Sierra Leone : Il faut mettre fin à la répression policière visant des manifestants pacifiques

Le nouveau gouvernement sierra-léonais doit commencer à tenir ses engagements en faveur de l’amélioration de la situation des droits humains dans le pays, en levant les restrictions pesant sur les manifestations pacifiques et en mettant fin à l’impunité endémique au sein de la police en ce qui concerne les homicides de manifestants.

Ce document, intitulé A Force for Good ? Restrictions on peaceful assembly and impunity for excessive use of force by the Sierra Leone police, montre comment, ces 10 dernières années, les manifestations contre le gouvernement ont régulièrement été interdites ou violemment dispersées, et marquées par des homicides imputés à la police qui sont restés impunis.

« Les autorités doivent garantir et promouvoir le droit des personnes de se réunir de manière pacifique sans avoir à craindre pour leur sécurité. Le nouveau gouvernement sierra-léonais se voit offrir une occasion unique d’introduire des réformes qui aideraient la police à encadrer les manifestations de manière sûre et efficace, à rétablir la confiance du public dans les forces de sécurité et à respecter son propre mot d’ordre, A Force for Good [Une force au service du bien]  », a déclaré Solomon Sogbandi, directeur d’Amnesty International Sierra Leone.

« Depuis 10 ans, la police sierra-léonaise tue impunément. Des manifestants non violents et de simples passants ont perdu la vie ou ont été grièvement blessés sans que personne ne soit amené à rendre des comptes. Si les nouvelles autorités sont aussi déterminées qu’elles le prétendent à respecter les droits humains, elles devraient commencer par abroger les lois répressives limitant les rassemblements pacifiques et s’attaquer à l’impunité endémique en matière de violences policières.  »

Une culture de l’impunité

Depuis son arrivée au pouvoir en avril 2018, le président Julius Maada Bio s’est engagé à réformer les forces de sécurité et à protéger les droits humains, dans un pays où l’impunité pour les violences policières est profondément enracinée.

Ces 10 dernières années, la police a fréquemment recouru à une force excessive afin de disperser des manifestations spontanées ; au moins neuf manifestants ont été tués et plus de 80 ont été blessés. Le rapport d’Amnesty International indique par ailleurs que plus de 80 manifestants ont été victimes de pillages à leur domicile ou d’une arrestation arbitraire.

Pas un seul policier n’a été tenu pénalement responsable dans les cas examinés par Amnesty International, malgré des recommandations en ce sens émises par deux commissions d’enquête et par la commission indépendante chargée de traiter les plaintes contre la police. Dans la plupart des cas, les policiers accusés d’actes répréhensibles ont été transférés dans un autre service.

Dans une affaire, Amnesty International a découvert que le policier soupçonné d’avoir donné l’ordre d’ouvrir le feu avait été promu. Dans un autre cas, un policier a échappé à des sanctions disciplinaires bien qu’une commission d’enquête ait recommandé qu’il soit démis de ses fonctions.

Des lois répressives restreignant le droit de réunion pacifique ont également été invoquées afin de poursuivre des manifestants, dont 39 ont été jugés pour avoir pris part à des rassemblements en 2015 et en 2016. Le 20 juin 2018, un tribunal a toutefois acquitté 16 des personnes arrêtées en 2015, après plus de 50 comparutions.

Une absence de réparations

Un grand nombre des manifestants ayant été visés sont jeunes. En mars 2017, un jeune garçon a été abattu et deux étudiants ont été blessés lorsque des policiers ont ouvert le feu sur des étudiants qui protestaient contre la fermeture de leur université, dans le district de Bo (sud du pays). Un des étudiants a toujours une balle logée dans le cœur, et son état nécessiterait des soins spécialisés qui ne sont pas proposés en Sierra Leone.

En août 2016, deux écoliers ont été abattus et quatre jeunes gens blessés lorsque la police a ouvert le feu lors d’une manifestation contre l’annulation de l’ouverture d’un centre de formation pour jeunes.

« C’est comme s’ils m’avaient tuée ce jour-là  », a déclaré à Amnesty International la mère d’un des garçons abattus.

Un de ces jeunes gens a reçu une balle dans le dos et n’est plus en mesure de travailler en raison de ses blessures. Il n’existe cependant pas de consignes claires pour l’indemnisation des victimes ou de leurs familles.

Un étudiant blessé par balle lors d’une manifestation étudiante à Bo, le 23 mars 2017, a confié à Amnesty International :

« Essayer d’obtenir justice dans ce pays revient à chercher une aiguille dans une botte de foin, en particulier lorsque l’État est en cause. »

Pas de réformes sans obligation de rendre des comptes

L’organisation demande au nouveau gouvernement sierra-léonais de remanier le cadre juridique répressif, qui ne respecte pas les obligations du pays au regard du droit international relatif aux droits humains. Le Parti du peuple de Sierra Leone affirme depuis des années avoir été victime, lorsqu’il était dans l’opposition, de lois et d’opérations de maintien de l’ordre répressives, et a désormais la possibilité d’amener des changements en sa qualité de parti au pouvoir.

Les autorités doivent garantir le droit à un recours effectif, notamment à des réparations adéquates, pour les victimes et leurs familles, ainsi qu’à des garanties de non-répétition. Les autorités doivent mettre en place un système de réparation pour les victimes de violences policières, et remédier au manque chronique de fonds, de formation et de responsabilisation de la hiérarchie au sein de la police.

L’organisation recommande également que la commission indépendante chargée de traiter les plaintes contre la police, établie en 2015 en tant qu’organe externe de surveillance de la police, soit dotée de ressources et de pouvoirs contraignants accrus.

« Le gouvernement sierra-léonais doit faire clairement savoir que les violences policières ne seront plus tolérées  », a déclaré Sabrina Mahtani, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

« Le président Bio a fait de nombreuses déclarations encourageantes sur le renforcement des droits humains, mais toute réforme du système pénal doit aller de pair avec un engagement fort en faveur de la responsabilisation et de réparations pour les violations du passé.  »

Complément d’information

Le rapport s’appuie sur des recherches effectuées par Amnesty International sur la situation des droits humains en Sierra Leone pendant plus d’une décennie.

L’organisation a rencontré 105 personnes, parmi lesquelles des victimes, des témoins, des avocats, des membres de la société civile, des manifestants et des parents de personnes tuées lors de manifestations entre juin 2017 et mai 2018. Amnesty International a également recueilli les propos de plusieurs policiers à travers le pays, notamment l’actuel directeur de l’inspection générale de la police et son prédécesseur.

Malgré de nombreuses tentatives en ce sens, l’organisation n’a pas pu rencontrer le substitut du Procureur général. Amnesty International a écrit au substitut du Procureur général en novembre 2017 puis de nouveau en avril 2018, afin de lui adresser une demande de renseignements, mais n’avait toujours pas reçu de réponse au moment de la publication du rapport. Amnesty International a également écrit au directeur de l’inspection générale de la police en avril 2018 afin de demander des informations complémentaires, et a reçu en mai 2018 une réponse selon laquelle celles-ci nous seraient envoyées. Pour l’heure, l’organisation n’a toujours pas reçu ce complément d’information.

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