Rwanda : Les autorités doivent garantir l’équité du procès d’une ancienne candidate à la présidence

À la suite de l’ouverture du procès de l’ancienne candidate à la présidence Diane Rwigara et de sa mère Adeline Rwigara à Kigali mardi 22 mai, Amnesty International appelle les autorités rwandaises à veiller à ce que leur droit à un procès équitable soit pleinement garanti et qu’elles ne soient pas condamnées pour avoir exercé légitimement leur droit à la liberté d’expression.

Diane et Adeline Rwigara, ainsi que quatre autres personnes absentes, ont été inculpées d’« incitation à l’insurrection ou aux troubles ». Les deux femmes sont également poursuivies pour « fabrication ou falsification de documents » et « usage de faux », et Adeline Rwigara est inculpée de l’accusation supplémentaire de « discrimination et pratiques sectaires ».

La prochaine audience est prévue le 24 juillet 2018 afin de permettre au parquet de faire assigner leurs coïnculpés Tabitha Gwiza, Xavérine Mukangarambe, Edmond Mushayisha et Jean Paul Turayishimiye, qui résident tous à l’étranger.

Diane Rwigara avait tenté de concourir à l’élection présidentielle d’août 2017, mais après une apparente campagne de diffamation et des manœuvres d’intimidation visant ses représentants, sa candidature a été rejetée par la Commission électorale nationale le 7 juillet 2017. Elle a été accusée d’avoir déposé des signatures falsifiées. Des policiers ont interrogé Diane Rwigara et ses proches à leur domicile à Kigali le 29 août et les ont empêchés de sortir de chez eux. Pendant plusieurs semaines, les membres de la famille ont été interrogés par la police et leur liberté de mouvement a été restreinte. Le 23 septembre, la police a arrêté Diane et Adeline Rwigara, ainsi que la sœur de Diane, Anne Rwigara. Cette dernière a été libérée le 23 octobre et les charges retenues à son encontre ont été abandonnées, mais Diane et Adeline Rwigara sont restées détenues dans l’attente de leur procès.

L’accusation d’incitation portée contre Diane Rwigara se fonde sur des commentaires qu’elle a faits lors de plusieurs conférences de presse, notamment celle de lancement du Mouvement pour le salut du peuple, son nouveau groupe militant, le 14 juillet 2017. Elle avait alors critiqué le parti au pouvoir et dénoncé les problèmes d’injustice et la situation économique du pays. Au cours d’une audience préliminaire en novembre 2017, le procureur aurait déclaré que les mots qu’elle avait employés « montr[ai]ent clairement qu’elle avait l’intention de salir la réputation du pays et de ses dirigeants avec des mensonges » [1]

L’accusation d’incitation portée contre Diane Rwigara se fonde sur des commentaires qu’elle a faits lors de plusieurs conférences de presse, notamment celle de lancement du Mouvement pour le salut du peuple, son nouveau groupe militant, le 14 juillet 2017. Elle avait alors critiqué le parti au pouvoir et dénoncé les problèmes d’injustice et la situation économique du pays.

Selon les lois électorales du Rwanda, les personnes souhaitant présenter leur candidature indépendante aux élections présidentielles doivent rassembler les signatures ou empreintes digitales d’au moins 600 électeurs inscrits, dont au moins 12 personnes dans chaque circonscription. La Commission électorale nationale a rejeté la candidature de Diane Rwigara et l’a accusée d’avoir déposé des signatures falsifiées. Lors d’une audience préliminaire qui a eu lieu le 16 octobre 2017, le procureur a indiqué aux juges qu’il disposait de 70 témoins prêts à attester qu’elle avait falsifié leurs signatures, et que certaines des signatures appartenaient à des personnes décédées. Diane Rwigara nie toutes les accusations, y compris celles de falsification de signatures.

Adeline Rwigara est poursuivie pour « incitation à l’insurrection ou aux troubles » avec quatre autres personnes : sa sœur Tabitha Gwiza, Xavérine Mukangarambe, Edmond Mushayisha et Jean Paul Turayishimiye. Adeline Rwigara est également inculpée de « discrimination et pratiques sectaires ». Ces accusations semblent fondées uniquement sur des messages vocaux privés échangés sur WhatsApp entre Adeline Rwigara et ses quatre coïnculpés, qui se trouvent à l’étranger. Certains de ces messages qui ont été divulgués aux médias en septembre 2017 étaient très critiques vis-à-vis des autorités rwandaises.

À la connaissance d’Amnesty International, ces messages n’ont pas été diffusés publiquement par Adeline Rwigara ou ses coïnculpés. En règle générale, les propos tenus en privé ne peuvent pas faire l’objet de poursuites pénales.

Si la liberté d’expression peut être soumise à certaines restrictions, conformément à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Rwanda est partie, celles-ci doivent être clairement fixées par la législation nationale, avoir un objectif légitime et être nécessaires et proportionnées à cet objectif. Ainsi, le droit international prévoit l’interdiction des discours de haine et, en particulier, de tout discours pouvant constituer une incitation au génocide.

Le Rwanda a adopté des lois qui érigent en infraction « l’idéologie du génocide », la discrimination et le sectarisme, afin de limiter les discours qui pourraient inciter à la haine. Cependant, la formulation vague de ces lois est utilisée à mauvaise escient pour réprimer l’exercice légitime de la liberté d’expression et criminaliser la critique du gouvernement, comme dans le cas de Victoire Ingabire, présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU), un parti politique d’opposition non reconnu par les autorités. Cette femme a été déclarée coupable d’incitation par la Cour suprême en 2013.

Le Rwanda a adopté des lois qui érigent en infraction « l’idéologie du génocide », la discrimination et le sectarisme, afin de limiter les discours qui pourraient inciter à la haine. Cependant, la formulation vague de ces lois est utilisée à mauvaise escient pour réprimer l’exercice légitime de la liberté d’expression et criminaliser la critique du gouvernement.

Toutefois, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a statué en novembre 2017 que sa condamnation portait atteinte à sa liberté d’expression, en soulignant : « En raison de leur nature et de leurs statuts, les institutions gouvernementales et les fonctionnaires ne peuvent être à l’abri de critiques, quand bien même elles seraient offensantes ; et un haut degré de tolérance est attendu d’eux lorsqu’ils sont la cible de telles critiques de la part de personnalités politiques de l’opposition.  » [2]

Amnesty International appelle les autorités rwandaises à prendre les mesures nécessaires pour que le droit à la liberté d’expression soit protégé au Rwanda pour toutes les personnes.

Complément d’information

Le père de Diane Rwigara et mari d’Adeline Rwigara, Assinapol Rwigara, était un homme d’affaires prospère et un important bailleur de fonds du parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR), au début des années 1990. Il est mort en février 2015 dans un accident de voiture qui, selon sa famille et d’autres sources, a été orchestré. Au cours des mois ayant précédé l’annonce de sa candidature le 3 mai 2017, Diane Rwigara s’est exprimée avec véhémence sur des sujets tels que la pauvreté, l’injustice, l’insécurité et l’absence de liberté d’expression au Rwanda. Quelques jours seulement après l’annonce, des photos censées représenter Diane Rwigara dénudée ont circulé sur les réseaux sociaux, dans ce que beaucoup ont vu comme une tentative visant à ternir sa réputation. Diane Rwigara a déclaré que ces images étaient « photoshoppées ».

Le 29 août 2017, la police a interrogé Diane Rwigara et les membres de sa famille et procédé à une fouille de leur domicile à Kigali. Les policiers ont saisi de l’argent liquide, des téléphones, des ordinateurs et des documents. Le lendemain, alors que certaines informations commençaient à indiquer que la famille avait été arrêtée ou soumise à une disparition forcée, la police a confirmé qu’une enquête était en cours pour fraude fiscale et usage de faux, mais que les membres de la famille n’étaient pas en détention. Le 4 septembre 2017, la police est entrée de force chez les Rwigara et les a emmenés pour les interroger. Le porte-parole de la police, Theos Badege, a déclaré qu’elle avait obtenu un mandat l’autorisant à pénétrer à leur domicile après de multiples convocations auxquelles Diane, Anne et Adeline Rwigara n’avaient pas donné suite.

Les trois femmes ont été interrogées pendant plusieurs semaines par la police et conduites auprès du service des enquêtes criminelles presque tous les jours durant 16 heures. Elles étaient ainsi assignées de fait à résidence, car leur liberté de mouvement était restreinte et elles ne pouvaient pas communiquer librement.

Le 23 septembre, Diane, Adeline et Anne Rwigara ont été officiellement arrêtées. Le 3 octobre, le parquet a confirmé qu’elles avaient toutes trois été inculpées d’« incitation à l’insurrection ou aux troubles ». Diane Rwigara a en outre été inculpée d’usage de faux et sa mère de discrimination et de pratiques sectaires. Anne Rwigara a été libérée le 23 octobre et les charges retenues à son encontre ont été abandonnées, mais sa mère et sa sœur sont restées détenues dans l’attente de leur procès.

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