments qui sont tenus secrets. Ceci signifie que ni U ni BB ni leurs avocats ne connaissent les raisons pour lesquelles la Cour d’appel a renvoyé leur dossier devant la Commission spéciale.

Complément d’information

Dans trois décisions antérieures distinctes, la Commission spéciale des recours en matière d’immigration avait entériné l’avis du ministre de l’Intérieur et rejeté l’appel de Mustapha Taleb, ressortissant algérien appelé « Y » précédemment pour des raisons juridiques, et de deux autres Algériens uniquement connus comme « U » et « BB », pour les mêmes raisons. La Commission spéciale avait conclu que chacun de ces hommes pouvait raisonnablement être expulsé en Algérie parce qu’il constituait une menace pour la sécurité du Royaume-Uni, et qu’il n’y avait pas de risque réel qu’il soit torturé ou maltraité s’il était renvoyé en Algérie.

Amnesty International a assisté à la plupart des audiences de la Commission spéciale et de la Cour d’appel ouvertes au public, pour chacune de ces trois affaires. L’organisation considère que renvoyer ces trois hommes serait les exposer à un risque réel de graves violations des droits humains, y compris la torture et d’autres mauvais traitements ; que les prétendues assurances données par les autorités algériennes selon lesquelles ces trois hommes seraient protégés sont à prendre avec beaucoup de réserve ; que la justice a privé jusqu’à maintenant ces hommes de la possibilité réelle de contester l’assertion des autorités britanniques selon laquelle ils représentent un danger pour la sécurité du Royaume-Uni.

De nombreux éléments, y compris des rapports d’Amnesty International, attestant du risque de torture que courent les individus qui sont arrêtés par le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) algérien, ont été soumis à la Commission spéciale lorsqu’elle examinait le premier recours de chacun de ses hommes contre leur expulsion. La Commission spéciale n’a pas pris en compte ces informations.

Amnesty International n’a cessé d’exprimer son inquiétude quant au fait que les services des renseignements de l’armée algérienne arrêtent et violentent systématiquement les personnes soupçonnées de participation au terrorisme. Même le gouvernement britannique reconnaît maintenant que si ces hommes sont expulsés en Algérie, il est pratiquement certain qu’ils seront détenus au secret par les services de renseignements algériens. Le Département du renseignement et de la sécurité est spécialisé dans l’interrogatoire de personnes soupçonnées de détenir des informations sur des activités terroristes. Il est de notoriété publique qu’il a recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements.

Mustapha Taleb a survécu à la torture en Algérie et s’est rendu au Royaume-Uni où il a été reconnu comme réfugié. Il fait partie d’un groupe d’hommes ayant été inculpés, jugés et finalement acquittés en 2005, au Royaume-Uni, de toutes les charges retenues à leur encontre en liaison avec un complot présumé visant à fabriquer des poisons et des explosifs. Sa détention, qui durait depuis janvier 2003, avait pris fin après son acquittement, en avril 2005. Mais il a été de nouveau arrêté et incarcéré en vue de son renvoi en Algérie pour des raisons liées à la « sécurité nationale ».

Avec d’autres, Mustapha Taleb a formé un recours devant la Commission spéciale des recours en matière d’immigration, contestant le fait qu’il représentait un danger pour la « sécurité nationale » et invoquant le risque réel qu’il courait d’être torturé s’il était renvoyé en Algérie. Amnesty International a assisté aux audiences publiques de la Commission spéciale consacrées à cette affaire. Alors qu’il avait été acquitté précédemment, les accusations portées contre lui lors de ces audiences publiques reprenaient les même allégations que celles qui avaient été invoquées au pénal et que le jury avait alors clairement rejetées.

Pour prendre sa décision dans l’affaire Mustapha Taleb, la Commission spéciale s’est appuyée sur des informations secrètes des autorités britanniques qui n’ont été communiquées ni à lui, ni aux avocats qu’il avait choisis, ni au public. La procédure suivie par la Commission spéciale était profondément inique ; elle a privé Mustapha Taleb du droit à être entendu de manière équitable et de la possibilité de contester efficacement les accusations des autorités britanniques selon lesquelles il représentait un danger pour la « sécurité nationale ».

Trois membres du jury qui avait acquitté Mustapha Taleb lors de son procès pénal se sont dits consternés de ce que cet homme, acquitté à l’issue d’une procédure pénale, voyait de nouveau les mêmes éléments utilisés lors des audiences publiques de la Commission spéciale pour « justifier son expulsion ». Voici ce que ces jurés ont écrit à Amnesty International :

« En tant que simples citoyens, nous avons vu se dérouler sous nos yeux une série d’événements orchestrés par les autorités et entachés d’injustice à un tel point que nous nous sentons forcés de nous exprimer. Ce qui se passe est contraire à tout ce que nous aurions cru possible dans une société libre et démocratique. Depuis janvier 2003, Y [Mustapha Taleb] est persécuté par notre gouvernement au-delà des limites de l’imaginable. Tous les trois, nous avons fait partie du jury lors du procès de Y (« procès de la ricine inexistante ») ; au bout de sept mois passés à écouter attentivement les témoignages et les déclarations à charge et à décharge, notre jury a acquitté cet homme de tous les chefs d’accusation en pensant qu’une fois libéré, il pourrait commencer à construire une vie nouvelle dans ce pays. »

La Commission spéciale a statué que BB constituait un « risque pour la sécurité nationale », presque exclusivement sur la base d’éléments présentés à huis clos, dont il n’a pas eu connaissance et qu’il n’a pas pu contester. U a également été reconnu par la Commission spéciale comme représentant un risque pour la sécurité du pays. Il ne reconnaît pas cette décision mais a renoncé à son droit de recours n’ayant pas confiance en la capacité de la Commission spéciale de lui permettre de bénéficier d’une procédure équitable.

Pour plus d’informations sur les préoccupations d’Amnesty International en ce qui concerne les tentatives des autorités britanniques concernant des expulsions en Algérie, veuillez vous reporter aux deux documents suivants :
Royaume-Uni. Examen par la Cour d’appel d’un dossier clé dans le combat mondial contre la torture (index AI : EUR 45/009/2007, 18 juin 2007) http://web.amnesty.org/library/index/FRAEUR450092007

UK : Deportations to Algeria at all costs, (index AI : EUR 45/001/2007, 26 février 2007)
http://web.amnesty.org/library/Index/ENGEUR450012007

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