De nouvelles recherches d’Amnesty International révèlent plusieurs exécutions extrajudiciaires, des déplacements forcés, des actes de torture et la destruction de biens civils dont se sont rendues responsables les forces gouvernementales et d’anciennes forces d’opposition entre avril et juin 2020 dans l’État d’Équatoria central, au sud-ouest de Djouba, la capitale.
Le Conseil de sécurité de l’ONU doit mener, avant le 15 décembre, un examen à mi-parcours de son embargo sur les armes et d’autres mesures imposées au Soudan du Sud.
« Plus tôt cette année, pendant que des représentants sud-soudanais demandaient la levée de l’embargo sur les armes, des soldats des forces gouvernementales tiraient sur des civil·e·s, incendiaient des habitations, violaient des femmes et des filles et déplaçaient des dizaines de milliers de personnes de leurs villages dans le sud du pays », a déclaré Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.
« Les atrocités de ce conflit s’ajoutent aux décennies de souffrances de millions de Sud-Soudanais·e·s, qui ont survécu à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité pendant la lutte pour l’indépendance du pays vis-à-vis du Soudan.
« Plus tôt cette année, pendant que des représentants sud-soudanais demandaient la levée de l’embargo sur les armes, des soldats des forces gouvernementales tiraient sur des civil·e·s, incendiaient des habitations, violaient des femmes et des filles et déplaçaient des dizaines de milliers de personnes de leurs villages dans le sud du pays. »
« Le gouvernement du Soudan du Sud n’a tout simplement pas protégé sa population. Il serait irresponsable de la part du Conseil de sécurité de suspendre ou lever l’embargo sur les armes maintenant, compte tenu des terribles atteintes aux droits humains perpétrées par les forces gouvernementales. »
Les affrontements se sont poursuivis dans le sud du pays entre, d’une part, le groupe rebelle connu sous le nom de Front du salut national et, d’autre part, les Forces de défense populaires du Soudan du Sud (FDPSS) et l’Armée populaire de libération du Soudan-Opposition (APLS-O).
Homicides et incendies
Dans l’État d’Équatoria central seulement, Amnesty International a recensé 110 structures détruites lors de plusieurs attaques menées entre avril et juin 2020, ce qui ne représente qu’une petite partie de toutes les attaques signalées par les médias locaux. D’après les informations de l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project [1] (ACLED), des violences généralisées ont également été constatées pendant cette période dans les États de Jonglei, des Lacs, de Warab et d’Équatoria occidental. Les chiffres montrent une augmentation de 400 % des violences par rapport à la même période en 2019, d’après l’analyse du Stimson Center [2].
Amnesty International a mené 26 entretiens à distance avec des témoins et des membres de familles de victimes, dont cinq femmes, des comtés de Lainya, de Morobo et de Yei, dans l’État d’Équatoria central. Toutes les personnes interrogées ont souhaité garder l’anonymat, en raison de la menace continue de représailles du gouvernement. Des chercheurs ont également eu recours à des images satellites, des photos des lieux où ont été commises les atteintes aux droits humains et des données en accès libre pour authentifier les attaques.
L’organisation s’est entretenue avec six personnes déplacées qui ont été témoins des affrontements qui ont eu lieu les 9 et 10 mai, près des villages pojulus de Lomilikin, Loka Ouest et Kengwe, dans le comté de Lainya. Après des affrontements avec le Front du salut national, un groupe composé de membres des FDPSS et de l’APLS-O a fouillé tous les villages de la zone.
Le 10 mai au matin, des soldats du gouvernement ont arrêté quatre hommes, que des habitant·e·s ont identifiés comme se nommant Lobor, Lomiong, Sabata et Lomoro, à Kengwe, et les ont accusés de fournir de la nourriture aux combattants du Front du salut national. Les mains des hommes ont été attachées dans leur dos et ils ont été conduits au centre du village, où une vingtaine de femmes et d’enfants avaient également été regroupés. Lorsqu’un jeune a essayé de s’enfuir, un militaire a ouvert le feu avec une mitrailleuse PKM et a tué les quatre captifs.
Un témoin a expliqué à Amnesty International : « Il les a tous abattus. L’un des quatre hommes a reçu tellement de balles qu’il n’était plus reconnaissable. C’était Lomiong. Il a été touché tellement rapidement au visage et à la tête. Après avoir tué les quatre hommes, ils ont commencé à tirer sur des animaux, comme des chèvres et des poules. Ensuite, ils ont mis le feu à toute la zone. »
Une analyse des images satellites a permis de confirmer que des villages au nord de la route Yei-Lainya avaient été rasés entre janvier et juin 2020. Amnesty International a également authentifié des photos des quatre hommes, prises juste après leur mort, et a demandé à plusieurs personnes avec qui elle s’est entretenue de confirmer les informations sur leurs blessures spécifiques. L’ACLED a indiqué qu’aux alentours du 9 mai, 11 villages de la zone avaient été incendiés et qu’environ 22 000 personnes avaient été déplacées.
Torture, mauvais traitements et pillages par les forces gouvernementales
Amnesty International s’est entretenue avec huit personnes ayant été victimes ou témoins d’attaques contre des civil·e·s et des villages de Mukaya Payam, dans le comté de Lainya, pendant le mois d’avril. Ces personnes ont expliqué que des militaires des forces gouvernementales avaient attaqué des habitant·e·s avec des couteaux, versé de l’eau bouillante sur une femme et pillé les maisons et les troupeaux. Les militaires accusaient les civil·e·s de fournir de la nourriture aux combattants du Front du salut national et de travailler pour eux en tant qu’informateurs.
Amnesty International s’est entretenue avec cinq personnes qui ont survécu à une attaque à Panyume Payam, dans le comté de Morobo, début juin. Le 3 juin, après des affrontements avec des combattants du Front du salut national, des soldats de l’APLS-O ont arrêté et torturé un homme nommé John Capo dans le village voisin de Soper. John Capo était un chef et un dirigeant de la zone. Les soldats de l’APLS-O l’ont accusé d’être également un commandant ou un sympathisant du Front du salut national, car il ne les avait pas prévenus de l’attaque imminente.
« Nos recherches montrent que les soldats des FDPSS et de l’APLS-O bafouent régulièrement le droit international humanitaire et ne protègent pas les civil·e·s. Alors que ces terribles attaques continuent, il est essentiel que le Conseil de sécurité de l’ONU demande au Soudan du Sud de mettre un terme à ces crimes de guerre et de traduire les responsables en justice, tout en maintenant l’embargo sur les armes dans le pays. »
Un homme, qui a été témoin de l’attaque alors qu’il allait chercher de l’eau près de la base militaire, a déclaré à Amnesty International : « Des soldats ont arrêté Capo. Ils l’ont attaché, puis l’ont torturé jusqu’à tard le soir. Il s’effondrait car ils lui coupaient des parties du corps et les lui faisaient manger. Plus tard, ils l’ont sorti et il est mort dans la brousse. »
Trois autres témoins ont confirmé les informations faisant état de mutilations, notamment le fait que l’oreille et les parties génitales de John Capo avaient été coupées, ainsi que le fait que des commandants de l’APLS-O étaient présents pendant qu’il était torturé. Ils l’auraient laissé se vider de son sang et mourir dans la brousse et des villageois ont retrouvé son corps plusieurs jours plus tard.
« Nos recherches montrent que les soldats des FDPSS et de l’APLS-O bafouent régulièrement le droit international humanitaire et ne protègent pas les civil·e·s. Alors que ces terribles attaques continuent, il est essentiel que le Conseil de sécurité de l’ONU demande au Soudan du Sud de mettre un terme à ces crimes de guerre et de traduire les responsables en justice, tout en maintenant l’embargo sur les armes dans le pays », a déclaré Deprose Muchena.
Complément d’information
En avril 2020, Amnesty International a publié des éléments provenant du Soudan du Sud et prouvant l’importation récente d’armes légères et de munitions, le recel d’armes et le détournement de véhicules blindés à des fins militaires non approuvées dans le cadre des licences de transfert d’armes.
Plusieurs gardes du corps d’importants généraux appartenant aussi bien au gouvernement qu’aux forces d’opposition, qui jouissent d’un accès privilégié aux armes nouvellement acquises, étaient équipés d’armes d’Europe de l’Est qui n’avaient jamais été recensées au Soudan du Sud. Amnesty International pense que ces armes sont arrivées au Soudan du Sud en violation de l’embargo sur les armes.
Le 29 mai, le Conseil de sécurité de l’ONU a renouvelé l’embargo pour un an, par un vote de 12 voix à 0. Seules la Russie, la Chine et l’Afrique du Sud se sont abstenues. Avant le 15 décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU doit mener un examen à mi-parcours de l’embargo sur les armes, au regard des avancées dans la mise en œuvre de toutes les dispositions de l’accord de paix revitalisé de 2018 et du respect du cessez-le-feu. Le Conseil de sécurité doit également travailler sur l’élaboration de critères pour l’évaluation de l’embargo sur les armes en mai 2021.
Amnesty International appelle le Conseil de sécurité à tenir compte en priorité du bilan déplorable de l’État en matière de droits humains, et non pas seulement de la mise en œuvre fragmentée des dispositions de l’accord de paix revitalisé de 2018.