Quatre journalistes ont fait l’objet d’une arrestation arbitraire à Garowe, la capitale du Puntland, et à Bosaso, une ville côtière, au cours des six dernières semaines, ce qui fait craindre pour la liberté des médias dans la région à l’approche des élections, qui devaient avoir lieu en février et ont été reportées.
« Cette augmentation des arrestations de journalistes dans le Puntland est le signe d’une répression croissante contre la liberté des médias. Ces arrestations auront un effet paralysant sur le travail des journalistes avant, pendant et après l’élection », a déclaré Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.
« Ces arrestations sont une menace pesant sur le travail des journalistes, la liberté des médias et le droit à la liberté d’expression. Les autorités doivent en finir avec cette pratique, et respecter, protéger, promouvoir et concrétiser les droits fondamentaux de tous et de toutes, ainsi que la liberté des médias.
« Cette augmentation des arrestations de journalistes dans le Puntland est le signe d’une répression croissante contre la liberté des médias »
Kilwe Adan Farah, un journaliste indépendant, se trouve en détention depuis le 27 décembre 2020, quand il a a été arrêté par des agents des services de renseignement du Puntland, un jour après avoir couvert à Garowe des actions de protestation [1] contre ce que les manifestant·e·s estiment être la mauvaise gestion gouvernementale de la monnaie locale. Il a été inculpé de cinq infractions, notamment de « publication de fausses informations et mise en péril de la réputation de la nation ou de l’État », et cinq jours plus tard, le 3 mars, il a été condamné par un tribunal militaire à trois mois de prison. Dans son jugement, le tribunal a noté qu’aucun élément de preuve n’avait été produit afin d’étayer les allégations. Kilwe Adan Farah a tout de même été condamné à une peine de trois mois de prison - à compter de la date de son arrestation - en vertu de l’Article 165 du Code pénal somalien, lui-même obsolète et rédigé en termes vagues, qui accorde aux juges des pouvoirs discrétionnaires leur permettant d’imposer des mesures de sécurité contre des personnes considérées comme des « dangers pour la société ». Le procureur, qui n’était pas satisfait, a fait appel de la décision le 4 mars, et Kilwe Adan Farah est maintenu en détention à la prison centrale de Garowe.
Le 22 février, la police a appréhendé Ahmed Botan Arab, un journaliste indépendant, dans la ville de Bosaso. Il a été arrêté après avoir mis en ligne sur son profil Facebook des interviews vidéo [2] montrant plusieurs résidents de Bosaso s’exprimant sur un discours prononcé la veille par le président du Puntland, Said Abdullahi Deni. Le discours portait sur la situation politique dans la région et sur l’impasse persistante autour de l’application d’un accord électoral entre dirigeants régionaux et fédéraux en Somalie.
Le 25 février, un autre journaliste, Abdifatah Abdullahi Farah, également connu sous le nom de « Jiib », a été arrêté par des policiers à son bureau de Garowe en relation avec la couverture qu’il avait accordée au même discours présidentiel [3] . Ce journaliste du Réseau télévisé de Somalie a été appréhendé et interrogé pendant plusieurs heures au poste de police central de Garowe, puis relâché plus tard le même jour sans avoir été inculpé. Il a déclaré à Amnesty International qu’il avait seulement été libéré après avoir accepté de ne pas diffuser de reportages critiquant le gouvernement du Puntland et ses dirigeants.
« Les autorités du Puntland doivent abandonner toutes les charges infondées retenues contre Kilwe Adan Farah, et le libérer immédiatement et sans condition. Elles doivent aussi cesser de le harceler et de menacer d’autres journalistes »
Un autre journaliste, Ahmed Botan, a été arrêté, placé en garde à vue au poste de police de Bosaso pendant deux jours, puis remis en liberté sans inculpation le 24 février après que des notables d’un clan local sont intervenus en sa faveur. Il a déclaré à Amnesty International : « Les autorités du Puntland ne veulent pas qu’on les critique dans nos articles. J’ai été arrêté pour avoir fait mon travail, et pour avoir recueilli les propos de personnes qui sont en désaccord avec le président. »
« Les autorités du Puntland doivent abandonner toutes les charges infondées retenues contre Kilwe Adan Farah, et le libérer immédiatement et sans condition. Elles doivent aussi cesser de le harceler et de menacer d’autres journalistes, notamment en les soumettant à des procès militaires contraires au droit international relatif aux droits humains », a déclaré Deprose Muchena.
Dans un autre cas, le 1er mars, Jamal Farah Adan, un journaliste indépendant, a été tué par balle par des inconnus armés alors qu’il était assis avec des amis dans un magasin de Galkayo. Le groupe armé d’Al Shabab a revendiqué [4] cet homicide. Le 6 mars, le président Deni a déclaré que plusieurs individus avaient été arrêtés [5] à Galkayo et faisaient actuellement l’objet d’une enquête en relation avec l’homicide de Jamal Farah Adan.
Al Shabab et l’ensemble des autres groupes armés doivent cesser de prendre les journalistes pour cible. Les autorités du Puntland doivent mener à bien l’enquête annoncée sur le meurtre de Jamal Farah Adan dans les meilleurs délais, et traduire les responsables présumés en justice dans le cadre de procédures équitables.
Amnesty International a précédemment fait état de violations du droit à la liberté d’expression et d’atteintes à la liberté des médias dans le centre-sud de la Somalie. À l’heure où le pays se prépare aux élections, il est important que les autorités, au niveau régional comme fédéral, permettent aux journalistes de faire leur travail sans restriction.