Le 17 mai, le procureur auprès du tribunal de première instance de Laayoune a accusé Ibrahim Amrikli d’avoir enfreint la réglementation relative à l’état d’urgence sanitaire, en vertu du décret-loi sur l’urgence sanitaire adopté [1] en mars 2020, et d’« outrage à fonctionnaires publics », au titre de l’article 263 du Code pénal. Lors de sa première audience, le 7 septembre, le tribunal de première instance de Laayoune a décidé de renvoyer le procès au 28 septembre.
S’il est possible que l’urgence sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 justifie l’imposition par l’État de mesures restrictives, les circonstances de l’arrestation d’Ibrahim Amrikli, de son interrogatoire et de sa mise en accusation semblent indiquer qu’il a été pris pour cible en raison de son travail de journaliste engagé et de militant en faveur des droits humains.
Ibrahim Amrikli, 23 ans, travaille pour la Fondation Nushatta, une organisation sahraouie de jeunesse fondée en 2013 qui effectue un suivi de la situation des droits humains dans le Sahara occidental. Il a couvert des manifestations et a également travaillé sur des documentaires tels qu’un reportage [2] consacré à la mine de phosphate de Bou Craa, dans le Sahara occidental.
Le 15 mai vers 23 heures, quatre policiers ont arrêté Ibrahim Amrikli alors qu’il se rendait à la pharmacie et l’ont maintenu en détention pendant près de 48 heures durant le confinement lié à la pandémie de COVID-19. Au moment de son arrestation, il avait sur lui une autorisation de circuler, qu’Amnesty International a examinée.
Les policiers l’ont transféré au poste de police.
Lors d’une conversation avec Amnesty International, Ibrahim Amrikli s’est souvenu des faits suivants : « Au poste, il y avait trois policiers. L’un d’eux m’a dit que je suis accusé d’avoir "jeté des pierres" sur les forces de police le 28 avril 2020, alors que j’étais chez moi toute la journée ce jour-là. J’ai ensuite été placé dans une cellule pendant plusieurs heures, seul et menotté. C’était le ramadan, mais on ne m’a donné ni eau ni nourriture avant le début du jeûne. Le lendemain, j’ai été interrogé de 11 heures du matin à 14 heures au sujet de mon travail avec la fondation et de l’accusation de "jet de pierres". Deux des policiers m’ont insulté et giflé. Après cela, ils m’ont présenté le procès-verbal de l’interrogatoire pour que je le signe. J’ai demandé à lire, mais on m’a dit que ce n’était pas possible et qu’il fallait seulement que je le signe. J’ai refusé. Ils m’ont alors giflé et insulté pendant deux heures. Ils ont ouvert mon téléphone et ont passé en revue des photos de moi et des photos de ma famille, et se sont moqués d’elles et notamment d’une vidéo de 2012 où je tenais le drapeau sahraoui. La pression était trop forte, alors j’ai fini par signer le procès-verbal sans l’avoir lu. »
Le 17 mai, des policiers ont conduit Ibrahim Amrikli devant le tribunal de première instance de Laayoune, où un juge lui a dit qu’il avait reconnu dans son interrogatoire avoir « jeté des pierres » et « porté outrage à des fonctionnaires de l’État ». Le juge a prononcé sa libération sous caution (moyennant le paiement de 3 000 dirhams, soit environ 300 dollars américains) le jour même.
Ibrahim Amrikli a déclaré à Amnesty International qu’il avait précédemment été placé en détention à trois occasions entre 2017 et 2019 pour des périodes allant de quatre jours à deux mois, après de fausses accusations d’« actes violents », sur la base d’« aveux » signés sous la menace. À chaque fois, il a été arrêté de manière arbitraire dans la rue près de son domicile ou lorsqu’il allait chercher des documents administratifs.
Dans une affaire similaire, le 1er juillet 2020, des policiers de Laayoune ont soumis Essabi Yahdih, 39 ans, fondateur de l’organe médiatique Algargagrat, à une arrestation arbitraire lorsqu’il s’est présenté au poste de police afin d’y obtenir un certificat administratif. Il a dit à Amnesty International que la police lui a fait subir un interrogatoire d’au moins 10 heures sur la ligne éditoriale de son média, sur son personnel et sur ses financements, ainsi que sur ses publications personnelles en ligne, et en particulier un post du 28 juin dans lequel il a réagi de manière moqueuse à la publication d’un député marocain au sujet du roi Mohammed VI.
Essabi Yahdih a déclaré à Amnesty International que des policiers l’avaient insulté et menacé « d’arrestation, de viol et de meurtre », ainsi que de poursuites en justice pour « outrage » au roi, une charge souvent invoquée au Maroc et dans le Sahara occidental contre des militant·e·s et des journalistes qui adoptent des positions critiques envers les autorités. Il a été remis en liberté sans inculpation.
Complément d’information
Le Sahara occidental fait l’objet d’une querelle territoriale entre le Maroc, qui a annexé ce territoire en 1975 et revendique sa souveraineté sur celui-ci, et le Front populaire pour la libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro (Front Polisario), qui appelle à la création d’un État indépendant et a établi un gouvernement autoproclamé, en exil dans les camps de réfugiés de Tindouf (sud-ouest de l’Algérie). Un accord conclu aux Nations unies en 1991, qui a mis fin aux affrontements entre le Maroc et le Front Polisario, requiert l’organisation d’un référendum afin que le peuple du Sahara occidental puisse exercer son droit à l’autodétermination, en choisissant l’indépendance ou l’intégration au Maroc. Le référendum ne s’est pas encore tenu, du fait de désaccords persistants sur le processus visant à déterminer qui est habilité à voter dans le cadre de cette consultation.
Le Maroc continue à ce jour à administrer de fait le territoire situé à l’ouest du Berm - un mur de sable long de 2 700 kilomètres séparant les zones du Sahara occidental contrôlées par le Maroc de celles contrôlées par le Front Polisario.