Amnesty International s’inquiète vivement de la répression visant la société civile en Russie. L’organisation condamne avec force le recours à la « loi sur les agents étrangers » qui permet de poursuivre et tenir pour personnellement responsables les dirigeants d’organisations non gouvernementales (ONG) qui refusent d’être désignés sous une dénomination qui donne une image publique négative de leur travail aux yeux de la société russe.
En vertu de cette loi, toutes les organisations qui reçoivent de l’argent de l’étranger et prennent part à des « activités politiques », dont la définition est très vague, doivent s’enregistrer en tant qu’« agents étrangers », se soumettre à des contrôles et audits supplémentaires et fastidieux, et inscrire cette mention, qui implique la notion d’« espion » et d’« ennemi », sur toutes leurs publications et sites Internet. Amnesty International a déjà fait savoir qu’elle craignait que cette loi, dans son ensemble, ne nuise aux droits à la liberté d’expression et d’association.
Le 25 juin 2013, Anna Anissimova, directrice par intérim de l’association de défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) Vyhod (« Coming Out »), a été condamnée par un tribunal de première instance de Saint-Pétersbourg à s’acquitter d’une amende de 300 000 roubles russes (environ 6 990 euros), au motif que l’organisation ne s’était pas déclarée en tant qu’« agent étranger ». Déjà, le 19 juin, l’association avait été condamnée à verser une amende de 500 000 roubles (environ 11 640 euros).
Le jour du procès, une trentaine de militants homophobes ont empêché physiquement les sympathisants de Vyhod d’entrer dans le tribunal et ont proféré des menaces de mort contre ceux qui tentaient de forcer le passage. En outre, ils ont insulté les militants LGBT et les personnes venues les soutenir. Ni le juge, ni les huissiers de justice ne se sont montrés enclins à intervenir. L’avocat représentant Vyhod est parvenu à accéder à la salle d’audience uniquement après plusieurs appels au tribunal. Après le procès, il a dû être escorté par des agents de la police chargée des opérations spéciales (OMON) à la sortie du palais de justice, afin d’assurer sa sécurité. À la connaissance d’Amnesty International, aucune investigation n’a été menée sur les comportements potentiellement criminels ou violents des personnes se trouvant à l’extérieur du tribunal.
L’amende infligée à Vyhod, et les scènes qui se sont déroulées devant le tribunal, témoignent d’un climat général de harcèlement à l’égard des militants LGBT et d’une homophobie cautionnée ou tolérée par l’État. Ces dernières années, Amnesty International a à maintes reprises fait part de ses préoccupations concernant l’interdiction des marches de la fierté LGBT dans de nombreuses régions, y compris à Moscou. Le 26 juin 2013, la Chambre haute de la Douma, le Parlement russe, a adopté une loi fédérale interdisant toute « propagande pour les relations sexuelles non traditionnelles », qui s’ajoute aux textes déjà adoptés dans diverses régions de Russie ces dernières années. Les autorités russes chargées de l’application des lois refusent régulièrement de diligenter des enquêtes pénales sur les agressions ciblant les personnes LGBT et, lorsqu’elles y consentent, ne reconnaissent pas ni ne prennent dûment en compte la circonstance aggravante qui accompagne ces faits et constitue un crime de haine motivé par l’orientation sexuelle présumée de la victime.
Les poursuites engagées contre des dirigeants de groupes LGBT s’inscrivent dans le cadre de la répression qu’exerce le gouvernement contre la société civile et la dissidence dans le pays, en violation des obligations internationales de la Russie en termes de droits humains, notamment de non-discrimination et de droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association.
À ce jour, trois dirigeants d’ONG ont été condamnés à verser une amende au titre de la « loi sur les agents étrangers ». Outre Anna Anissimova, directrice par intérim de l’organisation LGBT Vyhod, il s’agit de la directrice de l’association Golos, Lilia Chibanova, et du directeur du Centre Kostroma de soutien aux initiatives publiques, Alexandre Zamarianov. Trois autres ONG ont également été condamnées à verser une amende : l’association Golos, l’Organisation publique régionale Golos de Moscou et le festival du film LGBT Bok o Bok (« Côte à côte »). Actuellement, la directrice de l’ONG de défense des LGBT Bok o Bok, Goulia Soultanova, attend d’être jugée pour les mêmes charges. Amnesty International continue à suivre de près l’évolution de cette affaire.
Elle invite les autorités russes à respecter les obligations qui leur incombent aux termes du droit international relatif aux droits humains et à renoncer à son approche discriminatoire envers la communauté LGBT. Elle les engage à protéger dûment toutes les personnes présentes sur leur territoire contre des attaques violentes, notamment motivées par des préjugés contre les personnes LGBT. Les autorités doivent ouvrir une enquête impartiale, approfondie et indépendante sur toute agression violente, et déférer à la justice les auteurs de tels agissements.
Amnesty International appelle une nouvelle fois les autorités russes à cesser de persécuter les organisations de la société civile par le biais de la « loi sur les agents étrangers », loi abusive qui est contraire aux obligations légales internationales de la Russie. Les autorités doivent s’abstenir de toute ingérence indue dans le droit à la liberté d’expression et d’association de toutes les personnes se trouvant sous leur juridiction, qu’elles approuvent ou non leurs activités.