Communiqué de presse

Russie. Des défenseurs des droits humains de nouveau victimes de menaces et d’actes de harcèlement en Tchétchénie

Amnesty International est profondément inquiète depuis les récents actes de harcèlement et la série de menaces – la plus récente ayant été proférée il y a seulement quelques jours – dont ont été victimes des membres du Comité interrégional contre la torture, une organisation non gouvernementale (ONG) connue pour ses activités visant à faire respecter les droits des victimes d’actes de torture et à mettre fin à l’impunité des agents des forces de l’ordre responsables de violations des droits humains en Tchétchénie et dans toute la Russie.

La pression exercée sur le Comité en Tchétchénie s’est accrue le 24 juin 2011, lorsque celui-ci a organisé une mobilisation dans le centre de Grozny, la capitale, afin de célébrer la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture. Les participants, notamment des personnes ayant subi des actes de torture et des parents de victimes de disparition forcée, ont déployé des banderoles condamnant le recours à la torture par la police et l’impunité des policiers commettant des violations des droits humains. Ce rassemblement avait reçu l’aval des autorités et s’est déroulé de manière pacifique. Néanmoins, une heure après avoir commencé, il a été dispersé par la police, qui a menacé les manifestants de poursuites pénales pour « diffamation ». Soupian Baskhanov, directeur du bureau du Comité à Grozny, a été arrêté et emmené dans un poste de police où il a été contraint à fournir par écrit des informations sur les organisateurs et les objectifs de la mobilisation.

Il a été relâché après avoir rédigé cette déclaration mais, plus tard dans la journée, il a été de nouveau convoqué au poste de police. Il s’y est rendu avec un collègue du Comité, Magomed Alamov. Selon eux, ils ont été détenus plus de trois heures et ont reçu des menaces directes de la part d’officiers supérieurs qui spéculaient sur les « activités subversives » du Comité interrégional contre la torture. On leur a demandé leurs adresses et on les a questionnés sur les membres de leur famille, y compris les enfants. Les policiers ont clairement fait comprendre que les membres du Comité ne seraient pas autorisés à poursuivre leurs activités en Tchétchénie et subiraient d’autres conséquences lourdes s’ils critiquaient la police tchétchène. Pour eux, de telles critiques pourraient laisser penser que les familles des membres du Comité entretiennent des liens avec des groupes armés illégaux.

D’après le Comité interrégional contre la torture, Soupian Baskhanov a reçu de nouvelles menaces policières un mois plus tard. Le 28 juillet, il s’est entretenu avec un représentant de la police tchétchène dans les locaux du tribunal du district de Vedensky. Celui-ci lui a indiqué que la police était en train de monter un dossier contre lui dans lequel elle l’accusait d’aider des groupes armés illégaux. Le policier a précisé que ces informations, entre autres, seraient transmises au ministère de la Justice, qui n’engage pas de poursuites mais conserve un registre des avocats accrédités, ce qui laissait entendre que Soupian Baskhanov se verrait retirer son autorisation de pratiquer le droit.

Des membres du Comité interrégional contre la torture installés hors de la Tchétchénie ont également reçu des menaces. Une semaine avant que la mobilisation du mois de juin ne débute à Grozny, la directrice adjointe du Comité, Olga Sadovskaya, a découvert des graffitis sur des immeubles de son quartier, à Nijni Novgorod. Il s’agissait de menaces directes et d’insultes : elle était qualifiée de traîtresse et de partisane du terrorisme et de l’extrémisme.

Ces dernières années, Amnesty International a reçu de nombreuses informations indiquant que la police tchétchène menace et harcèle les proches des personnes qui critiquent les autorités. Des allégations de liens avec des groupes armés et d’« aide aux terroristes » ont déjà été à l’origine de graves violations des droits humains visant des familles tchétchènes, notamment des arrestations arbitraires et des mauvais traitements, des disparitions forcées et des destructions de biens à titre punitif.

Depuis des années, les ONG indépendantes travaillant en Tchétchénie sont régulièrement la cible de manœuvres d’intimidation et d’actes de harcèlement. À la suite des homicides de la défenseure des droits humains tchétchène Natalia Estemirova en juillet 2009 et de Zarema Sadoulaïeva et Alik (Oumar) Djabraïlov – un couple appartenant à une organisation humanitaire – en août 2009, plusieurs ONG ont réduit leurs activités en Tchétchénie de crainte que la vie de leurs membres ne soit en danger parce qu’ils dénonçaient ouvertement les violations des droits humains commises dans cette république ou simplement parce qu’ils réclamaient le respect des droits fondamentaux et de l’état de droit.

L’homicide de Natalia Estemirova et la fermeture temporaire du bureau du centre de défense des droits humains Mémorial en Tchétchénie ont marqué une césure dans le travail des défenseurs des droits humains en Tchétchénie. Le Comité interrégional contre la torture, basé à Nijni Novgorod, a alors décidé de créer le Groupe commun mobile pour la Tchétchénie. Cette initiative a rassemblé des avocats et des défenseurs des droits humains issus d’ONG travaillant dans toute la Russie et permis d’établir une présence tournante mais permanente afin de prendre en charge les dossiers concernant des violations des droits humains qui auraient été commises par des représentants des autorités tchétchènes, notamment des policiers. En mai 2011, le Groupe s’est vu décerner le prestigieux prix Front Line pour les défenseurs des droits humains en danger. Le 23 juin, le Comité lui-même s’est vu attribuer le Prix des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

L’un des dossiers pris en charge par le Groupe commun mobile est celui d’Islam Oumarpachaïev, un jeune tchétchène qui a été détenu illégalement par les forces de l’ordre et aurait été torturé entre le 11 décembre 2009 et le 2 avril 2010. Cet homme a déposé plusieurs plaintes ayant trait à sa détention illégale et aux actes de torture dont il a été victime mais, pendant des mois, son affaire a manifestement été instruite de manière inefficace. Cependant, grâce à l’assistance juridique et aux mesures de protection du Groupe commun mobile dont ont bénéficié Islam Oumarpachaïev et sa famille et surtout grâce au courage et à la persévérance des membres du Comité interrégional contre la torture ainsi que de la victime elle-même, l’enquête a été transférée à des représentants de l’État en poste à l’extérieur de la Tchétchénie. Depuis lors, elle a réellement progressé, permettant d’identifier certaines des personnes qui, selon Islam Oumarpachaïev, l’ont détenu illégalement et torturé, et de recueillir de solides preuves à charge.

Amnesty International s’en félicite. Néanmoins, l’organisation a exprimé ses inquiétudes à la suite des menaces qui auraient été proférées à l’égard des enquêteurs en Tchétchénie par des personnes qui auraient été impliquées dans la détention illégale et la torture d’Islam Oumarpachaïev. Elle a appelé les autorités fédérales russes à fournir aux enquêteurs une protection totale, efficace et adaptée, comme le réclament les circonstances. En outre, Amnesty International s’est déclarée préoccupée à plusieurs reprises par les menaces visant des membres du Comité interrégional contre la torture, qui joue un rôle moteur dans l’affaire d’Islam Oumarpachaïev, et du Groupe commun mobile, qu’il dirige en Tchétchénie.

Selon la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme (1998), c’est à l’État qu’incombe la responsabilité première de prendre les mesures permettant d’assurer la protection des personnes qui défendent les droits humains. Les États ont l’obligation de permettre à chacun de protester pacifiquement, de publier et diffuser des informations et de critiquer la politique des autorités nationales et locales en matière de protection et de promotion des droits humains. Par ailleurs, les droits à la liberté d’expression et d’association sont des droits fondamentaux et constituent des moyens essentiels, légaux et pacifiques par lesquels les défenseurs des droits humains et toute personne souhaitant s’engager dans ce domaine peuvent promouvoir, développer et protéger les droits fondamentaux. Toute personne a le droit de chercher, obtenir, recevoir et détenir des informations sur les droits humains et leurs violations, de diffuser les éléments qu’elle a découverts et d’exprimer publiquement ses opinions.

Depuis l’enlèvement et l’homicide de Natalia Estemirova et d’autres membres d’ONG travaillant en Tchétchénie (aucune de ces infractions n’ayant fait l’objet d’une enquête exhaustive et aucun des auteurs présumés n’ayant été traduit en justice), Amnesty International s’inquiète du fait que des menaces comme celles décrites plus haut ont été proférées à plusieurs reprises et craint fortement qu’elles n’aient des conséquences tragiques.

L’organisation appelle les autorités russes à enquêter efficacement sur les menaces et les attaques dont ont été victimes des défenseurs des droits humains en Tchétchénie. Les auteurs présumés de ces actes doivent être identifiés et traduits en justice. Les autorités de toutes les composantes de la Fédération de Russie, notamment de la République de Tchétchénie, doivent faire preuve de respect envers le travail des défenseurs des droits humains et permettre à ceux-ci d’exercer leurs activités sans crainte et sans risque de représailles.

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