Sénégal. Le président Abdoulaye Wade doit tenir ses engagements et la justice doit enquêter sur Hissène Habré

DÉCLARATION PUBLIQUE

14 décembre 2010

Index AI : AFR 49/006/2010

Amnesty International est consternée par la déclaration du président sénégalais Abdoulaye Wade qui a fait savoir le 11 décembre qu’il ne permettrait pas que l’ancien président tchadien Hissène Habré soit poursuivi devant les tribunaux sénégalais pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et torture – ce que l’Union africaine (UA) avait demandé au Sénégal en 2006. Le président Abdoulaye Wade a ajouté qu’il avait l’intention de retourner ce dossier à l’UA ou de transférer Hissène Habré dans un autre pays.

En outre, Amnesty International est vivement préoccupée par le fait que le président Abdoulaye Wade n’a pas exclu de renvoyer Hissène Habré au Tchad, où il a été condamné à mort par contumace en août 2008.

L’organisation considère que la peine de mort est une violation du droit à la vie et constitue le châtiment le plus cruel, le plus inhumain et le plus dégradant qui soit. Si Hissène Habré était renvoyé au Tchad, il ne pourrait en aucune façon espérer être jugé dans le respect du droit international et des normes d’équité des procès.

Le revirement soudain du président Abdoulaye Wade est en totale contradiction avec tous les engagements souscrits publiquement par les autorités sénégalaises de respecter la décision, prise par l’UA en 2006, de demander au Sénégal de juger l’ancien président tchadien Hissène Habré « au nom de l’Afrique », ce que le président Abdoulaye Wade a officiellement accepté.

Cet engagement a été renouvelé devant la Cour internationale de justice en 2009 lorsque le Sénégal – dans l’affaire Belgique c. Sénégal – a déclaré solennellement qu’il « ne permettrait pas à M. Habré de quitter le Sénégal tant que la présente affaire est en instance devant la Cour. Le Sénégal n’a pas l’intention d’autoriser Hissène Habré à quitter le territoire tant que l’affaire n’a pas été jugée. »

Depuis maintenant deux ans, les autorités sénégalaises avancent des arguments financiers pour expliquer le report du procès d’Hissène Habré et font du versement par les bailleurs de fonds de sommes exorbitantes le préalable à tout engagement de poursuites à l’encontre de l’ancien président tchadien. Cet obstacle financier a été levé il y a un mois, en novembre 2010, lorsque les donateurs internationaux réunis à Dakar ont accepté de contribuer à hauteur de 8,5 millions d’euros au financement de son procès.

Le Sénégal a obtenu toute l’aide financière et politique requise de la part de la communauté internationale pour enquêter sur Hissène Habré et, s’il existe suffisamment d’éléments à charge recevables, engager des poursuites à son encontre puis, s’il est reconnu coupable, le condamner. Par conséquent, le Sénégal n’a plus aucune excuse pour ajourner – et encore moins annuler – le procès de l’ancien président tchadien.

Le Sénégal est soumis à des obligations légales au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la Torture) et est tenu en vertu de la requête de l’UA d’enquêter sur Hissène Habré. Le président Abdoulaye Wade doit confirmer publiquement que son pays est disposé à le faire. Si le Sénégal s’obstine dans son refus, il se doit d’extrader Hissène Habré vers un pays capable et désireux de le juger dans le respect du droit international et des normes d’équité, sans qu’il ne soit fait usage de la peine de mort.

La déclaration du président Abdoulaye Wade n’est pas seulement un refus brutal contrecarrant la volonté de la communauté internationale de voir Hissène Habré faire l’objet d’une enquête au Sénégal. Elle témoigne d’un mépris envers les victimes africaines d’Hissène Habré qui ont porté plainte à Dakar il y a 10 ans. Certaines sont déjà décédées et celles qui sont encore en vie ont placé tous leurs espoirs entre les mains de la justice sénégalaise. Au-delà de l’obligation juridique qui lui incombe de juger ou d’extrader Hissène Habré, le Sénégal a une responsabilité morale envers ces victimes qui ont cru en ses promesses et ses engagements.

Complément d’information

Dix ans après le dépôt de plaintes contre l’ancien président tchadien qui a trouvé refuge au Sénégal, la procédure judiciaire interrompue n’a pas encore été rouverte et le gouvernement sénégalais n’a eu de cesse de chercher, par des manœuvres dilatoires, le moyen d’éviter de traduire Hissène Habré en justice. La justice sénégalaise s’est d’abord déclarée incompétente pour examiner cette affaire, puis le président Abdoulaye Wade a demandé à Hissène Habré de quitter le pays. Face aux réactions de la communauté internationale, le chef de l’État sénégalais a remis le dossier à l’Union africaine qui a rappelé au Sénégal son obligation de juger l’ancien président tchadien.

Sous la pression internationale, le Sénégal a modifié sa législation pénale et procédurale en 2007 pour permettre à ses tribunaux de juger des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes relevant du droit international, même s’ils ont été perpétrés hors du territoire national, afin d’être en mesure de juger Hissène Habré.

En 2009, la Belgique a saisi la Cour internationale de justice, au motif que le Sénégal avait violé la Convention contre la torture et le droit international coutumier en ne respectant pas son obligation de traduire Hissène Habré devant ses tribunaux ou de l’extrader vers la Belgique, seul pays ayant jusqu’à présent sollicité son extradition. Le Sénégal ayant solennellement promis qu’Hissène Habré ne serait pas autorisé à quitter le pays jusqu’à ce que la Cour rende une décision, la Cour a décidé de ne pas ordonner de mesures conservatoires, comme l’avait demandé la Belgique, pour qu’Hissène Habré ne puisse pas quitter le territoire sénégalais.

L’affaire est toujours en instance.

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