RUSSIE. Les poursuites pénales engagées contre un défenseur des droits humains doivent être abandonnées

Index AI : EUR 46/028/2010 (Public)

ÉFAI - 11 août 2010

Amnesty International demande l’abandon des poursuites pénales engagées contre Oleg Orlov.

Le 6 juillet 2010, Oleg Orlov, responsable du centre de défense russe des droits humains Mémorial, a été inculpé de diffamation envers le président tchétchène Ramzan Kadyrov, infraction passible en droit russe d’une peine pouvant aller jusqu’à trois années d’emprisonnement.

Il y a un an, on apprenait l’enlèvement et le meurtre de Natalia Estemirova, un des membres dirigeants de Mémorial en Tchétchénie. Réagissant à cet assassinat d’un membre de son personnel, Oleg Orlov avait alors déclaré que Ramzan Kadyrov était coupable du meurtre. Il avait souligné que le président Kadyrov avait menacé et insulté Natalia Estemirova et la considérait comme son ennemie personnelle. « Nous ne savons pas s’il a lui-même donné l’ordre ou si ses collaborateurs l’ont fait pour faire plaisir à leur chef », avait déclaré Oleg Orlov, en expliquant sa position.

Les propos d’Oleg Orlov publiés sur le site web de Mémorial ont été largement repris dans les médias russes et étrangers.

Le président Kadyrov a engagé une action au civil pour diffamation orale à l’encontre d’Oleg Orlov et de Mémorial et intenté une action en vue de l’ouverture d’une information judiciaire pour diffamation écrite contre Oleg Orlov. Le directeur de Mémorial a déclaré au tribunal que ses propos n’impliquaient pas directement Ramzan Kadyrov dans le meurtre de la défenseure des droits humains Natalia Estemirova, mais sous-entendaient sa culpabilité « au sens politique et social » et traduisaient son opinion sur le rôle du président Kadyrov dans la création d’une situation dangereuse pour les défenseurs des droits humains en Tchétchénie ces dernières années.

Le 6 octobre 2009, un tribunal de district à Moscou a donné gain de cause au président Kadyrov et condamné les défendeurs à publier un démenti sur le site web de Mémorial et à verser 70 000 roubles (1774 euros) de compensation morale au président Kadyrov – décision de laquelle les défendeurs ont fait appel.

Au cours de l’audience en diffamation, Oleg Orlov et ses collègues ont produit devant la cour plusieurs déclarations publiques du président Kadyrov et de ses plus proches collaborateurs, dans lesquelles étaient proférées des menaces à l’encontre des défenseurs des droits humains et autres opposants aux autorités de Tchétchénie.

En février 2010, les médias avaient largement fait écho au « retrait » de la plainte du président Kadyrov contre Oleg Orlov, laissant entendre que les poursuites pénales seraient abandonnées. Toutefois, l’information judiciaire a suivi son cours et le 6 juillet, Oleg Orlov a été inculpé au titre de l’article 129 du Code pénal.

Amnesty International insiste sur le fait que les défenseurs des droits humains ont le droit de dénoncer les graves violations des droits humains commises en Tchétchénie. Les lois contre la diffamation ne devraient pas être utilisées pour entraver leur action légitime – qui se poursuit dans un contexte de harcèlement continu, d’actes d’intimidation, de menaces et d’homicides. Il est clairement établi en droit international que les agents de l’État doivent tolérer la critique davantage – et non moins que les particuliers. Les lois contre la diffamation ne doivent pas fournir aux agents de l’État une protection particulière et les agents de l’État ne doivent pas bénéficier de l’aide de l’État pour intenter des actions en diffamation à titre individuel. Les autorités publiques ne doivent jouer aucun rôle dans des actions intentées par des agents de l’État prétendant avoir été diffamés. Tout agent de l’État qui souhaite intenter une action en diffamation doit pouvoir le faire mais seulement au civil et à titre individuel.

Les meurtres de militants d’ONG en Russie et en Tchétchénie n’ont pas cessé après la mort de Natalia Estemirova. Seulement quatre semaines après son assassinat, Zarema Saidoulaïeva, membre de l’ONG Sauvons les enfants, et son mari Alik DjabraÏlov ont également été enlevés, par des hommes qui se seraient présentés comme des agents de la force publique ; ils ont été retrouvés morts dans le coffre de leur voiture.

Les défenseurs des droits humains en Russie travaillant sur le Nord Caucase sont depuis longtemps soumis à une pression intense dans leur travail. De nombreux responsables, y compris le Premier ministre Vladimir Poutine en janvier 2010, ont affirmé que les organisations de défense des droits humains devaient pouvoir travailler dans cette région. Pourtant les actes d’intimidation à l’égard des défenseurs des droits humains en Tchétchénie se poursuivent sans que rien ne soit entrepris pour les faire cesser et la procédure pénale engagée contre Oleg Orlov se poursuit.

Amnesty International s’inquiète de constater que des menaces verbales directes contre les défenseurs des droits humains en Tchétchénie continuent d’être proférées par les plus hauts responsables. Ainsi, dans un entretien accordé le 3 juillet 2010, le président Kadyrov aurait qualifié les défenseurs des droits humains de traîtres et d’ « ennemis du peuple, ennemis de la loi, ennemis de l’État », citant Oleg Orlov, le groupe Mémorial de défense des droits humains et ses membres travaillant en Tchétchénie. Mémorial considère qu’il s’agit là d’une « menace directe et ouverte » et reste plus que jamais sur ses gardes en ce qui concerne la sécurité de son personnel.

Complément d’information

Dans son arrêt du 8 juillet 1986, rendu dans l’affaire Lingens c. l’Autriche, la Cour européenne des droits de l’homme affirme : « (...) les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance. Assurément, l’article 10 par. 2 (art. 10-2) permet de protéger la réputation d’autrui, c’est-à-dire de chacun. L’homme politique en bénéficie lui aussi, même quand il n’agit pas dans le cadre de sa vie privée, mais en pareil cas les impératifs de cette protection doivent être mis en balance avec les intérêts de la libre discussion des questions politiques. » (paragraphe 42)

Les Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires,arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions précisent en outre que « les supérieurs hiérarchiques, les fonctionnaires ou autres agents de l’Etat pourront répondre des actes commis par des agents de l’Etat placés sous leur autorité s’ils avaient raisonnablement la possibilité de prévenir de tels actes. » (Principe 19)

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