Russie. Première décision de la Cour européenne des droits de l’Homme contre les « disparitions » en Tchétchénie


COMMUNIQUÉ DE PRESSE

EUR 46/034/2006

Amnesty International salue la première décision relative à une « disparition » en Tchétchénie, rendue ce jeudi 27 juillet par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Dans l’affaire Bazorkina c. Russie, la Cour européenne a décidé ce jeudi que la Russie avait violé le droit à la vie, l’interdiction des traitements inhumains et le droit à la liberté et à la sûreté, ainsi que le droit à un recours effectif (articles 2, 3, 5 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales). L’affaire a été soumise par Fatima Bazorkina, après la « disparition » de son fils, Khadzhi-Mourat Yandiev, en février 2000, au début du second conflit tchétchène.

« La décision rendue aujourd’hui montre qu’il ne saurait y avoir d’impunité. Les autorités russes doivent maintenant s’acquitter de leurs obligations internationales : identifier et traduire en justice les responsables, et prendre des mesures concrètes pour que ces violations des droits humains ne se reproduisent pas »
, a déclaré Halya Gowan, directrice adjointe du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

« Cette décision souligne une fois encore l’incapacité apparente – ou le refus – des autorités d’organiser une enquête prompte, efficace et indépendante sur une grave violation des droits humains. Les autorités doivent remédier aux carences systématiques des organes d’investigation. »

Khadzhi-Mourat Yandiev a été placé en détention par les forces fédérales russes près de Grozny, la capitale tchétchène. Un général russe a fouillé Khadzhi-Mourat Yandiev, l’a interrogé, puis donné l’ordre de l’« achever ». Depuis, personne n’a revu Khadzhi-Mourat Yandiev, ni n’a entendu parler de lui. Sa mère a appris la détention de son fils par les informations télévisées, grâce à un reporter de CNN qui était à l’époque intégré aux forces militaires et avait filmé la rencontre entre Khadzi-Mourat Yandiev et le général russe.

La Cour européenne des droits de l’homme a décidé que le gouvernement russe devait être tenu responsable du fait que Khadzhi-Mourat Yandiev devait être présumé mort, après une détention non officielle. La Cour a critiqué l’enquête menée sur cet épisode, déclarant qu’elle était entachée de retards inexplicables : le général russe identifié comme ayant interrogé Khadzhi-Mourat Yandiev n’a été interrogé que quatre ans et quatre mois après l’épisode en question. D’autres militaires impliqués n’ont été ni identifiés ni interrogés. En outre, la Cour a décidé que Fatima Bazorkina avait souffert, et continuait à souffrir, de détresse et d’anxiété à cause de la « disparition » de son fils et de son impossibilité de connaître son sort. La Cour a déclaré que la manière dont ses plaintes avaient été traitées par les autorités devaient être considérée comme relevant d’un traitement inhumain.

«  Au moins, je peux espérer que justice sera faite pour la ‘disparition’ de mon fils ici, en Russie. J’espère que les mères des autres personnes qui ont connu le même sort que mon fils pourront trouver justice en Russie », a déclaré Fatima Bazorkina après avoir entendu la décision de la Cour.

Cependant, des atteintes aux droits humains comme les « disparitions » et enlèvements, la torture, la détention arbitraire et la détention au secret dans des lieux officiels ou non continuent de se produire en Tchétchénie et dans des républiques voisine du Caucase nord.

Amnesty International demande au gouvernement de la Russie d’appliquer le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme sans délai. Notre organisation demande aux autorités russes de prendre des mesures concrètes pour remédier au problème des « disparitions ».

« Pour commencer, les autorités russes doivent faire en sorte que toutes les détentions au Caucase nord respectent pleinement le droit russe et international », a déclaré Halya Gowan.

« En tant que membre du Conseil des droits humains, la Russie doit faire pression à l’Assemblée générale des Nations unies pour l’adoption de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. »

« Afin de garantir leur transparence, les autorités doivent publier des statistiques détaillées sur leurs enquêtes, les poursuites judiciaires et les condamnations ou autres mesures disciplinaires prises à l’encontre de membres de l’armée ou des organes de maintien de l’ordre pour de graves violations des droits humains, notamment des ‘disparitions’. »

Contexte

L’organisation non gouvernementale (ONG) russe Memorial estime qu’entre 3 000 et 5 000 personnes ont disparu en République tchétchène en raison d’enlèvements, d’arrestations et de détentions arbitraires depuis 1999, début du second conflit tchétchène.

En décembre 2005, Lema Khassouev, médiateur des droits humains en République tchétchène, a déclaré qu’il existait 2 096 cas de disparitions forcées dues à des forces de sécurité non identifiées en Tchétchénie.

Pendant tout le conflit armé en République tchétchène, Amnesty International s’est inquiétée du climat prévalent d’impunité, et a demandé aux autorités russes de traduire en justice les responsables de violations des droits humains. Cependant, fort peu de mesures efficaces ont été prises. Seuls quelques très rares cas de « disparition », de torture, de mauvais traitement ou d’exécution extrajudiciaire sont parvenus devant les tribunaux.

De nombreux civils tchétchènes ont décidé de se tourner vers la Cour européenne des droits de l’homme, car le système judiciaire russe ne montre aucune volonté réelle d’enquêter de manière approfondie sur ces affaires et de traduire en justice ceux qui ont commis des violations des droits humains et du droit international humanitaire dans le Caucase nord. Cependant, des personnes ayant soumis leur affaire à la Cour européenne des droits de l’homme ont subi de graves représailles pour cette raison, notamment des intimidations, des menaces, des homicides et des « disparitions ».

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