Russie : Les conditions de transport des prisonniers rappellent la période du Goulag

Selon un nouveau rapport publié le mercredi 25 octobre par Amnesty International, les prisonniers en Russie subissent des conditions inhumaines, souvent pendant des semaines, quand ils sont transportés sur des milliers de kilomètres dans des trains bondés et sans fenêtre vers des colonies pénitentiaires.

Dans ce document (en anglais), intitulé Prisoner transportation in Russia : Travelling into the unknown, l’organisation documente les pratiques cruelles et dégradantes, héritées du passé soviétique, qui continuent à être imposées aux prisonniers comme aux prisonnières.

« Les condamnés sont entassés dans des espaces exigus, dans des trains dépourvus de ventilation et de lumière naturelle, avec de l’eau en quantité insuffisante, et peuvent rarement se rendre aux toilettes. Au terme de voyages qui peuvent durer bien plus d’un mois, ils arrivent finalement à destination, à des milliers de kilomètres de leurs familles », a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint pour l’Europe et l’Asie centrale à Amnesty International.

« Il est temps que les autorités russes se débarrassent enfin de l’héritage du Goulag. Elles doivent mettre fin à ces pratiques et veiller à ce que les prisonniers soient transportés dans des conditions conformes au droit international et aux normes internationales. »

Les prisonniers sont généralement transportés dans des wagons spéciaux appelés « stolypines », dont beaucoup datent de l’ère soviétique. Douze prisonniers, voire plus, ainsi que leurs bagages, sont placés dans chaque compartiment sans fenêtre – d’une taille qui, dans un train de voyageurs normal, n’accueillerait que quatre couchettes d’une personne.

Un prisonnier a décrit son voyage, dans un compartiment partagé pendant quatre jours avec plus d’une dizaine d’autres prisonniers, au cours d’un trajet de cinq semaines et demie : « Nous avons voyagé pendant quatre jours vers Samara, sans literie, dans les vêtements que nous portions à notre arrivée, sans rien. Ils ne nous ont même pas donné la possibilité de nous laver les dents. Il faisait 40 degrés Celsius, il n’y avait pas d’eau dans le réservoir d’eau, ni dans les toilettes. »

« Nous avons voyagé pendant quatre jours vers Samara, sans literie, dans les vêtements que nous portions à notre arrivée, sans rien. Ils ne nous ont même pas donné la possibilité de nous laver les dents. Il faisait 40 degrés Celsius, il n’y avait pas d’eau dans le réservoir d’eau, ni dans les toilettes. »

Pendant le transport, les détenus ne peuvent utiliser les toilettes qu’une fois toutes les cinq ou six heures. Pendant les longues périodes d’attente aux embranchements ferroviaires, ils ne peuvent pas les utiliser du tout. Les prisonniers qui ont déjà connu ces conditions dans les trains expliquent qu’ils s’abstiennent de manger et de boire la nuit précédant le départ, et qu’ils emmènent avec eux autant de bouteilles en plastique que possible.

Un autre ancien prisonnier a déclaré : « Si j’avais su, j’aurais arrêté de boire la veille et j’aurais limité ma consommation d’eau. Il vaut mieux avoir soif que de souffrir dans le train. »

Une géographie façonnée par le passé soviétique

Bien que la législation dispose que les prisonniers doivent purger leur peine à proximité de leur domicile pour faciliter leur réadaptation, la plupart des prisonniers, en particulier les femmes, purgent leur peine à des milliers de kilomètres de chez eux et de leur famille.

Le Service fédéral d’application des peines (FSIN) a hérité du système soviétique du Goulag tout un réseau de colonies pénitentiaires, fréquemment situées dans
d’anciens camps de travail, dans des régions reculées et peu peuplées du pays. En conséquence, les prisonniers doivent être transportés sur de très longues distances, souvent jusqu’à 5 000 km, ce qui fait qu’il est extrêmement difficile pour leurs proches de leur rendre visite. Comme seulement 46 des 760 établissements pénitentiaires russes accueillent des femmes, elles risquent davantage que les hommes d’être soumises à de tels voyages. Il n’est pas rare que les voyages vers ces destinations durent un mois, voire plus.

« La distance est l’un des moyens utilisés pour affaiblir psychologiquement les prisonniers. Ils sont très loin de tout soutien, de toute assistance », explique Alexeï Sokolov, du Groupe des droits humains de l’Oural.

Au secret et soustraits à la protection de la loi

Le Service fédéral d’application des peines traite toutes les informations sur le transport des prisonniers dans le plus grand secret. Ni les prisonniers, ni leurs proches ou leurs avocats ne sont informés de la destination finale avant le début du transfert. L’interdiction de porter des montres, qui vient s’ajouter à l’absence de ventilation et de lumière naturelle, augmente encore la désorientation.

« Pendant ces longs trajets, les prisonniers n’ont pas la possibilité de contacter le monde extérieur et les autorités refusent de révéler où ils se trouvent. Ils "disparaissent" de fait pendant des semaines, voire des mois, sans que leurs familles aient de nouvelles, ce qui fait qu’ils sont soustraits à la protection de la loi et vulnérables à d’autres mauvais traitements. Du point de vue juridique, il s’agit de disparitions forcées », explique Denis Krivosheev.

Le cas d’Ildar Dadine (incarcéré pour avoir pris part à des manifestations antigouvernementales pacifiques et considéré comme un prisonnier d’opinion par Amnesty International), qui a disparu en décembre 2016 pendant plus d’un mois après avoir dit qu’il avait été torturé, a récemment illustré cette situation. Cet homme a refait surface plusieurs semaines plus tard, le 8 janvier 2017, dans une colonie pénitentiaire située à 3 000 kilomètres de l’établissement carcéral où il était détenu précédemment. Les autorités ont affirmé que cette mesure avait été prise « pour sa sécurité ».

« Les prisonniers confinés dans des compartiments de train bondés passent des jours, voire des semaines, sans aucun contact avec le monde extérieur. Une fois en transit, les prisonniers deviennent invisibles, et rien ne vient atténuer leurs souffrances soustraites aux regards. Il s’agit purement et simplement d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et il est temps que cela s’arrête », a déclaré Lioudmilla Alexeïeva, présidente du Groupe Helsinki de Moscou.
Les recherches d’Amnesty International sont également étayées par les conclusions d’autres organisations.

« Les mauvais traitements infligés aux prisonniers en transit sont un grave problème, que nous avons également constaté dans le cadre de certains de nos propres travaux en Russie », a déclaré Tania Lokchina, de Human Rights Watch.

« Très récemment, nous avons vu comment le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov a été transporté depuis la Iakoutie, dans l’Extrême-Orient russe, jusqu’au district autonome de Iamalo-Nénètsie, dans le Grand Nord russe – un voyage qui a duré plus d’un mois. »

Amnesty International, ainsi que Human Rights Watch et les défenseurs russes des droits humains, appellent le gouvernement russe à réformer le système pénitentiaire, et plus particulièrement le système de transport des prisonniers, afin de mettre fin à ces mauvais traitements, et notamment à :

  • fixer une durée maximale pour le transport des prisonniers ;
  • fermer les colonies pénitentiaires les plus éloignées des centres de population ;
  • mettre fin au surpeuplement dans les wagons des trains pénitentiaires ;
  • veiller à ce que les moyens de transport soient soumis à l’examen du public, et à ce que les familles et les avocats soient systématiquement informés du lieu où se trouvent les prisonniers ;
  • cesser de transférer les prisonniers en dehors de la région où ils résident, conformément à la législation en vigueur.
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