Communiqué de presse

Russie. Les attaques contre les droits des personnes LGBTI se poursuivent

Amnesty International est toujours vivement préoccupée par les attaques persistantes et continues des autorités russes contre les droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTI). Ces attaques se manifestent par une négation du droit des personnes LGBTI à l’égalité et à la protection contre la discrimination, à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Les autorités ne poursuivent pas les auteurs de crimes de haine contre ces personnes. Le président russe Vladimir Poutine a par ailleurs accentué la pression sur les personnes LGBTI en signant une loi qui restreint encore la liberté d’expression.

Le 29 juin, à Saint-Pétersbourg, des militants et sympathisants LGBTI ont tenté d’organiser une manifestation pacifique visant à sensibiliser le public à l’augmentation de l’homophobie, et aux discriminations et aux attaques violentes contre les personnes LGBTI en Russie. L’événement a été organisé au Marsovo Pole (Champ de Mars), au centre-ville, dans une zone spéciale surnommée « Hyde Park », où il n’est pas nécessaire d’avoir une autorisation préalable des autorités municipales. Les organisateurs les avaient toutefois informées de la date et de l’objet de l’événement, conformément à la loi.

Cependant, peu après le début de la manifestation, la police a informé les manifestants qu’une plainte avait été déposée auprès des autorités locales. Cette plainte indiquait que le rassemblement violait l’interdiction de la « propagande de l’homosexualité » chez les mineurs, imposée par la loi municipale de 2012. Quand les manifestants ont refusé de quitter les lieux, la police les a encerclés, puis les a dirigés vers un véhicule garé à proximité. Quelque 55 militants LGBTI auraient ainsi été arrêtés. Les autorités ont ensuite engagé une procédure administrative contre eux pour non-respect de la législation malgré les injonctions des responsables de l’application des lois. Ces personnes ont toutes été relâchées le même jour, à l’exception d’un des leaders, qui n’a été libéré que le lendemain. Toutefois, les accusés risquent d’être condamnés à une amende ou une peine de détention allant jusqu’à 15 jours d’emprisonnement.

L’événement a également attiré l’attention de contre-manifestants homophobes, dont le nombre dépassait celui des militants et sympathisants LGBTI. Ils ont scandé des slogans insultants envers les manifestants LGBTI, ont jeté des pierres, des œufs et des fumigènes, et agressé physiquement les militants. Au moins un des militants a subi des blessures graves à la suite de ces attaques (fractures de la mâchoire et du nez). La police a arrêté plusieurs des assaillants, entre huit et dix d’entre eux, selon les sources.
Toutefois, malgré ces violences et le fait que les contre-manifestants n’avaient pas informé les autorités de leur présence en-dehors de la zone désignée, la police n’a pas cherché à les disperser, ce qui indique une application « sélective » de la loi, en défaveur des défenseurs des droits des personnes LGBTI.

Par le passé, Amnesty International a recensé plusieurs cas où le gouvernement russe n’a pas ouvert d’enquête ni lancé de poursuites contre les suspects de crimes de haine visant des LGBTI, ni même cherché à savoir pourquoi la police n’avait pas prévenu de tels actes. Amnesty International appelle le gouvernement à veiller à ce que ces récentes attaques fassent l’objet d’une enquête approfondie, et à prêter une attention particulière à toute dimension discriminatoire. Les auteurs de ces actes, s’il existe des preuves recevables, doivent rendre des comptes.

Les 29 et 30 juin, Dmitri Isakov, un militant LGBTI, a fait un piquet dans la ville de Kazan, car c’est la seule forme de protestation qui ne nécessite pas d’autorisation préalable et de notification des autorités en dehors des zones désignées mentionnées plus haut. Kazan accueillera les Universiades de 2013 et ce militant voulait montrer que la ville était tolérante. Toutefois, les autorités locales ont refusé d’autoriser une plus grande manifestation dans la ville, en invoquant la protection des enfants et des valeurs familiales. Dmitri Isakov s’est donc résolu à procéder à un piquet tout seul. La police l’a arrêté dans la soirée du 29 juin, sans lui communiquer les motifs de son arrestation. Dmitri Isakov s’est plaint de mauvais traitements lors de l’arrestation. Il présenterait depuis plusieurs contusions. À la connaissance d’Amnesty International, aucune accusation n’a été portée contre lui et il a été libéré le soir même, après un entretien avec la police. Les policiers l’auraient menacé afin qu’il renonce à faire un autre piquet le lendemain.

Lorsque le militant a tenté de réitérer son action le 30 juin, il a été immédiatement arrêté et emmené au poste de police, où il a passé plusieurs heures avant d’être relâché dans la soirée. À la connaissance d’Amnesty International, encore une fois, aucune accusation formelle n’a été portée contre lui.

Concernant ces deux affaires, Amnesty International exprime sa préoccupation quant aux fondements juridiques de l’intervention de la police dans une manifestation pacifique touchant à la liberté de réunion et d’expression. Les séquences vidéo et les photos disponibles de la manifestation sur le Marsovo Pole, le 29 juin et l’arrestation de ses participants, ainsi que le piquet de Dmitri Isakov, les 29 et 30 juin à Kazan, ne contiennent aucune indication que les militants LGBTI et leurs sympathisants aient eu une conduite désordonnée, violé les règles de la circulation ou aient eu un comportement ou des activités non pacifiques, à l’exception d’une légitime défense lors des attaques des contre-manifestants homophobes.

Amnesty International estime que ces personnes ont été arrêtées et risquent des amendes ou des détentions administratives uniquement pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté de réunion et à la liberté d’expression, ce qui constitue une violation des obligations de la Russie aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Constitution russe elle-même. En ce qui concerne l’arrestation des manifestants pacifiques LGBTI, l’organisation souligne qu’il semble que, dans les deux cas, elle était arbitraire et liée au simple exercice pacifique de droits humains.

Le 30 juin, le président Poutine a signé la loi fédérale n° 135-FZ « portant modification de l’article 5 de la loi fédérale sur la protection des enfants contre les informations susceptibles de nuire à la santé et au développement des enfants, et de certains actes législatifs de la Fédération de Russie afin de protéger l’enfance des informations portant atteinte aux valeurs familiales traditionnelles ». Ce texte est entré en vigueur le 1er juillet. Le projet de loi initial visait à interdire la « propagande de l’homosexualité », mais cette formulation a été remplacée par « relations sexuelles non traditionnelles » dans une version ultérieure.

La loi considère comme une infraction administrative la « propagande des relations sexuelles non traditionnelles » chez les mineurs, sous la forme de « diffusion d’informations visant à former des concepts non traditionnels », à rendre ces relations « attirantes », et à introduire des « perceptions perverties de l’égalité sociale entre les relations traditionnelles et non traditionnelles » ou encore à « imposer des informations » destinées à « susciter un intérêt » pour les relations de cette nature. Le libellé de la loi est très vague et ces termes ne sont pas définis dans le texte ni dans d’autres lois du pays. Cependant, dans une interview avec les médias russes, la députée Yelena Mizoulina, l’une des initiatrices de cette loi, a expliqué que les « les relations non traditionnelles » pouvaient être interprétées comme englobant celles « des gays, des lesbiennes, des bisexuels et des transgenres ».

Les pénalités prévues par cette loi comprennent des amendes allant jusqu’à 100 000 roubles russes (environ 2300 euros) pour les particuliers, jusqu’à 200 000 roubles (environ 4 600 euros) pour les fonctionnaires, et jusqu’à un million de roubles (environ 23 000 euros) ou la suspension des activités pour un maximum de 90 jours pour les personnes morales. Les étrangers ou apatrides peuvent en outre être soumis à une détention d’un maximum de 15 jours et à une expulsion.

Amnesty International est très préoccupée par cette loi, qui porte atteinte aux droits à la non-discrimination et à la liberté d’expression et de réunion des personnes LGBTI. Les lois de ce type perpétuent les préjugés selon lesquels ces personnes sont des êtres inférieurs, voire des criminels potentiels, et justifient la discrimination à leur encontre, en droit ou en pratique, au seul motif de leur orientation sexuelle ou identité de genre. Ces lois contribuent à créer un climat d’hostilité envers ces personnes et, dans certains cas, comme Amnesty International l’a observé, encouragent les violences à leur encontre.

Le déni de soutien et d’information sur la sexualité est contraire aux obligations de la Russie aux termes de la Convention relative aux droits de l’enfant, et réfute l’idée que l’orientation sexuelle fasse partie de l’identité intime et immuable d’une personne. Une telle loi risque d’empêcher les jeunes LGBTI d’obtenir ou de partager des informations essentielles pour leur santé et leur bien-être, notamment au sujet des groupes sociaux, des réseaux de soutien et de la santé sexuelle et reproductive.

Amnesty International s’inquiète également du fait que la loi en question puisse faire obstacle à la liberté d’association.

Amnesty International demande une nouvelle fois aux autorités russes de respecter leurs obligations internationales en matière de droits humains, d’abroger les lois et politiques discriminatoires à l’égard des personnes LGBTI et de s’abstenir de toute nouvelle atteinte injustifiée au droit à la liberté d’expression, à la liberté de réunion et à la liberté d’association de toute personne sous leur juridiction. Nous appelons également les autorités russes à abandonner les traitements discriminatoires contre les personnes LGBTI, à leur assurer une protection adéquate contre les actes de violence, y compris ceux qui sont motivés par la haine fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, réelle ou supposée, et à veiller à ce que les attaques visant ces personnes fassent l’objet d’enquêtes exhaustives et sans délais injustifiés.

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