L’ancienne direction de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’homme (LIPRODHOR) a été évincée. Les circonstances dans lesquelles elle a été remplacée indiquent clairement que les autorités rwandaises ont joué un rôle dans cette affaire.
La capacité des défenseurs des droits humains à travailler au Rwanda se trouve de nouveau affaiblie et l’espace réservé à une véritable action en faveur de ces droits est quasiment réduit à néant.
Le changement a eu lieu après que l’ancienne direction ait décidé de quitter le Collectif des ligues et associations de défense des droits de l’homme au Rwanda (CLADHO) au motif que le comité exécutif de celui-ci avait été mis en place par l’Office rwandais de la gouvernance, organe officiel chargé de favoriser des pratiques optimales de bonne gouvernance et d’effectuer un suivi dans ce domaine.
Le 3 juillet 2013, le président de la LIPRODHOR a écrit une lettre annonçant la décision de la Ligue de se retirer du CLADHO, dans laquelle il remettait en question le mode de sélection du nouveau comité exécutif de ce dernier et la capacité du réseau à protéger les organisations membres. Deux autres organisations partenaires ont également signé cette lettre.
Le 21 juillet 2013, un groupe de membres de la LIPRODHOR, dont un ancien président de l’organisation, ont convoqué une assemblée générale extraordinaire afin de discuter de la décision de la Ligue de quitter le CLADHO. Cette réunion a eu lieu sans que le conseil d’administration de la LIPRODHOR, notamment son président et son vice-président, n’ait été notifié. En vertu du statut de l’organisation, les membres sont censés recevoir une lettre d’invitation au moins huit jours avant une réunion. Par ailleurs, le nombre de personnes ayant assisté à cette réunion n’était pas conforme à celui requis pour la tenue d’une Assemblée générale, soit la majorité absolue. Cette assemblée a débouché non seulement sur l’annulation du retrait de la LIPRODHOR du CLADHO, mais également sur le remplacement du conseil d‘administration et du président de la Ligue. Un nouveau conseil d‘administration – notamment un nouveau président – a été élu et devait entrer en fonction le 26 juillet 2013.
L’élection de la nouvelle direction a rapidement été validée par l’Office rwandais de la gouvernance, malgré les protestations des membres du conseil de direction déchu concernant la légitimité de la procédure. L’ancienne direction de la LIPRODHOR a depuis lors entamé une action en justice contre la décision de l’Office rwandais de la gouvernance de soutenir sa révocation, ainsi que contre l’annulation de son départ du CLADHO. L’affaire est en cours.
Les autorités rwandaises ont montré que leur influence sur le fonctionnement interne des organisations non gouvernementales (ONG) était excessive. Des épisodes tels que celui-ci illustrent la manière dont la liberté d’association peut être restreinte et l’indépendance d’une organisation compromise.
Au Rwanda, les modalités de résolution des conflits internes au sein des organisations de la société civile sont fixées par le droit. La loi de 2012 portant sur l’organisation et le fonctionnement des ONG nationales précise que les statuts de l’ensemble de ces dernières doivent prévoir l’existence d’un organe dédié à la résolution des conflits. L’article 19 du statut de la LIPRODHOR dispose en effet que ce type de litige doit être tranché par un Comité de discipline et de résolution des conflits, mais il n’a pas été appliqué dans le cas présent.
Les activités de la LIPRODHOR sont désormais limitées. Un atelier devait avoir lieu le 24 juillet 2013 mais la police l’a empêché. Cet atelier, organisé par la LIPRODHOR, portait sur la procédure à suivre par les organisations de la société civile pour soumettre des informations dans le cadre du processus de compte-rendu relevant de l’Examen périodique universel des Nations unies.
Complément d’information
Amnesty International a relevé des informations sur les manœuvres d’intimidation et de harcèlement systématiques que les autorités rwandaises font subir de longue date aux défenseurs des droits humains. Les défenseurs des droits humains sont régulièrement victimes d’intimidations ou de menaces, d’attaques publiques et personnelles ou d’obstacles administratifs. Faire état de violations des droits humains, en particulier en les condamnant publiquement, suscite des réactions hostiles de la part du gouvernement. Les défenseurs des droits humains s’abstiennent souvent de travailler sur des questions sensibles, et évitent ou repoussent la publication de certaines informations afin de minimiser les répercussions potentielles. Des défenseurs rwandais des droits humains sont par ailleurs confrontés à d’autres difficultés au sein de leurs propres organisations, infiltrées par des personnes proches des autorités.
Rares sont les organisations de défense de ces droits au Rwanda qui gardent un tant soit peu d’indépendance, mais la LIPRODHOR en faisait partie. Fondée en 1991, elle était l’une des seules organisations indépendantes de défense des droits humains du pays à avoir conservé sa crédibilité. Entre sa création et 1999, elle a considérablement accru ses opérations, ses effectifs et sa présence. La capacité de la LIPRODHOR à enquêter sur les violations des droits humains et à rendre compte de celles-ci a été affaiblie par les autorités rwandaises. Des membres de son personnel ont été menacés à maintes reprises, harcelés et poussés à l’exil. Les autorités ont cherché à discréditer le travail de cette organisation. En mars 2003, une commission parlementaire a accusé dans un rapport le Mouvement démocratique républicain, un parti d’opposition, de diffuser un programme « divisionniste » et discriminatoire, et affirmé que la LIPRODHOR avait levé des fonds à l’étranger en faveur de cette formation politique. En juin 2004, une seconde commission parlementaire a déclaré que la LIPRODHOR, parmi d’autres organisations, était coupable d’avoir embrassé et propagé l’idéologie du génocide, et a recommandé sa dissolution.