Oyoub Titiev, responsable du bureau de l’organisation de défense des droits humains Memorial dans la capitale tchétchène Grozny, encourt jusqu’à 10 ans de prison pour des accusations forgées de toutes pièces de possession de stupéfiants. Son procès s’ouvre le 9 juillet, devant le tribunal municipal de Shali.
« Les poursuites pénales engagées contre Oyoub Titiev sont scandaleuses. Les charges retenues contre lui sont motivées par des considérations politiques. Il s’agit de représailles contre un homme courageux qui défend les droits fondamentaux dans une région gangrénée par de graves violations, allant des disparitions forcées à la torture dans les prisons secrètes, a déclaré Marie Struthers, directrice du programme Europe de l’Est et Asie centrale à Amnesty International.
« L’espoir est mince que le droit à un procès équitable d’Oyoub Titiev soit respecté. En Tchétchénie, l’indépendance de la justice est une utopie et les magistrats sont harcelés et intimidés par des hommes armés qui ne respectent aucune loi, mais obéissent aux seuls ordres du président de la République Ramzan Kadyrov, soutenu par le Kremlin. »
L’équipe de défenseurs d’Oyoub Titiev a demandé à ce qu’il soit jugé dans une autre région de Russie afin d’éviter toute pression de l’exécutif sur les juges. Le 5 juillet, la Cour suprême de Tchétchénie a rejeté cette requête. Ses avocats ont fait appel de cette décision.
« Le transfert de cette affaire hors de Tchétchénie pourrait être la dernière chance que la condamnation d’Oyoub Titiev ne soit pas décidée dès le départ », a déclaré Marie Struthers.
Oyoub Titiev a été arrêté au volant de sa voiture par la police à Grozny le 9 janvier 2018 et détenu au secret pendant plusieurs heures.
Les autorités tchétchènes ont affirmé par la suite que des stupéfiants avaient été « découverts » dans son véhicule. Oyoub Titiev a nié ces allégations et affirmé que les stupéfiants avaient été placés dans son véhicule par la police.
Memorial est la cible permanente de représailles
Depuis plusieurs années, Memorial et ses employés en Tchétchénie sont soumis à des actes de harcèlement et d’intimidation, ainsi qu’à des violences physiques. En 2009, Natalia Estemirova, membre de Memorial, a été enlevée près de chez elle et assassinée. Personne n’a été traduit en justice pour ce meurtre.
Oyoub Titiev a été directement visé par Ramzan Kadyrov lui-même. En 2010, le président a en effet déclaré à la télévision tchétchène qu’« un homme et une femme du bureau de Memorial à Goudermes » – faisant clairement référence à Oyoub Titiev et sa collègue – étaient « les ennemis du peuple, de la loi et de l’État ».
Ramzan Kadyrov a qualifié Oyoub Titiev de « toxicomane », en violation de son droit à la présomption d’innocence, ce qui pourrait constituer une pression sur le tribunal.
Memorial est la cible de multiples attaques en Tchétchénie et dans les régions voisines du Caucase du Nord. Peu après l’arrestation d’Oyoub Titiev, le bureau de Memorial à Nazran, en Ingouchie, a été incendié. Les auteurs de cet acte n’ont toujours pas été identifiés. Le 28 mars, Sirajoudine Datsiev, responsable du bureau de Mémorial au Daghestan, a été roué de coups par un inconnu.
Victimes de harcèlement judiciaire et d’intimidation
Ramzan Kadyrov n’hésite pas à réprimander ouvertement les magistrats et les jurés en Tchétchénie. En mai 2016, estimant leurs décisions trop clémentes à l’égard des accusés, il a demandé la démission de plusieurs juges, dont le président de la Cour suprême Magomed Karataïev.
Trois juges et Magomed Karataïev ont démissionné après avoir présenté des excuses publiques à Ramzan Kadyrov et au peuple tchétchène.
D’autres hauts membres de la magistrature ont continué de subir des pressions. En octobre 2016, le président du Parlement tchétchène, Magomed Daudov, a rendu visite au président par intérim de la Cour suprême Takhir Mourdalov et l’a menacé d’actes violents.
Les autorités fédérales feignent d’ignorer les atteintes aux droits humains commises en Tchétchénie
Les autorités fédérales russes violent leurs obligations en termes de protection des droits humains en Tchétchénie, fermant les yeux sur les violations systématiques et graves de ces droits.
Même les informations faisant état l’an dernier d’une « purge homosexuelle » dans la région n’ont eu qu’un écho limité au niveau fédéral, les autorités refusant de diligenter une enquête officielle et ignorant les éléments de preuve crédibles fournis par des journalistes et des défenseurs des droits humains à ce sujet.