Soudan. Impunité persistante pour les violations des droits humains au Darfour


DÉCLARATION PUBLIQUE

Index AI : AFR 54/008/2011

3 mars 2011

La Cour pénale internationale (CPI) a délivré un mandat d’arrêt contre le président soudanais Omar el Béchir le 4 mars 2009. Deux ans plus tard, le chef d’État et d’innombrables autres personnes accusées de crimes de droit international au Darfour continuent d’échapper à la justice. La situation des droits humains au Darfour reste, cela n’est pas surprenant, catastrophique.

Depuis plus de deux ans, l’Union africaine demande en vain au Conseil de sécurité des Nations unies de suspendre les procédures engagées contre le président el Béchir. L’Union africaine a adopté à deux reprises une décision selon laquelle ses membres refuseront de l’arrêter. La réalité quotidienne au Darfour illustre l’impact dévastateur de l’impunité, à laquelle on ne saurait permettre de continuer.

L’attachement du Conseil de sécurité à la justice internationale, qu’il a réaffirmé en saisissant le procureur de la CPI de la situation en Libye dans la résolution 1970 (2011), doit aller de pair avec une volonté tout aussi forte d’exécuter les mandats d’arrêt émis par la CPI dans le contexte de la situation au Darfour, dont la Cour a été saisie en 2005. Le Conseil de sécurité doit par ailleurs s’attaquer à l’impunité prévalant dans des milliers d’affaires pour lesquelles la CPI n’est pas en mesure d’engager des poursuites.

Le président el Béchir a été inculpé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre au Darfour. Le génocide a ensuite été ajouté à la liste des charges retenues contre lui. Malgré la gravité de ces accusations, un certain nombre de pays, dont le Kenya et le Tchad, qui sont parties au Statut de Rome de la CPI, ont fait obstruction à la justice en refusant d’arrêter le président el Béchir lors d’une de ses visites officielles sur leur territoire.

Amnesty International a invité à plusieurs reprises l’ensemble des membres de la communauté internationale à veiller à ce que les responsables présumés de crimes de droit international commis au Soudan répondent pleinement de leurs actes.

Ahmad Harun, gouverneur du Kordofan méridional, et Ali Kushayb, dirigeant des milices janjawids, également recherchés par la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, sont protégés par l’État et jouissent de l’impunité.

Par contre, trois dirigeants de groupes d’opposition armés accusés de crimes au Darfour ont comparu volontairement devant la CPI. Dans un cas, les juges ont estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments à charge pour confirmer les accusations portées contre Bahar Idriss Abu Garda. L’examen des accusations se poursuit dans les deux autres cas.

L’impunité va bien au-delà des plus hauts responsables du gouvernement et des chefs de milices. Les victimes n’ont aucun espoir d’obtenir justice, de connaître la vérité ou de se voir accorder des réparations au niveau national. Par exemple, le 2 septembre 2010, des groupes armés ont attaqué le village de Tabra (Darfour septentrional), tuant semble-t-il plus de 37 personnes. Osman Mohamed Yousef Kibir, gouverneur du Darfour septentrional, a réagi en annonçant le 17 septembre qu’une commission d’enquête serait chargée de faire toute la lumière sur cette attaque. Six mois plus tard, aucune information sur l’état d’avancement de l’enquête n’a encore été rendue publique et personne n’a été inculpé pour ces agissements.

L’impunité alimente le cycle de la violence au Darfour. Faute de justice, la commission de graves atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains contre la population civile se poursuit à un rythme quasi quotidien.

Au cours des trois derniers mois, les forces gouvernementales soudanaises et les groupes d’opposition armés ont multiplié les attaques visant des civils dans le Darfour septentrional et le Darfour méridional. Les combats ont débuté le 8 décembre 2010, après que le gouvernement soudanais eut rompu les liens avec l’Armée de libération du Soudan/faction Minni Minawi (ALS/MM), qui avait signé l’Accord de paix sur le Darfour en 2006. Les forces gouvernementales ont mené des attaques à l’intérieur de camps de personnes déplacées et dans plusieurs villes parmi lesquelles Dar el Salam, Shangil Tobaya et Khor Abeche. D’après les Nations unies, les violences commises pour le seul mois de décembre ont conduit au déplacement de plus de 40 000 personnes. Les combats ont fait des morts et des blessés parmi les civils, et se sont accompagnés de pillages et de la destruction de biens civils.

Le 23 janvier, les forces gouvernementales ont fait une descente dans le camp de personnes déplacées de Zamzam, dans le Darfour septentrional. Elles ont arrêté 37 personnes, pénétré dans des logements civils et pillé des biens. La Mission conjointe Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD) n’avait pas été notifiée au préalable ; cela est contraire à la Convention sur le statut des forces, qui requiert que les actions concernant les camps de déplacés fassent l’objet de consultations entre le gouvernement et la MINUAD.

Il y a deux semaines, des éléments de l’armée de l’air et de l’armée de terre soudanaises ont affronté des groupes d’opposition armés à Shangil Tobaya (Darfour septentrional) et aux alentours. Dix villages auraient été détruits, ce qui a contraint plus de 4 000 personnes à fuir la région.

Il est par ailleurs alarmant que le gouvernement continue à restreindre l’acheminement de l’aide humanitaire, en violation du droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Tout récemment, le 26 février 2011, le gouvernement a interdit à l’organisation humanitaire Catholic Relief Services de travailler dans le Darfour occidental. La Commission de l’aide humanitaire a accusé cette organisation de distribuer des bibles. Il y a trois semaines, le 14 février, l’organisation humanitaire française Médecins du monde, accusée d’« espionnage », a été expulsée du Darfour méridional.

Les Darfouriens continuent en outre à faire l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires, qui s’accompagnent souvent d’actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements. À la suite d’une visite de délégués du Conseil de sécurité des Nations unies au Darfour, le 7 octobre 2010, le Service national de la sûreté et du renseignement a arrêté deux Darfouriens déplacés qui avaient parlé aux délégués dans le camp de d’Abu Shouk. Le Service national de la sûreté et du renseignement aurait recherché 16 personnes peu après le départ des délégués des camps de déplacés d’Abu Shouk, Al Salaam et Abashed (Darfour septentrional).

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