SOUDAN : La crise humanitaire dans le Darfour due à l’inaction du gouvernement soudanais

Index AI : AFR 54/101/2003
ÉFAI

Embargo : jeudi 27 novembre 2003

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Les informations tendant à prouver que le gouvernement soudanais est en grande partie responsable de la crise humanitaire et relative aux droits humains dans le Darfour, à l’ouest du Soudan, sont de plus en plus nombreuses, a déclaré Amnesty International ce jeudi 27 novembre 2003, après le retour de ses délégués partis visiter des camps de réfugiés situés dans l’est du Tchad.

« Le moins que l’on puisse dire est que le gouvernement soudanais a totalement failli à ses obligations de protection de ses propres citoyens, a déclaré Amnesty International. Les très nombreux témoignages de réfugiés parlant de communautés rurales attaquées par des milices comprenant des membres des forces armées et d’autres forces de sécurité nous ont conduit à la triste conclusion qu’au moins certains éléments de l’armée encouragent ces opérations de destruction. »

Depuis le mois d’avril, quelque 500 000 réfugiés, fuyant les milices nomades généralement désignées comme « Arabes » ou Janjawid (hommes armés à cheval) par les habitants, ont envahi des villes du Darfour qui disposent de peu de moyens pour faire face à la crise. Dans le Darfour même, les zones rurales auraient été dévastées. Des milliers de réfugiés ont franchi la frontière avec le Tchad.

Les délégués d’Amnesty International se sont rendus dans neuf camps de l’est du Tchad, de Tine au nord à Birkengi au sud. Ils ont parlé avec des réfugiés (parmi lesquels des membres d’un groupe arabe qui avaient refusé de se joindre aux milices), des responsables du gouvernement tchadien et des représentants des Nations unies et d’organisations non-gouvernementales. Tous ont décrit une situation humanitaire dangereuse.

« Les réfugiés se trouvent dans une situation dans laquelle ils sont extrêmement vulnérables.Ils ont peu ou pas de nourriture, l’accès à l’eau est très difficile, ils vivent dans des abris de fortune et souffrent beaucoup du froid la nuit.

« On nous a parlé de réfugiés affamés qui étaient retournés dans leurs villages chercher de la nourriture et qui avaient été tués. Il y a eu également des raids transfrontaliers des milices ; lors d’un de ces raids, dans le camp de Kolkol, une femme, Aysha Idris, a été tuée et son bétail volé ; trois hommes qui s’étaient lancés à la poursuite des miliciens ont également été tués. »

Au Tchad, la distribution de nourriture et de produits non-alimentaires a été limitée à quelques sites et n’a concerné que les réfugiés les plus vulnérables. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et les autorités locales n’ont pu établir le contact avec tous les réfugiés, du fait du mauvais état des routes et du manque de moyens de transports adéquats pour de longues distances. Beaucoup n’ont toujours pas été répertoriés correctement.

« De très nombreux réfugiés, dans des zones très éloignées les unes des autres, ont raconté comment des miliciens armés de Kalachnikovs et d’autres armes, des bazookas notamment, souvent vêtus des uniformes verts de l’armée, attaquaient des villages, brûlaient les maisons et les récoltes et tuaient les habitants et le bétail, ont déclaré les délégués d’Amnesty International. Nous avons entendu de très nombreux récits faisant état d’homicides délibérés, d’enlèvements et de viols par les Janjawid. Certains réfugiés ont décrit des villages bombardés par des avions gouvernementaux. Des personnes détenues par la sécurité militaire ont décrit des actes de torture et des conditions de détention effroyables.

« La situation dans le Darfour risque de dégénérer très rapidement en une guerre civile totale, où l’on se servira de la notion d’ethnicité pour manipuler les gens ; certains voudront venger les morts, d’autres prendront les armes pour se défendre ou rejoindront des groupes d’opposition armés, a déclaré Amnesty International. Il y a aussi un risque potentiel de catastrophe humanitaire à grande échelle. De nombreuses attaques ont eu lieu avant que les paysans n’aient eu le temps de récolter ; des champs ont été brûlés, des personnes tuées, le bétail volé, les habitations détruites. À cela s’ajoute le fait que le gouvernement restreint de façon très sévère l’accès des organisations humanitaires aux personnes déplacées.

« La communauté internationale doit montrer la même détermination et exercer la même pression pour mettre fin au conflit et à la crise humanitaire dans le Darfour que pour le processus de paix visant à mettre un terme à la guerre dans le sud Soudan entre le Gouvernement du Soudan et l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) », a souligné l’organisation.

Amnesty International appelle le gouvernement soudanais à reconnaître l’existence et traiter le problème de la crise politique et des droits humains dans le Darfour ; l’organisation appelle le gouvernement soudanais à prendre des mesures pour restaurer la paix et la sécurité dans les zones de conflit. Elle lui demande :

 de prendre des mesures immédiates pour protéger les populations civiles du Darfour d’attaques délibérées par des groupes armés ;

 d’assurer aux organisations humanitaires un accès protégé et sans entraves à toutes les personnes déplacées du Darfour ;

 de renforcer la commission tripartite mise en place au moment de l’accord de cessez-le-feu en septembre en y incluant des observateurs internationaux, dont des observateurs chargés de veiller au respect des droits humains ;

 de veiller à ce que ceux-ci puissent voyager librement à travers toute la région pour surveiller le respect du cessez-le-feu, mener des enquêtes et établir des rapports publics sur les violations du cessez-le-feu ;

 de faire en sorte que les personnes soupçonnées d’être responsables d’atteintes aux droits humains, soldats de l’armée soudanaise et membres des milices armées compris, aient à rendre des comptes devant la justice et soient jugées lors de procès équitables, excluant l’application de la peine capitale et autres châtiments cruels, inhumains ou dégradants ; d’établir une commission d’enquête indépendante et impartiale pour examiner les causes complexes de la crise, rendre public son rapport et faire des recommandations qui soient immédiatement applicables ; d’accorder réparation et de fournir une réadaptation aux victimes d’atteintes aux droits humains.

En outre, tous les groupes armés actifs dans le Darfour, y compris les milices arabes alignées sur le gouvernement, l’Armée de Libération du Soudan (SLA, Sudan Liberation Army), dans l’opposition et le Mouvement Justice et Égalité (JEM, Justice and Equality Movement), également dans l’opposition, doivent s’engager à respecter les droits humains et veiller à ce que leurs combattants ne commettent pas d’atteintes aux droits humains, notamment des homicides délibérés de civils, des viols, actes de torture et attaques contre des cibles civiles. Ils doivent aussi veiller à ce que les organisations humanitaires et les observateurs du cessez-le-feu aient accès librement et sans entraves à tous les secteurs.

Les autorités tchadiennes et la communauté internationale, parmi lesquelles le HCR et un certain nombre d’autres agences des Nations unies doivent :

 veiller à ce que les réfugiés du conflit du Darfour ne soient pas contraints de retourner dans des zones où leurs droits fondamentaux risqueraient de ne pas être respectés ;

 faire usage de toute influence possible pour mettre un terme aux atteintes aux droits humains dans le Darfour et pour éviter une crise des droits humains qui serait encore pire ;

 fournir un soutien aux organisations humanitaires portant secours aux victimes du conflit dans la région du Darfour et dans les camps de réfugiés au Tchad ;

 faire tous les efforts possibles pour s’assurer que les réfugiés qui se trouvent au Tchad ne soient pas laissés dans des lieux à portée d’attaques transfrontalières ; veiller à ce que soit assuré un minimum de protection et à ce que les besoins humanitaires des réfugiés et personnes déplacées de l’intérieur soient satisfaits.

Complément d’information

Pour tenter de dissimuler les conséquences dangereuses de ce violent conflit politique, le gouvernement soudanais a interdit ou sévèrement limité l’accès aux personnes déplacées dans la région du Darfour à quiconque venait du monde extérieur. Les délégués d’Amnesty International se sont rendus au Tchad du 12 au 16 novembre pour parler avec les réfugiés soudanais éparpillés le long de la frontière.

Les populations sédentaires du Darfour dénoncent depuis des années les attaques et pillages de villages et le massacre de leurs habitants par des milices nomades armées par le gouvernement. Selon le gouvernement, la désertification et la compétition pour des ressources de plus en plus rares sont à l’origine des problèmes et les forces de sécurité interviennent en cas d’exactions.

En janvier, une délégation d’Amnesty International s’est rendue dans le Darfour et a lancé un appel en faveur de la réconciliation pour mettre fin au conflit. L’organisation a demandé que soit établie une commission d’enquête impartiale pour examiner les causes complexes de la crise et faire des recommandations applicables de suite pour la résoudre.

En février 2003, des membres des ethnies four, zaghawa, masalit et d’autres groupes de cultivateurs ont formé le Mouvement/l’Armée de Libération du Soudan (MLS/ALS), qui a lancé des attaques contre les forces gouvernementales soudanaises, les accusant de ne pas avoir protégé les populations paysannes. Un autre groupe armé a été formé, le Mouvement Justice et Égalité (JEM, Justice and Equality Movement).

À partir de février, le conflit s’est aggravé ; l’Armée de Libération du Soudan (ALS) a lancé des attaques contres les forces de sécurité, y compris à l’aéroport militaire d’el Fasher ; dans le même temps, les autorités soudanaises ont, semble-t-il, laissé carte blanche aux milices pro-gouvernementales pour lancer des attaques contre les populations sédentaires, dont certains membres ont rejoint les rangs de l’ALS ou des groupes armés du Mouvement Justice et Égalité.

Un réfugié du camp de Birak a raconté aux délégués d’Amnesty International : « Les Arabes et les soldats sont venus à Amir, notre village, à 8h00 du matin avec des Kalachnikovs, des bazookas et une autre arme montée sur un véhicule. Ils ont tué 27 personnes. Il y a eu aussi des bombardements sur Amir. Avant, nous avions de bonnes relations avec les Arabes. Le problème c’est que le gouvernement se mêle de tout ça. »

Un autre réfugié de Birak, originaire de Kishkish, a raconté : « Les miliciens nous ont dit : Vous cultivez les champs et le reste est à nous. Nous avons le gouvernement dans notre main droite, vous êtes dans la main gauche. Vous n’avez rien pour vous. »

Un autre réfugié de Birak encore, originaire de Jafal, a déclaré que les Janjawid leur avaient dit : « Vous êtes des opposants au gouvernement, nous devons vous écraser. Comme vous êtes noirs, vous êtes des esclaves. Le gouvernement est de notre côté. L’avion du gouvernement est de notre côté. »

En septembre 2003, un cessez-le-feu a été conclu entre le gouvernement soudanais et le Mouvement/l’Armée de Libération du Soudan (MLS/ALS) sous les auspices du gouvernement tchadien. Un comité, la commission tripartite, composée de cinq membres de l’armée soudanaise, du Mouvement/de l’Armée de Libération du Soudan (MLS/ALS), et de l’armée tchadienne a été créé pour surveiller l’application du cessez-le-feu et superviser un échange de prisonniers entre les deux parties. En octobre le cessez-le-feu a été reconduit jusqu’au 4 décembre, date à laquelle des négociations doivent commencer. Cependant, les bombardements par l’aviation soudanaise, les attaques de milices arabes et celles perpétrées par le mouvement d’opposition Justice et Égalité (qui a pris en otage, pendant onze jours ce mois-ci, des membres d’organisations humanitaires, dont certains travaillaient pour des agences gouvernementales) se poursuivent.

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit