COMMUNIQUÉ DE PRESSE

La Sierra Leone doit abandonner les charges retenues contre deux rédacteurs en chef

Les autorités sierra-léonaises doivent abandonner toutes les charges retenues contre deux rédacteurs en chef uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International le 24 octobre.

Mercredi 23 octobre, Jonathan Leigh et Bai Bai Sesay, tous deux rédacteurs en chef de l’Independent Observer, ont été inculpés de diffamation pour avoir publié un article critiquant le président sierra-léonais, Ernest Bai Koroma. Ils sont maintenus en détention depuis six jours et se sont vus refuser une remise en liberté sous caution dans l’attente de la reprise de leur procès, le 29 octobre.

« Les accusations de diffamation portées à l’encontre des travailleurs des médias sont symptomatiques du climat très inquiétant pour la liberté d’expression dans cet État d’Afrique de l’Ouest, a indiqué Lisa Sherman-Nikolaus, spécialiste de la Sierra Leone à Amnesty International.

« Les autorités doivent abandonner toutes les charges et libérer ces deux hommes immédiatement et sans condition. Leur placement en détention et les charges pénales retenues contre eux semblent découler du fait qu’ils ont effectué pacifiquement leur travail de journaliste.

« Les autorités sierra-léonaises doivent respecter le droit à la liberté d’expression. La critique légitime des représentants de l’État ne doit pas servir de prétexte pour restreindre la libre parole. »

Les services de police judiciaire ont confirmé à Amnesty International que les deux rédacteurs en chef étaient inculpés de 26 chefs d’accusation, notamment de « complot en vue de fomenter des actes avec une intention séditieuse ». La police judiciaire a affirmé que les deux hommes avaient fait preuve d’une « propension à jeter le discrédit sur le nom de son Excellence afin de nuire à sa réputation et à inciter à la haine ».

« Les hauts représentants du gouvernement doivent être prêts à essuyer des critiques publiques sur la manière dont ils remplissent leurs fonctions. Refuser d’allouer un espace à ce type de critiques et de reconnaître l’obligation de rendre des comptes constitue une violation du droit à la liberté d’expression garanti par le droit sierra-léonais et le droit international, a commenté Lisa Sherman-Nikolaus.

« La Loi de 1965 relative à l’ordre public, que les autorités sierra-léonaises bafouent dans cette affaire, est totalement obsolète. Il convient de l’abroger, car elle n’est pas conforme aux obligations internationales relatives aux droits humains. »

Il a fallu plus d’une heure pour lire l’acte d’accusation devant la cour le 23 octobre. L’équipe de la défense n’avait toujours pas pu obtenir d’exemplaire de l’inculpation lorsque l’audience a pris fin.

À la suite de cette audience, les défenseurs de la liberté de la presse ont manifesté devant le tribunal. Les policiers auraient poussé les manifestants sur le côté, pour permettre aux véhicules de la police de quitter l’enceinte du tribunal.

« C’est un événement très fâcheux, qui témoigne de la répression visant l’expression dans les médias. Les médias ont le droit de critiquer un dirigeant », a commenté Emmanuel Saffa Abdulai, avocat des deux hommes, à la lecture des charges.

L’Association des journalistes de Sierra Leone (SLAJ) estime qu’il s’agit là d’une manœuvre flagrante visant à intimider les journalistes.

« Nous sommes face à des attaques coordonnées contre la liberté de la presse en Sierra Leone. Ce n’est pas le rôle de la police de réglementer les médias », a indiqué Abubakarr Bah, porte-parole de la SLAJ.

Complément d’information

Depuis le début de la semaine, la police judiciaire a également interrogé les éditeurs et les rédacteurs d’autres journaux nationaux sur des articles soi-disant politiques que ces médias ont publiés. Parmi les journaux ciblés figurent The Global Times, The Salone Times, The Premier News et The Concord Times. Les forces de sécurité ont fouillé les locaux de plusieurs d’entre eux.

Au moins un journaliste indépendant a également été convoqué aux fins de l’interroger sur l’un de ses articles qui, selon la police judiciaire, constitue une diffamation séditieuse.

La Loi de 1965 relative à l’ordre public, que les autorités sierra-léonaises bafouent dans cette affaire, est totalement obsolète. Au titre de cette loi, quiconque imprime, publie, vend, propose à la vente, distribue ou reproduit une publication « séditieuse » peut être déclaré coupable d’une infraction pénale et encourt jusqu’à trois ans de prison.

Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains réclament depuis longtemps l’abrogation ou la modification de certaines dispositions de la Loi de 1965 relative à l’ordre public. La Commission de la vérité et de la réconciliation (TRC) et les Nations unies ont fait écho à cette recommandation.

Le 21 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a adopté l’Observation générale n° 34 sur les obligations qui incombent aux États parties au titre de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Cette observation donne des directives aux États sur ce que recouvrent les libertés d’opinion et d’expression dans la pratique, et par conséquent renforce la protection inscrite dans le droit international.

D’après l’Observation générale n° 34 : « […] le simple fait que des formes d’expression soient considérées comme insultantes pour une personnalité publique n’est pas suffisant pour justifier une condamnation pénale, même si les personnalités publiques peuvent également bénéficier des dispositions du Pacte. De plus, toutes les personnalités publiques, y compris celles qui exercent des fonctions au plus haut niveau du pouvoir politique, comme les chefs d’État ou de gouvernement, sont légitimement exposées à la critique et à l’opposition politique. »

Le texte poursuit : « Les États parties devraient envisager de dépénaliser la diffamation et […] l’application de la loi pénale devrait être circonscrite aux cas les plus graves et l’emprisonnement ne constitue jamais une peine appropriée. »

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