Soudan du Sud, Il faut mettre un terme à la répression contre les manifestations pacifiques

Soudan du Sud Salva Kiir Répression manifestations pacifiques

Les autorités sud-soudanaises ont arrêté des militant·e·s de la société civile et un homme politique, et fermé une station de radio et un groupe de réflexion universitaire, marquant le début d’une nouvelle vague de répression en réponse à des appels à manifester pacifiquement.

Cette augmentation du nombre d’arrestations arbitraires, entre autres mesures, survient après que la Coalition populaire d’action civile (PCCA), groupe d’opposant·e·s au gouvernement récemment formé, a appelé à des manifestations pacifiques dans tout le pays le 30 août 2021 pour contraindre le gouvernement à démissionner, invoquant son « incapacité à diriger ».

« Les manifestations pacifiques doivent être facilitées plutôt que réprimées ou empêchées par des arrestations, des manœuvres de harcèlement, un déploiement massif des forces de sécurité ou d’autres mesures punitives »

« Nous assistons au Soudan du Sud à une nouvelle vague de répression visant les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, a déclaré Deprose Muchena, directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique orientale et australe.

« Les manifestations pacifiques doivent être facilitées plutôt que réprimées ou empêchées par des arrestations, des manœuvres de harcèlement, un déploiement massif des forces de sécurité ou d’autres mesures punitives. »

Le 2 septembre 2021, le ministre de l’Information, de la Communication, des Technologies et des Services postaux a déclaré aux médias que le gouvernement avait « empêché [les manifestations] […] afin de préserver la paix au Soudan du Sud », affirmant qu’une manifestation demandant un changement de gouvernement n’était pas pacifique.

Arrestations

Le 2 août 2021, à l’approche des manifestations annoncées, l’un des cofondateurs de la PCCA, Kuel Aguer Kuel, ancien gouverneur par intérim de l’État du Bahr el Ghazal du Nord, a été arrêté par le Service national de la sûreté (NSS) à Djouba, la capitale du pays. Il est toujours détenu à la prison centrale de Djouba, et ses contacts avec sa famille sont très restreints. Il a été inculpé de cinq chefs d’accusation contre l’État : subversion d’un gouvernement constitutionnel ; insurrection, banditisme, sabotage ou terrorisme ; incitation à la désaffection au sein des forces de police ou de défense ; publication ou communication de fausses déclarations portant préjudice au Soudan du Sud ; et atteinte à l’autorité du président ou outrage à celui-ci. Deux autres cofondateurs, Ibrahim Awolich et Rajab Mohandis, se cachent par peur d’être arrêtés. Les autorités ont aussi fermé l’Institut Sudd, un groupe de réflexion pour lequel travaille Ibrahim Awolich.

« Nous assistons au Soudan du Sud à une nouvelle vague de répression visant les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique »

Amnesty International a constaté une augmentation des arrestations arbitraires dans tout le pays dans les jours précédant les manifestations annoncées. Entre le 25 et le 28 août, quatre autres hommes, dont un évêque, ont été arrêtés dans la ville de Yei, dans le sud du pays, parce qu’ils étaient soupçonnés de soutenir la PCCA et d’inciter les gens à participer aux manifestations. Ils sont incarcérés dans un centre de détention des services de renseignement militaire et ont été inculpés de trahison, un crime passible de la peine de mort au Soudan du Sud, ainsi que de participation à un rassemblement dans l’intention de prôner la violence publique, les atteintes à la paix ou le sectarisme.

Le 27 août, le NSS a brièvement détenu trois personnes travaillant pour les médias à Bor, une ville située au nord de la capitale, Djouba. Le même jour dans la matinée, à Wau, dans l’ouest du pays, le NSS a arrêté trois membres de la société civile qui distribuaient des T-shirts pour une marche pacifique de sensibilisation aux violences liées au genre. Ces personnes ont été libérées le jour même. Au moins deux autres hommes ont été arrêtés en lien avec cette marche, dont le NSS a empêché la tenue.

Coupures de l’accès à Internet

La veille de la date prévue pour les manifestations, Amnesty International a commencé à recevoir des informations faisant état de coupures de l’accès à Internet, qui ont duré jusqu’au lundi 30 août en fin d’après-midi. Les graphiques publiés par des experts en mesure de trafic réseau, ainsi les informations parues dans les médias, prouvent clairement que le réseau a été interrompu. Ces coupures d’Internet, que le ministre de l’Information, de la Communication, des Technologies et des Services postaux a attribuées à des problèmes techniques [1], ont pris fin, comme par hasard, dès qu’il a été établi que les manifestations prévues le 30 août n’avaient pas pu se tenir. Amnesty International soupçonne qu’il s’agisse d’une manœuvre délibérée des autorités pour faire capoter les manifestations.

« Les coupures et perturbations d’Internet portent atteinte à la capacité des gens à exercer leurs droits à la liberté d’information, d’expression, d’association et de réunion pacifique. Les autorités sud-soudanaises et les fournisseurs d’accès Internet doivent apporter des éclaircissements sur leur rôle dans ces perturbations », a déclaré Deprose Muchera.

« Les coupures et perturbations d’Internet portent atteinte à la capacité des gens à exercer leurs droits à la liberté d’information, d’expression, d’association et de réunion pacifique. Les autorités sud-soudanaises et les fournisseurs d’accès Internet doivent apporter des éclaircissements sur leur rôle dans ces perturbations »

Les entreprises ont l’obligation de respecter les droits humains, où qu’elles opèrent. Si les coupures d’Internet ont été ordonnées officiellement ou officieusement par le Soudan du Sud, les fournisseurs d’accès doivent s’opposer à de telles mesures et toujours mettre en œuvre la diligence requise pour identifier, prévenir et atténuer les répercussions négatives sur les droits humains produites par ce type d’interruptions de service ou découlant de leurs relations commerciales.

Dans la semaine qui a suivi les manifestations avortées, Amnesty International a reçu davantage de signalements faisant état du harcèlement d’acteurs de la société civile dans tout le pays, notamment à Djouba, Yei, Bor et Wau, certaines personnes ayant le sentiment d’être surveillées par les forces de sécurité. Le 1er septembre, un militant de premier plan de la société civile a signalé que les bureaux de son organisation avaient été surveillés pendant plusieurs jours par les autorités et que deux membres de son personnel avaient ensuite été emmenés par des agents du NSS. Les deux hommes ont été libérés après plusieurs heures d’interrogatoire.

Complément d’information

La Coalition populaire d’action civile (PCCA) a été formée le 30 juillet 2021 par un groupe de personnalités politiques, de membres de la société civile et de responsables de groupes de réflexion sud-soudanais. Dans sa déclaration, elle condamne ce qu’elle qualifie de problèmes fondamentaux au Soudan du Sud, notamment le manque de services de première nécessité, la corruption, le chômage, l’absence d’obligation de rendre des comptes et le non-respect des droits humains. Estimant que l’incapacité du gouvernement à diriger est la cause de ces problèmes, elle réclame la démission des dirigeants actuels, notamment du président Salva Kiir et du vice-président Riek Machar.

Le 2 février 2021, Amnesty International a publié un rapport détaillé sur la surveillance illégale et non contrôlée des communications au Soudan du Sud et sur le recours à cette pratique pour harceler et intimider des journalistes, des militant·e·s et des personnes critiques à l’égard du gouvernement, ce qui crée un climat de peur et d’autocensure.

Ce n’est pas la première fois que les autorités sud-soudanaises empêchent la tenue de manifestations ces derniers temps. En juillet 2019, des arrestations, des menaces et le déploiement massif de l’armée avaient fait capoter les manifestations auxquelles avait appelé le mouvement Carton rouge (RCM) à Djouba, dissuadant les manifestant·e·s de descendre dans les rues de la capitale.

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