Communiqué de presse

Somalie. Il faut libérer un journaliste et d’autres personnes détenues illégalement dans une affaire d’allégations de viol

La liberté des médias mise à mal par l’attitude de la police dans une affaire de violences sexuelles. Défaut d’enquête appropriée sur des allégations de viol.

Les autorités somaliennes doivent remettre immédiatement en liberté un journaliste et trois autres personnes liées à l’affaire d’une femme qui a porté plainte pour un viol commis par les forces de sécurité, ont déclaré le 23 janvier Amnesty International, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) et Human Rights Watch. Cela fait maintenant plus d’une semaine (et même 12 jours, dans un cas) que ces personnes sont détenues sans inculpation.

« Le nouveau gouvernement somalien a un discours juste sur l’état de droit et la liberté de la presse, mais le placement en détention de journalistes et d’autres personnes qui parlent de viol envoie le message inverse, a déclaré Daniel Bekele, directeur pour l’Afrique à Human Rights Watch. Les autorités doivent remettre en liberté les quatre personnes détenues et veiller à ce que la police enquête sérieusement sur les cas de violences sexuelles. »

Le 10 janvier 2013, le Département central d’enquête de la police somalienne, à Mogadiscio, a arrêté une femme qui avait déclaré avoir été violée quelques mois plus tôt par des membres des forces gouvernementales. Les policiers ont également interpellé deux personnes qui avaient mis cette femme en contact avec des journalistes.

Selon certaines informations, le responsable du département, le général Abdullahi Hassan Barisse, aurait pendant les interrogatoires contraint la femme à communiquer les numéros de téléphone des journalistes qui l’avaient interviewée. Avec le téléphone portable de l’intéressée, la police a appelé l’un de ces journalistes et lui a ordonné de se rendre dans les locaux du service. Abdiaziz Abdinur Ibrahim, un journaliste indépendant qui travaille pour Dalsan Radio et Badri Media Productions, s’est présenté le jour-même. Il est détenu depuis lors.

À l’issue de deux jours d’interrogatoire, la femme a été remise en liberté. Selon la police, elle est revenue sur ses accusations de viol. Toutefois, le mari de cette femme a été arrêté arbitrairement le 12 janvier et est toujours détenu. Selon des sources locales dignes de foi, il maintient que son épouse a été violée. Deux autres personnes – un homme et une femme qui ont servi d’intermédiaires entre la femme et les journalistes – sont également détenues depuis plus d’une semaine.

Ces arrestations sont liées à l’intérêt accru des médias vis-à-vis des nombreux cas de viol et autres violences sexuelles dans le sud et le centre de la Somalie, dont un certain nombre d’agressions qui auraient été commises par des membres des forces de sécurité. Le 6 janvier, une chaîne de télévision somalienne, Universal TV, a indiqué que des hommes armés portant l’uniforme de la police avaient violé une jeune femme. Le même jour, Al Jazira a publié un article sur des viols commis par les forces de sécurité dans des camps de personnes déplacées à Mogadiscio.

Abdiaziz Abdinur, le journaliste arrêté, ne travaille ni pour Al Jazira ni pour Universal TV et n’a rien à voir avec les informations diffusées par ces deux organes. Il n’avait parlé des allégations de viol formulées par la femme en question à aucun des deux médias, et il n’a interviewé l’intéressée que deux jours après la diffusion de ces informations. En tout état de cause, ceci ne constituerait pas une infraction pénale ou un motif de placement en détention. Amnesty International considère que cet homme est un prisonnier d’opinion.

Les victimes de viol parmi les populations déplacées en Somalie sont souvent réticentes à porter plainte, parce qu’elles craignent des représailles, n’ont pas confiance dans les autorités et ne disposent que de moyens médicaux, psychosociaux et juridiques très limités, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International.

La Somalie est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui établit le droit à la liberté d’expression et d’information. Les restrictions dont ce droit peut faire l’objet, pour des raisons légitimes liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public, doivent s’inscrire dans le cadre de la loi et n’intervenir que lorsque cela est strictement nécessaire dans une situation donnée. Ces restrictions doivent être proportionnelles au danger encouru. Les autorités n’ont avancé aucune base légale pour justifier la limitation de ces droits pour les personnes détenues. Elles se trouvent donc dans une position de violation du droit international relatif aux droits humains, ont indiqué Amnesty International, le CPJ et Human Rights Watch.

Le Département central d’enquête a également interrogé d’autres journalistes somaliens, notamment le correspondant d’Al JAzira en langue arabe, Omar Faruk, et le journaliste de radio Abdiaziz Mohamed Dirie, détenu pendant une nuit dans les locaux de l’Agence nationale de sécurité.

« La Somalie est l’un des endroits les plus dangereux du monde pour l’exercice du métier de journaliste, a déclaré Tom Rhodes, consultant sur l’Afrique de l’Est au Comité pour la protection des journalistes. Cela n’a jamais été un crime ou un délit d’interviewer une personne, que l’histoire que cette personne raconte soit vraie ou pas. Plutôt que d’inventer des crimes, les autorités feraient mieux de consacrer leur temps et leurs moyens à enquêter sur ceux qui existent. »

Le 16 janvier, le directeur des services de police, le général Sharif Shekuna Maye, a tenu une conférence de presse à Mogadiscio au cours de laquelle il a affirmé qu’Abdiaziz Abdinur avait contribué au reportage d’Al Jazira. Les paroles du responsable de la police laissent craindre qu’Abdiaziz Abdinur ne soit en butte à une détention illégale et une éventuelle inculpation pénale en raison de l’exercice de ses droits fondamentaux, mais aussi peut-être sur la base de fausses allégations.

Le 18 janvier, la presse gouvernementale a rapporté des propos du ministre de l’Intérieur indiquant que le journaliste et la victime présumée de viol étaient coupables d’avoir monté l’histoire de toutes pièces. En évoquant la « culpabilité » de personnes détenues, les autorités font fi de la présomption d’innocence, une garantie essentielle pour une procédure équitable.

Le 17 janvier, la police a sollicité une prolongation de 10 jours pour l’enquête initiale. Le procureur général a prorogé de trois jours la phase d’enquête de la police. Le 20 janvier, la police a requis une nouvelle prolongation, mais le procureur général aurait rejeté cette demande. Les personnes détenues dans cette affaire n’ont qu’un accès limité à leur famille, à un conseil juridique et à des soins médicaux. Elles se sont vu refuser des médicaments à plusieurs reprises.

Amnesty International, le CPJ et Human Rights Watch ont fait part de préoccupations sérieuses concernant le traitement réservé à la femme pendant sa garde à vue, et notamment concernant les interrogatoires qui se sont déroulés en dehors de la présence d’un avocat.

Lors de conférence de presse du 16 janvier, le général Sharif Shekuna Maye a présenté publiquement la femme en question. Il a affirmé qu’elle avait avoué avoir monté cette histoire de toutes pièces en échange d’une rétribution financière ; elle aurait agi à l’instigation du journaliste et de l’autre femme détenue.

Le montage avait pour objectif, selon lui, de « porter atteinte à la dignité de la police et à la dignité de la nation somalienne ».

« La façon dont la police gère cette affaire risque de dissuader la presse et les victimes de viol et d’autres formes de violence sexuelle de parler de ce sujet tabou, a déclaré Audrey Gaughran, directrice du programme Afrique à Amnesty International : non seulement la victime présumée été présentée en public et à la presse, mais la police a également évoqué publiquement son dossier médical, ce qui constitue une atteinte flagrante à sa vie privée. La police doit modifier en profondeur son approche vis-à-vis des femmes qui déclarent avoir subi des violences sexuelles. Au lieu de refuser d’admettre la parole de celles qui osent parler et qui portent plainte, et de les poursuivre au pénal, elle doit garantir leur protection et mener des investigations impartiales. »

Le nouveau président somalien, Hassan Sheikh Mohamud, s’est engagé publiquement en novembre à faire en sorte que les membres des forces de sécurité qui commettent des violations des droits humains, y compris ceux qui se rendent coupables de viol, soient amenés à rendre compte de leurs actes. Il a également réclamé l’application de la peine de mort contre les personnes déclarées coupables de viol. Human Rights Watch et Amnesty International demandent instamment aux autorités de ne pas recourir à la peine de mort, qui est la forme la plus absolue de déni des droits humains.

Le problème des violences sexuelles en Somalie est enfin évoqué publiquement. Cette affaire pourrait toutefois marquer un grave recul. Elle risque de dissuader les victimes de porter plainte pour violences sexuelles, d’empêcher qu’elles bénéficient de services d’accompagnement et de remettre en cause l’engagement présidentiel de poursuivre en justice les auteurs de tels crimes, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch.

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