Le Sri Lanka ne s’acquitte pas d’un grand nombre de ses obligations internationales relatives aux droits humains. L’impunité demeure la norme pour les auteurs de violations flagrantes, y compris de crimes de guerre présumés. Les droits humains continuent d’être gravement et systématiquement bafoués. Le conflit armé qui a déchiré le pays a pris fin en 2009, mais la pratique de la détention illégale, bien établie pendant le conflit, est toujours monnaie courante tandis que les arrestations et détentions arbitraires, la torture et d’autres mauvais traitements ainsi que les homicides en détention restent caractéristiques du maintien de l’ordre au Sri Lanka. Le nombre de cas de disparitions forcées signalés au cours des six derniers mois est alarmant ; les militants politiques qui critiquent l’État continuent d’être la cible de cette pratique. Les campagnes de dénigrement et d’intimidation visant les défenseurs des droits humains et les journalistes qui travaillent pour des journaux appartenant à l’État s’accompagnent d’attaques contre les personnes qui prônent l’obligation de rendre des comptes en matière de droits humains devant le Conseil des droits de l’homme.
Les autorités sri-lankaises contournent ou ignorent délibérément les protections incorporées dans le système pénal de droit commun. Elles agissent parfois en dehors du cadre légal mais, le plus souvent, se prévalent de lois relatives à la sécurité pour arrêter des suspects sans preuve ni mandat et pour les maintenir en détention sans inculpation pendant de longues périodes. Le 30 août 2011, le gouvernement a levé l’état d’urgence, en place de façon presque ininterrompue depuis 1971. La Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA), très répressive et autorisant le placement prolongé en détention administrative, est toutefois restée en vigueur. En outre, les autorités ont promulgué de nouveaux règlements aux termes de la PTA pour continuer à maintenir en détention, sans inculpation ni jugement, des suspects appartenant aux Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE). Les dispositions de la PTA inversent la charge de la preuve dans les cas présumés de torture ou d’autres mauvais traitements, et restreignent les libertés d’expression et d’association. Amnesty International a diffusé de nombreuses informations à ce propos, notamment dans le cadre de communications adressées aux Procédures spéciales des Nations unies et en amont du prochain Examen périodique universel du Sri Lanka.
Lors de son premier Examen périodique universel en 2008, le Sri Lanka s’est engagé à renforcer ses procédures et mécanismes nationaux en matière de droits humains en lançant un plan national d’action dans ce domaine, assorti de cibles à atteindre entre 2009 et 2014. La traduction dans les faits de cet engagement est extrêmement lente. La mise en œuvre du Plan national d’action pour la promotion et la protection des droits humains était initialement prévue en 2009, mais ce texte n’a été approuvé par le gouvernement sri-lankais qu’en septembre 2011. Une sous-commission ministérielle, chargée de superviser la mise en œuvre du Plan d’action, a finalement été désignée en février 2012. Ce Plan d’action contient des engagements importants en matière de droits humains qui, s’ils sont tenus, constitueront des réformes précieuses. Cependant, peu d’avancées ont été constatées mis à part la désignation de la sous-commission. Le Plan d’action du Sri Lanka ne doit pas devenir un énième moyen d’échapper à la surveillance de la communauté internationale et de retarder les réformes nécessaires.
Le 22 mars 2012, le Conseil des droits de l’homme a adopté la résolution 19/2, où il a demandé au Sri Lanka de mettre en œuvre les recommandations formulées par une commission d’enquête nationale, la Commission enseignements et réconciliation (LLRC), pour que les droits humains soient mieux respectés . Il a engagé le gouvernement sri-lankais à donner suite aux « recommandations constructives » de la LLRC et à « prendre toute mesure complémentaire qui s’impose pour honorer ses obligations légales et l’engagement qu’il a pris d’engager des actions crédibles et indépendantes pour garantir la justice, l’équité, l’établissement des responsabilités et la réconciliation pour tous les Sri-Lankais ». Dans cette résolution, le Conseil des droits de l’homme notait aussi avec préoccupation que le rapport final de la LLRC « ne trait[ait] pas comme il convient des allégations graves de violation du droit international », et priait le gouvernement de le faire .
La résolution 19/2 a encouragé le Haut-Commissariat des droits de l’homme et les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales concernés « à fournir des conseils et une assistance technique au sujet de la mise en œuvre des mesures susmentionnées en consultant le Gouvernement sri-lankais et avec son accord, et [a prié] le Haut-Commissariat de présenter un rapport sur cette assistance au Conseil des droits de l’homme à sa vingt-deuxième session ». C’est là un point fondamental : le Sri Lanka s’oppose systématiquement à la participation de la communauté internationale aux efforts de suivi et de reddition de comptes en matière de droits humains, et refuse d’adresser une invitation permanente aux Procédures spéciales des Nations unies. Amnesty International considère que ces mesures sont essentielles pour assurer une paix durable, l’obligation de rendre des comptes et la réconciliation au Sri Lanka.
La résolution 19/2 du Conseil des droits de l’homme constitue une première initiative importante de la part des États membres des Nations unies pour encourager le Sri Lanka à établir les responsabilités pour les crimes de droit international qui auraient été commis par ses forces armées et les LTTE pendant le conflit. Si la communauté internationale ne porte pas son attention sur le pays, il est quasiment certain que celui-ci ne donnera pas suite à ces graves allégations. Ne pas rendre justice aux victimes serait un désastre, et menacerait les institutions et générations futures essentielles à la protection des droits au Sri Lanka et à l’échelle internationale.
Le Conseil des droits de l’homme et les États membres des Nations unies doivent poursuivre leurs efforts pour amener le Sri Lanka à respecter davantage les droits humains par l’intermédiaire de réformes nationales et à rendre justice aux victimes de violations de ces droits.
Les Nations unies doivent être disposées à agir indépendamment pour mettre fin au cycle de l’impunité au Sri Lanka si le gouvernement sri-lankais se montre incapable de le faire. À ce jour, le pays n’a pas prouvé qu’il avait la capacité comme la volonté politique de véritablement rendre des comptes pour les crimes de guerre qui auraient été commis pendant la phase finale du conflit armé avec les LTTE. Amnesty International demeure convaincue que seule une enquête internationale impartiale menée sur les allégations de crimes de droit international commis par les deux parties lors du conflit armé interne permettra de le faire.
Le Conseil des droits de l’homme devrait également exhorter le Sri Lanka à prendre les mesures suivantes pour protéger les droits humains :
Législation antiterroriste
- Abroger la Loi relative à la prévention du terrorisme, et supprimer le système de détention administrative ;
- S’assurer que les mesures sécuritaires adoptées dans le contexte des violences armées respectent le droit international relatif aux droits humains ? ;
- Libérer toutes les personnes arrêtées au titre de la législation d’urgence ou antiterroriste, à moins qu’elles ne soient inculpées d’une infraction dûment reconnue et placées en détention provisoire par un tribunal indépendant et régulièrement constitué. Les accusés doivent être jugés dans les plus brefs délais par un tribunal régulièrement constitué, dans le respect des garanties internationalement reconnues et sans que la peine de mort puisse être requise.
Plan national d’action relatif aux droits humains
- Donner rapidement suite aux engagements concrets relatifs aux droits humains qui figurent dans le Plan national d’action relatif aux droits humains, en particulier à ceux qui protègeront la population contre les violations flagrantes actuelles et qui mettront fin à l’impunité.
Institutions nationales
- Renforcer et garantir l’indépendance d’institutions de défense des droits humains, comme la Commission des droits humains ?.
Protection des témoins
- Élaborer et appliquer un programme efficace de protection des témoins et victimes ?.
Commission enseignements et réconciliation (LLRC)
- Ouvrir dans les meilleurs délais des enquêtes efficaces sur les témoignages et les déclarations écrites que reçoit la LLRC à propos de violations présumées du droit humanitaire ou du droit relatif aux droits humains. Une véritable protection doit être offerte à tous les témoins pendant le déroulement de l’enquête. Les auteurs de violations du droit humanitaire ou du droit relatif aux droits humains identifiés à l’issue des enquêtes de la LLRC ne doivent pas bénéficier d’une amnistie, quelle que soit leur fonction au sein du gouvernement.
Arrestations et détentions arbitraires
- Relâcher toutes les personnes incarcérées, y compris celles maintenues en détention dans des « camps de rééducation », à moins qu’elles ne soient inculpées d’une infraction dûment reconnue par le droit international et jugées dans le plein respect des normes internationales d’équité des procès et sans que la peine de mort puisse être requise. Appliquer sans délai toutes les décisions de justice ordonnant la libération du détenu (comme les décisions de la Cour suprême dans les affaires de violations des droits fondamentaux et les actions en habeas corpus) ;
- Mettre immédiatement un terme à la pratique de la détention au secret ;
- Fermer immédiatement tous les lieux de détention non officiels et secrets, et promulguer une loi rendant illégale l’emprisonnement dans tout autre lieu que des centres de détention officiels, qui soient connus des familles, des avocats et des tribunaux, ainsi que des observateurs indépendants, et qui soient accessibles à toutes ces personnes.
Disparitions forcées
- Adopter des mesures pour enquêter sur les responsables de graves violations des droits humains, comme les disparitions forcées, engager des poursuites judiciaires à leur encontre et les sanctionner, dans le respect des normes internationales et en toute transparence ? ;
- Autoriser dans les meilleurs délais la visite demandée par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires.
Torture et autres mauvais traitements
- Mettre en œuvre les recommandations du Rapporteur spécial sur la torture, concernant en particulier le renforcement des garanties juridiques pour éliminer toutes les formes de mauvais traitements ou de torture dans les centres de détention ? ;
- Abolir la peine de mort.
Exécutions extrajudiciaires
- Enquêter sur toutes les allégations d’homicides extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, poursuivre les auteurs de ces actes et les déférer à la justice conformément aux normes internationales ?.
Impunité
- Prendre toutes les mesures nécessaires pour poursuivre et punir les responsables de violations du droit international relatif aux droits humains et du droit international humanitaire ?.
Ratification et mise en œuvre de traités internationaux relatifs aux droits humains
- Ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ;
- Ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
- Ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ;
- Mettre en place des procédures légales visant à examiner les modalités d’application des avis du Comité des droits de l’homme des Nations unies.