Somalie. Amnesty International demande que les transferts d’armes au gouvernement fédéral de transition somalien s’effectuent dans la transparence et soient assortis de garanties

Synthèse destinée aux médias

ÉFAI-
11 août 2009

À la suite des informations indiquant que les États-Unis avaient décidé de doubler leurs livraisons d’armes au gouvernement fédéral de transition somalien, Amnesty International a demandé, le 11 août, que des garanties soient appliquées de toute urgence à tous les transferts d’armes à destination de la Somalie.

Quelques semaines après que le département d’État américain eut indiqué avoir fait parvenir 40 tonnes d’armes et de munitions à la Somalie, la secrétaire d’État Hillary Clinton a confirmé, le 6 août, le soutien de son pays au président du gouvernement fédéral de transition somalien.

Amnesty International a demandé aux États-Unis et à tous les pays qui fournissent ou financent des armes ou des formations destinées aux forces militaires et de sécurité du gouvernement fédéral de transition somalien de mettre en place des mécanismes destinés à empêcher que le matériel et les services livrés ne soient utilisés pour commettre des violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains.

Ces garanties doivent s’appliquer à tous les équipements et toutes les formations militaires, de sécurité et de police fournis au gouvernement fédéral de transition, ainsi qu’au financement accordé pour l’achat d’armement ou de formation, a indiqué Amnesty International. La communauté internationale doit aider le gouvernement fédéral de transition à mettre en place ces garanties sans tarder.

Le 7 mai 2009, des groupes armés opposés au gouvernement fédéral de transition ont lancé une offensive militaire dans le sud et le centre du pays. Depuis cette date, les informations faisant état de bombardements aveugles dans des zones civiles, imputables à toutes les parties au conflit, se sont multipliées. Des centaines de civils sont morts et plusieurs milliers d’autres ont été blessés lors d’attaques menées sans discrimination. Dans la seule agglomération de Mogadiscio, cette nouvelle phase du conflit a contraint quelque 232 000 personnes à quitter leur foyer, selon les Nations unies.

Amnesty International a également demandé que l’embargo de l’ONU sur les livraisons d’armes à la Somalie, décrété en 1992, soit renforcé de toute urgence, et que les États prennent des mesures complémentaires pour qu’il soit véritablement appliqué.

Dans l’embargo actuellement en vigueur, des exemptions sont prévues pour consolider les organes de sécurité du gouvernement fédéral de transition. Les demandes de dérogation sont adressées au Comité des sanctions concernant la Somalie, chargé de vérifier l’application de l’embargo et de gérer le régime de sanctions. Toutefois, il n’existe aucun mécanisme opérationnel permettant d’éviter que les armes, le matériel et les fonds transférés ne soient utilisés pour commettre des violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains, ne soient livrés à des responsables de violations commises dans le passé, ne tombent entre les mains de groupes armés opposés au gouvernement fédéral de transition ou n’aboutissent sur le florissant marché des armes somalien.

Selon le dernier rapport du Groupe de contrôle des Nations unies, chargé d’évaluer l’application de l’embargo sur les armes en Somalie, « l’investissement international visant à consolider les forces de sécurité du gouvernement fédéral de transition a été détourné à hauteur de 80 % à des fins autres que celles recherchées ». Les défections, les désertions, la vente d’armes, d’uniformes et d’équipement par des membres des forces du gouvernement fédéral de transition, la saisie d’armes et de matériel par des groupes d’opposition sont à l’origine de ces détournements. Un autre phénomène est l’affectation à des fins militaires de ressources destinées à un usage civil, en particulier par la police du gouvernement fédéral de transition, qui prend une part de plus en plus active au conflit armé. Rendus possibles par l’absence de contrôles adéquats sur l’équipement et la formation fournis au gouvernement fédéral de transition, ces détournements non seulement entraînent des violations graves du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains, mais pourraient aussi compromettre les efforts visant à mettre un terme au conflit et à l’insécurité en Somalie.

Il est par conséquent essentiel que le Conseil de sécurité des Nations unies et tous les États mettent en place des mécanismes efficaces permettant de contrôler la livraison et l’utilisation des armes et des autres équipements de sécurité fournis à la Somalie dans le cadre du régime dérogatoire à l’embargo sur les armes imposé au pays.

Le Conseil de sécurité doit en premier lieu veiller à ce que les lignes directrices du Comité des sanctions concernant la Somalie soient rigoureusement respectées, et que tous les États, les organisations et les agences internationales qui demandent une dérogation à l’embargo sur les armes donnent au Comité des éléments suffisamment détaillés sur le type et les spécifications techniques de l’équipement à livrer, les fournisseurs, les moyens de transport, les itinéraires et les ports d’entrée, ainsi que sur le destinataire et l’utilisateur prévus. Cette information doit être communiquée au Comité des sanctions en préalable à l’octroi de toute dérogation. Ceci permettrait que des contrôles soient effectués sur l’équipement au moment de la livraison et après celle-ci, afin de vérifier qu’il n’est pas détourné vers les marchés locaux de l’armement ou au profit de groupes armés d’opposition. Toutes les armes transférées en Somalie, y compris les armes légères et de petit calibre, doivent être marquées de manière unique, conformément à l’Instrument international relatif au traçage des armes adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 2005. Les États qui se sont vu octroyer une dérogation doivent effectuer des contrôles lors de l’acheminement et après la livraison, de manière régulière, pour vérifier que les fournitures militaires n’ont pas été détournées. Ils doivent communiquer les résultats de ces contrôles au Comité des sanctions et au Groupe de contrôle des Nations unies. Les entités qui fournissent au gouvernement fédéral de transition des armes et des formations en matière de sécurité doivent l’aider à mettre en place des procédures permettant une gestion des armes responsable et un stockage sûr, conformément aux normes et aux meilleures pratiques internationales.

Les États doivent aussi assortir l’assistance dans le domaine militaire et de la sécurité de garanties humanitaires et en matière de droits humains. Ils doivent s’abstenir de fournir de l’équipement lorsqu’il existe un risque substantiel que celui-ci soit utilisé pour commettre des violations graves du droit international humanitaire, comme le bombardement sans discrimination de zones habitées par des civils.

Les États doivent en outre veiller à ce que le recrutement, la formation et le déploiement de toutes les entités armées soutenant le gouvernement fédéral de transition s’accompagnent de mécanismes opérationnels de contrôle, de reddition de comptes, de transparence et de surveillance auxquels participent des représentants de la communauté internationale. Jusqu’à présent, les membres des différentes forces de sécurité somaliennes ne sont pas passés par un processus de sélection approprié, et certains de ceux actuellement en poste ou en lice pour le recrutement pourraient être responsables d’atteintes aux droits humains commises au fil des années lors du conflit. « La situation actuelle sur le plan de la sécurité dans le pays, à Mogadiscio en particulier, exclut de vrais progrès » dans la mise en place de mécanismes de gouvernance, de surveillance et de contrôle, indiquait à ce sujet le dernier rapport du secrétaire général des Nations unies sur la situation en Somalie. Il s’agit notamment de renforcer les contrôles et l’obligation de diffuser des informations, et de développer les moyens permettant que des enquêtes soient menées sur d’éventuelles violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains.

Amnesty International a demandé aux États de soutenir la création d’une commission d’enquête indépendante et impartiale, ou d’un mécanisme similaire, qui serait chargée de mener des investigations sur les violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains perpétrées en Somalie en 2007, 2008 et 2009, de dresser un état des atteintes aux droits humains les plus graves commises depuis 1991 et de recommander des mesures afin que les responsables présumés rendent compte de leurs actes. Ce mécanisme pourrait aussi utilement contribuer au processus de sélection des forces de sécurité somaliennes.

Le Groupe de contrôle des Nations unies a recensé de multiples violations de l’embargo, aussi bien par des États que par des individus. Les États doivent non seulement respecter l’embargo, mais aussi s’abstenir de transférer de l’armement et du matériel connexe à des entités ou des États tiers lorsqu’il existe un risque important que cet équipement puisse être, directement ou indirectement, détourné vers des entités armées en Somalie. Bien qu’ils ne soient pas illégaux d’un point de vue strictement technique, ces transferts compromettent l’efficacité de l’embargo sur les armes et risquent d’entraîner des atteintes graves aux droits humains et des violations du droit international humanitaire.

Complément d’information

La Somalie est en proie à un conflit armé depuis la chute du régime de Siyad Barré, en 1991. Les affrontements se sont intensifiés et les homicides de civils se sont accrus après l’intervention, à la fin de l’année 2006, de l’armée éthiopienne, entrée en Somalie pour aider le gouvernement fédéral de transition dans sa lutte contre une série de groupes armés d’opposition pour reprendre le contrôle de territoires perdus.

Des pourparlers de paix réunissant, sous l’égide des Nations unies, le gouvernement fédéral de transition et l’Alliance pour une nouvelle libération de la Somalie–Djibouti (ARS–Djibouti, l’un des groupes armés) ont débouché sur la conclusion d’un accord en octobre 2008. L’Accord de Djibouti a été suivi de la démission du président du gouvernement fédéral de transition, Abdullahi Yusuf, en décembre 2008, et du retrait des troupes éthiopiennes de Somalie en janvier 2009. Considéré comme étant capable de négocier avec les autres groupes d’opposition armée, le responsable de l’ARS-Djibouti, Sheikh Sharif Sheikh Ahmed, a été nommé à la tête du gouvernement le 30 janvier 2009.

De nombreux groupes armés d’opposition, notamment les différentes factions de la milice Al Shabab et de Hizbul Islam, ont juré de continuer à se battre contre le nouveau gouvernement fédéral de transition et la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), une modeste force de maintien de la paix basée à Mogadiscio. Le 7 mai 2009, l’opposition armée a lancé une offensive militaire contre le palais présidentiel à Mogadiscio. Les combats se poursuivent actuellement.

Aux termes de l’Accord de Djibouti, les forces somaliennes comprennent désormais des membres de l’armée de l’ancien gouvernement fédéral de transition et d’autres issus de l’ex-ARS. L’exacte composition de ces forces reste cependant inconnue, et l’on ignore de même qui en assure véritablement la direction et le commandement. Des milices liées à certains chefs de clan ou de sous-clan, ou à d’anciens seigneurs de la guerre, combattent également aux côtés des forces du gouvernement fédéral de transition.

Dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord de Djibouti, un comité de sécurité conjoint a été créé afin de superviser le cessez-le-feu entre le gouvernement fédéral de transition et l’ARS–Djibouti, de prendre des dispositions en matière de sécurité et de veiller à la protection de l’accès humanitaire. Cet organe doit aussi faire le lien entre la communauté internationale et le gouvernement fédéral de transition pour tout ce qui concerne les questions de sécurité. Il ne s’est réuni qu’une fois jusqu’à présent.

Un million d’habitants de la capitale ont dû quitter leur foyer en 2007 et 2008 en raison du conflit. Plus de 500 000 sont actuellement réfugiés dans des pays voisins. Il y a aujourd’hui en Somalie quelque 1 300 000 personnes déplacées et environ 3 200 000 personnes dépendant de l’aide humanitaire.

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