Les informations selon lesquelles les forces de sécurité soudanaises auraient arrêté au moins 800 militants, membres de partis d’opposition, journalistes et autres personnes dans le contexte des manifestations antigouvernementales en cours marquent une escalade choquante de la répression de la dissidence, a déclaré Amnesty International.
Une vague d’arrestations a eu lieu dans la nuit du lundi 30 septembre au mardi 1er octobre. Des arrestations sont encore signalées à Amnesty International au moment de la rédaction du présent communiqué.
« Le Service national de la sûreté et du renseignement du Soudan est bien connu pour sa tactique répressive consistant à arrêter en masse les dissidents présumés et à les placer derrière les barreaux – mais même par rapport à ses habitudes, ce dernier coup de filet marque une escalade significative des arrestations, a souligné Lucy Freeman, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International.
Nous craignons que les centaines de personnes arrêtées ou disparues ne soient exposées à un grand risque de subir des actes de torture ou d’autres formes de mauvais traitements. Celles placées en détention sont maintenues au secret, sans pouvoir contacter un avocat ni leurs proches. »
Le ministre soudanais de l’Intérieur a indiqué dans un communiqué de presse que les autorités ont arrêté 700 « criminels » à Khartoum et ailleurs depuis le début, le 23 septembre, d’une vague de manifestations. Cependant, d’après les informations fournies par des journalistes, des membres de partis d’opposition, des militants et des membres de leurs familles, les chiffres sont beaucoup plus élevés.
Certaines des personnes concernées ont été appréhendées à leur domicile, d’autres sur leur lieu de travail. La plupart auraient été arrêtées sans mandat.
En vertu de la Loi de 2010 relative à la sécurité nationale, le Service national de la sûreté et du renseignement est autorisé à maintenir des suspects en détention pendant quatre mois et demi sans aucune forme de réexamen par une autorité judiciaire.
« Tout porte à croire que des gens sont arrêtés uniquement parce que, en tant que membres de groupes d’opposition ou militants, ils exercent légalement leur droit à la liberté d’expression et de réunion. Si les autorités ont la preuve du contraire, elles doivent les inculper d’une infraction dûment reconnue par la loi, ou sinon les remettre en liberté immédiatement. En attendant, ces personnes doivent pouvoir sans délai entrer en contact avec leurs proches, bénéficier d’une assistance juridique et recevoir tous les soins médicaux dont elles ont besoin.
Le Loi de 2010 relative à la sécurité nationale, qui est draconienne, doit être abrogée car elle confère au Service national de la sûreté et du renseignement des pouvoirs extraordinaires de détention sans inculpation, en violation flagrante du droit international », a ajouté Lucy Freeman.
L’opposition politique
Au moins 17 membres du Parti communiste soudanais (PCS) ont été arrêtés dans la capitale, Khartoum, et aux alentours de celle-ci depuis le début des manifestations.
Le 27 septembre, le Service national de la sûreté et du renseignement a appréhendé Sidgi Kaballo, membre du Comité central du PCS, peu après son retour du Royaume-Uni. Des membres de sa famille ont tenté de lui rendre visite le 30 septembre, mais on leur a dit de revenir 15 jours après. Le Service national de la sûreté et du renseignement n’a pas voulu révéler son lieu de détention à ses proches.
Ce médecin de 64 ans possède la double nationalité soudanaise et britannique. Il souffre de diabète de type 1 et sa famille craint qu’il ne reçoive pas les soins nécessaires en détention.
Amnesty International a recueilli des informations indiquant que des membres d’autres partis d’opposition, dont 15 membres du parti du Congrès national, ont également été arrêtés.
Les jeunes militants
Les jeunes militants ont également été pris pour cible lors du coup de filet du Service national de la sûreté et du renseignement. Le 23 septembre, six hommes armés travaillant pour cet organe ont effectué une descente chez Mohayed Siddig – membre fondateur du mouvement de jeunes « Sudan Change Now ». Ils l’ont arrêté après avoir fouillé son domicile pendant plus de deux heures et saisi l’ordinateur portable de son épouse ainsi que des CD et des documents.
Depuis son arrestation, ce militant est détenu au secret sans inculpation. Amnesty International redoute qu’il ne soit torturé ou soumis à d’autres formes de mauvais traitements.
D’autres membres de « Sudan Change Now » ont aussi été appréhendés, dont Dahlia Al Roubi, Rayan Zein Abideen, Omar Ushari, Amjed Farid et Khalid Omar. Le 30 septembre, Dahlia Al Roubi et Rayan Zein Abideen ont été conduits au siège du Service national de la sûreté et du renseignement dans le quartier d’Emarat, où ils ont été détenus sans inculpation et sans pouvoir contacter un avocat ni leurs proches. Amnesty International a appris qu’ils avaient été depuis transférés dans un autre lieu indéterminé.
Complément d’information
Des mouvements de protestation ont éclaté le 23 septembre dans plusieurs villes du Soudan après que le président Omar Hassan Ahmad el Béchir eut annoncé, la veille, des baisses des subventions sur les carburants. Depuis le début de ces manifestations, les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive – y compris à des tirs à balles réelles – qui aurait déjà fait plus de 200 morts parmi les manifestants. Les autorités ont censuré et fermé des journaux et arrêté des centaines de militants, de membres de partis politiques d’opposition et de journalistes.
Le nombre de manifestants tués est estimé par l’Union des médecins soudanais à 210 personnes rien qu’à Khartoum. Amnesty International s’est entretenue avec des médecins qui affirment que la majorité des décès à l’hôpital étaient dus à des blessures par balle à la poitrine et à la tête. Cette estimation n’inclut pas les personnes tuées dans d’autres villes du Soudan où les manifestations se poursuivent, ni celles qui n’ont pas été conduites à l’hôpital.
Amnesty International a déjà engagé par le passé les autorités à cesser immédiatement de harceler et d’arrêter illégalement des militants des droits humains et des membres de l’opposition qui n’ont fait qu’exercer légalement et pacifiquement leur droit à la liberté d’expression et de réunion. L’organisation a également prié le gouvernement soudanais d’ouvrir sans délai une enquête sur l’usage d’une force disproportionnée et sur les allégations selon lesquelles les forces de sécurité auraient utilisé des balles réelles et délibérément tué des manifestants.
Le gouvernement du Soudan doit respecter, protéger et garantir les droits humains, notamment le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture ni à d’autres mauvais traitements, le droit à la liberté de la personne et le droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.