SIERRA LEONE : Mettre fin à l’impunité et rendre justice : message d’Amnesty International à la conférence nationale en mémoire des victimes

Index AI : AFR 51/004/2005
ÉFAI
Jeudi 24 février 2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International se félicite de l’initiative prise par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone d’organiser le 1er et 2 mars 2005 à Freetown une conférence nationale en mémoire des victimes sur la vérité, la justice et la réconciliation. Il s’agit d’une occasion importante pour la population de la Sierra Leone, qui pourra évaluer dans quelle mesure le Tribunal spécial contribue à mettre fin à l’impunité pour certains des pires crimes connus, et pour déterminer ce qui reste à accomplir afin de rendre justice à toutes les victimes et à leurs familles ayant souffert des crimes commis au cours d’une décennie de conflit armé intérieur.
Le statut du Tribunal spécial lui donne mandat pour poursuivre, selon ses termes, les personnes qui portent la plus lourde responsabilité pour les crimes contre l’humanité, crimes de guerre et autres infractions graves au droit international commises au cour du conflit armé en Sierra Leone, après le 30 novembre 1996. La compétence du Tribunal spécial ne s’étend donc pas à tous ceux qui ont commis des crimes définis par le droit international pendant les dix années du conflit. Seules 11 des très nombreuses personnes soupçonnées de ces crimes ont été effectivement inculpées. Deux d’entre elles, dont l’ancien président libérien Charles Taylor, n’ont toujours pas été arrêtées puis remises au Tribunal spécial.
Depuis le mois d’août 2003, Charles Taylor est l’hôte du gouvernement nigérian, qui viole ainsi ses obligations juridiquement contraignantes définies par le droit international. La décision du gouvernement nigérian d’accorder le statut de réfugié à Charles Taylor constitue une violation de son obligation de remettre au tribunal une personne inculpée de crimes reconnus par le droit international, ou de soumettre son affaire à son propre parquet. Le gouvernement nigérian doit arrêter Charles Taylor et le remettre au Tribunal spécial.
Les poursuites à l’encontre de quelques responsables de crimes constitue une contribution importante à la lutte contre l’impunité en Sierra Leone, mais elles restent insuffisantes. Il faut agir davantage. La Commission vérité et réconciliation de la Sierra Leone joue un rôle important, en offrant un lieu d’expression aux victimes et aux responsables pour évoquer leurs expériences, en établissant un relevé historique et impartial des atteintes aux droits humains commises au cours du conflit, en identifiant les causes de ces violences, et en facilitant la réconciliation. Pourtant, cette commission ne peut se substituer à un tribunal pour juger les responsables présumés de graves violations du droit international.
L’un des éléments essentiels pour rendre justice aux victimes d’atteintes aux droits humains est l’octroi de réparations. Amnesty International a constaté avec déception que le statut du Tribunal spécial ne suivait pas l’exemple du statut de Rome de la Cour pénale internationale, en ne l’autorisant pas à accorder des réparations aux victimes de crimes relevant de sa compétence, notamment par restitution de biens, compensations, réhabilitation, satisfaction, et garantie de non-répétition. Ces réparations font partie intégrante de la justice à rendre aux victimes, et les aident aussi à reconstruire leur vie.
Le système judiciaire national doit pouvoir fonctionner de manière à traduire en justice toutes les personnes ayant commis des crimes terrifiants au cours du conflit, mais ne faisant pas partie du petit nombre d’inculpés par le Tribunal spécial. Leurs victimes doivent également se voir octroyer des réparations. Ainsi, le « legs » du Tribunal spécial au système judiciaire national - qui continue à subir de graves difficultés dans l’administration efficace de la justice - revêt une importance capitale. Même si le Tribunal spécial ne peut à lui seul révolutionner un système judiciaire national en difficulté, sa présence, son exemple et ses ressources doivent contribuer puissamment à renforcer une stratégie volontaire et durable pour mettre fin à l’impunité et construire un système judiciaire efficace à l’avenir.
Cependant, l’amnistie générale figurant dans l’accord de paix de Lomé, en 1999, puis retranscrite dans le droit national, constitue une pierre d’achoppement. Cette amnistie, néanmoins, ne peut s’appliquer aux crimes contre l’humanité, crimes de guerre et autres graves violations du droit international. Dans une décision historique de mars 2004, le Tribunal spécial a refusé de reconnaître l’applicabilité de l’amnistie figurant dans le traité de paix de Lomé, en concluant que cette amnistie n’empêchait pas les tribunaux internationaux, comme le Tribunal spécial, ni les tribunaux étrangers, de poursuivre des responsables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Pour remettre véritablement en cause l’impunité en Sierra Leone, les dispositions de l’amnistie doivent être supprimées des textes statutaires.
Si la peine de mort était supprimée des textes statutaires de la Sierra Leone, cela constituerait une étape historique et un legs durable du Tribunal spécial. Il faut mettre fin à la contradiction entre le Tribunal spécial, où la peine maximale est une certaine peine d’emprisonnement, et les tribunaux nationaux, qui continuent à infliger la peine de mort. Le gouvernement de la Sierra Leone doit suivre l’exemple du Tribunal spécial, ainsi que l’une des recommandations principales de la Commission vérité et réconciliation, en abolissant la peine de mort.
Pour plus d’informations, voir Special Court for Sierra Leone : Statement to the National Victims Commemoration Conference, Freetown, 1 and 2 March 2005 (Index AI : AFR 51/002/2005), 1er mars 2005.

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