La Russie doit mettre fin à la torture, aux mauvais traitements, aux « disparitions » et aux détentions arbitraires en Tchétchénie

Déclaration publique

EUR 46/009/2007

Amnesty International demande à la Russie de prendre immédiatement des mesures concrètes pour éradiquer la torture et les autres formes de mauvais traitements, les détentions arbitraires et les « disparitions » dans la République tchétchène et de mettre fin à l’impunité pour ces violations. L’organisation lance cet appel après que, dans un geste sans précédant, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ait diffusé, le 13 mars, une troisième déclaration publique sur la situation en Tchétchénie, en même temps que des extraits des résultats de ses visites dans la région en 2006.

La Russie a le devoir aux termes de sa législation et du droit international de protéger les détenus en Tchétchénie contre la torture et les autres formes de mauvais traitements. Les mesures concrètes que le pays doit prendre, telles que définies par les instances et mécanismes internationaux comme le CPT, le Comité des Nations unies contre la torture et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sont les suivantes :

 faire le nécessaire pour que les détenus aient accès à un avocat dès leur arrestation et tout au long de leur détention, et pour qu’ils ne soient pas interrogés en l’absence de leur avocat ;
 organiser des examens médicaux systématiques pour les détenus pendant leur détention et leur transfert, et leur donner accès au médecin de leur choix ;
 veiller à ce que les familles soient informées de l’arrestation de l’un des leurs, ainsi que du lieu de sa détention et de ses transferts éventuels ;
 faire en sorte que les détenus soient présentés sans tarder à un magistrat ;
 fermer tous les lieux de détention non officiels ;
 créer un mécanisme d’inspection à l’improviste de tous les lieux de détention, y compris les lieux de garde à vue et les centres de détention provisoire, par des enquêteurs impartiaux crédibles ;
 prendre des dispositions pour que toutes les enquêtes sur les allégations de torture et de détention arbitraire en Tchétchénie soient indépendantes, efficaces, exhaustives et rapides ;
- charger le parquet de définir des critères pour aligner les enquêtes sur ces normes.

La déclaration du CPT du 13 mars 2007 est sans précédent car c’est la première fois que le Comité émet à trois reprises une déclaration publique de ce type au sujet d’un pays. Le CPT travaille sur la base de la confidentialité avec les États parties et n’est autorisé à faire une déclaration publique que lorsqu’un pays « ne coopère pas ou refuse d’améliorer la situation à la lumière des recommandations du Comité ». Le fait que le CPT se soit une fois encore senti dans l’obligation de faire une déclaration publique, en l’accompagnant de surcroît d’extraits de ses conclusions et de commentaires des autorités russes indique que le Comité considère que la Russie ne fait rien pour résoudre le problème de la torture en Tchétchénie.

Cet avis est partagé par le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui s’est rendu en Tchétchénie fin février et début mars 2007, dans des centres de détention notamment. « J’ai eu l’impression que la torture et les mauvais traitements sont largement répandus en Tchétchénie », a-t-il déclaré avant d’évoquer le « sentiment d’impunité » des auteurs de ces agissements [1].

Amnesty International a fait des recherches et réuni des informations sur de nombreux cas de graves violations des droits humains, telles que des détentions arbitraires avec torture et mauvais traitements dans des lieux de détention officiels et clandestins dans le Caucase du Nord lors du deuxième conflit tchétchène ; des allégations de torture dans la région continuent de lui parvenir.

L’organisation a, par exemple, réuni des informations sur le cas d’un homme qui aurait été torturé en janvier 2006 alors qu’il se trouvait au centre de détention ORB-2 à Grozny [2]. Il a déclaré par la suite à son avocat qu’il y avait été torturé à l’électricité ; qu’il avait eu les bras et les jambes pliés dans des positions douloureuses et qu’il avait été frappé à coups de matraque ; on aurait menacé de le faire « disparaître » s’il n’avouait pas faire partie d’un groupe armé d’opposition. Après huit ou neuf jours d’un tel traitement, il a décidé de reconnaître sous la contrainte qu’il avait nourri et abrité des membres d’un groupe armé d’opposition. Cet homme n’a pas été autorisé à consulter un avocat durant son interrogatoire. Après avoir été transféré dans un autre lieu de détention et être revenu sur ses « aveux », il a été renvoyé à deux reprises au centre ORB-2 où on l’a soumis à d’autres mauvais traitements pour le contraindre à « avouer » de nouveau.

De telles violations sont commises dans l’impunité la plus totale car les enquêtes sont le plus souvent sans effet et les poursuites engagées dans quelques très rares cas sont entachées d’irrégularités. Le rapport du Comité sur sa visite en Tchétchénie en 2006 fait apparaître de grosses erreurs dans nombre des enquêtes sur des allégations de torture, en particulier dans les investigations menées sur le centre ORB-2. Le Comité critique également dans son rapport la réaction des autorités russes aux allégations que le CPT a reçues en 2006 concernant des détentions illégales dans des centres clandestins en Tchétchénie.

La Russie doit coopérer avec le Comité, en mettant en œuvre ses recommandations et en autorisant la publication de ses rapports sur la Russie. La Russie devrait également suivre les recommandations du Comité des Nations unies contre la torture et coopérer plus activement avec le rapporteur spécial sur la torture en autorisant immédiatement ce représentant des Nations unies à effectuer une visite en Russie dans le respect de son mandat habituel. En octobre 2006, le rapporteur spécial a différé sa visite en Russie, qui devait plus particulièrement porter sur la situation dans le Caucase du Nord, les autorités russes ayant déclaré que la manière dont travaillait habituellement le rapporteur (notamment en se rendant de manière impromptue dans les lieux de détention et en s’entretenant en privé avec les détenus) était en contravention avec la loi russe.

Compte tenu de la persistance du grave problème de la torture en Tchétchénie, Amnesty International demande aux autres 45 États membres du Conseil de l’Europe et aux organes et mécanismes de cette instance d’œuvrer avec les autorités russes pour qu’elles éradiquent la torture et les autres formes de mauvais traitements, ainsi que les « disparitions » et les détentions arbitraires ; pour qu’elles mènent des enquêtes indépendantes et exhaustives dans les meilleurs délais sur ces allégations, et mettent fin aux représailles ciblées contre les personnes qui cherchent à obtenir réparation pour de telles violations. Amnesty International demande au Comité des ministres et au secrétaire général du Conseil de l’Europe d’engager une action concrète et décisive pour faire en sorte que la Russie remplisse ces obligations.

Complément d’information

Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) effectue des visites dans les lieux où des personnes sont privées de leur liberté ; il s’entretient avec des détenus et d’autres personnes et fournit aux autorités des rapports détaillés avec des recommandations ; il prend part à des discussions confidentielles avec les autorités régionales et fédérales. En 1998, année où elle a ratifié la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Russie s’était engagée à coopérer avec le CPT, notamment en lui accordant l’accès à tous les locaux relevant de sa juridiction dans lesquels se trouvaient des personnes privées de liberté.

Le CPT s’est rendu à 16 reprises en Russie, y compris en Tchétchénie, et a remis aux autorités russes un rapport et des recommandations à chacune de ses visites. Les dernières visites du CPT en Tchétchénie ont eu lieu du 25 avril au 4 mai 2006 et du 4 au 10 septembre 2006.

Bien que la Russie ait généralement autorisé le CPT à visiter les lieux où sont retenues les personnes privées de liberté, sa coopération avec cet organe est entachée de manquements graves s’agissant de la Tchétchénie. Ces manquements ont fait l’objet de déclarations publiques du CPT le 10 juillet 2001 et le 10 juillet 2003 et d’un flash le 9 mai 2006.

De plus, la Russie n’a toujours pas autorisé la publication de 12 des 13 rapports du CPT. La Russie est le seul pays membre du Conseil de l’Europe qui n’autorise pas régulièrement la publication des rapports du CPT. Certes, elle n’est pas tenue de le faire, mais les États membres en ont fait une pratique établie. Le secrétaire général du Conseil de l’Europe et l’Assemblée parlementaire ont demandé à maintes reprises à la Russie d’autoriser la publication des rapports du CPT.

Les déclarations du CPT sur la Russie se trouvent à l’adresse électronique suivante : http://cpt.coe.int/fr/

Notes
[1] Premières conclusions de la visite du Commissaire aux Droits de l’Homme en République tchétchène
https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CommDH(2007)6&Sector=secCommDH&Language=lanFrench&Ver=original&BackColorInternet=FEC65B&BackColorIntranet=FEC65B&BackColorLogged=FFC679

[2] Bureau des opérations et recherches dépendant du ministère de l’Intérieur de la Russie

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