Par conséquent, la Cour suprême ne peut pas poursuivre l’examen des recours formés par les victimes et les personnes condamnées, un an après que 10 militaires ont été reconnus coupables d’agression sexuelle et de viol sur au moins cinq travailleuses humanitaires, ainsi que du meurtre d’un journaliste lors de l’attaque.
« Il est scandaleux que, un an après le jugement, les recours des différentes parties ne puissent pas être entendus à cause du dossier manquant, a déclaré Antonia Mulvey, fondatrice et directrice de Legal Action Worldwide. Les autorités doivent veiller à ce qu’il n’y ait aucune tentative délibérée d’entrave à la justice et trouver le dossier, afin que la Cour suprême puisse traiter la procédure d’appel. »
« Les victimes de cette attaque odieuse et leurs proches ont déjà tant souffert – il est extrêmement cruel de prolonger leur quête de justice », a déclaré Seif Magango, directeur adjoint du programme Afrique de l’Est, Corne de l’Afrique et Grands Lacs à Amnesty International.
Les autorités doivent s’assurer que les victimes bénéficient de leur droit à réparation et les accusés de leur droit à un procès équitable, y compris le droit de faire appel et celui d’être jugé ou d’obtenir justice dans un délai raisonnable.
Une indemnisation non proportionnée
En septembre 2018, les victimes de viol et d’agression sexuelle et la famille de John Gatluak Manguet, le journaliste tué lors de l’attaque, ont fait appel de la décision du tribunal d’accorder 4 000 dollars américains à chacune des victimes de viol et d’agression sexuelle, et 51 vaches à la famille du journaliste. Elles considéraient que cette indemnisation n’était pas proportionnée aux crimes commis ni à leur traumatisme physique et psychique depuis l’attaque. Les soldats reconnus coupables ont également fait connaître leur intention de faire appel de leur condamnation.
« Après que l’indemnisation a été prononcée, je me suis sentie violentée une nouvelle fois, je me suis sentie violée par le système judiciaire, a déclaré Sabrina Prioli, l’une des victimes de viol. Aujourd’hui nous faisons appel car nous voulons un système d’indemnisation officiel qui prend en considération la gravité du crime. »
Le dossier manquant, qui comportait le jugement, a été envoyé au président Salva Kiir pour validation avant le prononcé du jugement, le 6 septembre 2018. On ne l’a pas revu depuis lors. Des responsables de l’ONU et des diplomates soupçonnent une perte du dossier dans les services de la présidence. Pour que l’affaire soit examinée en appel, le dossier du procès doit être complet.
« Le procès des militaires dans l’affaire de l’hôtel Terrain est une première étape, mais le processus de justice n’est pas encore terminé, a déclaré Jehanne Henry, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. La disparition du dossier bloque de fait la procédure d’appel et constitue un exemple typique des défaillances de la justice qui exacerbent la culture d’impunité au Soudan du Sud. »
Le jugement en appel pourrait créer un important précédent pour les futurs procès dans des affaires de viol au Soudan du Sud, où la violence sexuelle est répandue et a été utilisée comme arme de guerre depuis décembre 2013. De nombreuses femmes et filles, ainsi que des hommes et des garçons, ont été violés, violés en réunion, enlevés et mutilés. Leurs cas n’ont pas fait l’objet d’enquêtes efficaces et les responsables n’ont pas été traduits en justice.
En attente de justice depuis 2017
Ainsi, des victimes de viols commis par des membres des forces gouvernementales dans le village de Kubi, en périphérie de Djouba, attendent d’obtenir justice depuis février 2017. Dans un autre cas, le gouvernement a qualifié de « fausses » les informations faisant état de viols commis en novembre 2018 à Bentiu, dans le nord du pays, malgré des éléments montrant le caractère systématique [1] des agressions sexuelles par des hommes armés.
Le 23 août 2019, le président de la Cour suprême du Soudan du Sud, Chan Reec Madut, a annoncé aux médias qu’il était prévu de créer un tribunal d’exception dédié à la violence liée au genre, qui traiterait à la fois les affaires de violence domestique et celles concernant de graves atteintes aux droits humains.
Bien que les condamnations prononcées l’an dernier aient constitué un pas en avant important vers le respect de l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains au Soudan, les autorités doivent veiller à ce que la justice soit pleinement rendue dans cette affaire. Aux termes de la législation sud-soudanaise, les procès concernant des crimes commis contre des civils doivent se tenir devant des tribunaux de droit commun, et non des tribunaux militaires, comme dans le cas de l’affaire de l’hôtel Terrain.