Soudan. Le gouvernement sévit contre les militants et les opposants politiques

Amnesty International est vivement préoccupée par la récente vague d’arrestations arbitraires de militants, de syndicalistes, de membres avérés ou présumés de partis d’opposition et de manifestants pacifiques au Soudan.

Pour le seul mois d’octobre, plus de 100 personnes ont été appréhendées à Khartoum, la capitale, ou aux alentours. Un grand nombre des personnes arrêtées ont affirmé avoir été soumises à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements en détention.

Arrestations de manifestants pacifiques

Au début du mois d’octobre, des centaines de personnes sont descendues dans la rue afin de protester contre l’augmentation du coût de la vie au Soudan. Les autorités soudanaises ont réagi en dispersant ces manifestants pacifiques à l’aide de gaz lacrymogène et de matraques, et ont soumis des militants à une arrestation arbitraire.

Le 3 octobre, trois membres du groupe Jeunes pour le changement ont été appréhendés par le Service national de la sûreté et du renseignement pour avoir protesté de manière pourtant pacifique contre le prix élevé de la nourriture dans la zone d’Al Thora, à Khartoum. Les trois jeunes gens ont été remis en liberté au bout de trois jours d’interrogatoire, durant lesquels ils disent avoir été torturés.

Après cela, le 11 octobre, le Service national de la sûreté et du renseignement a fait une descente au domicile de Majdi Akashas, le porte-parole de Jeunes pour le changement, et ont placé celui-ci et son épouse, Sara Mohamed Alhassan, en détention pendant une journée. L’ordinateur de Sara Mohamed Alhassan a par ailleurs été confisqué, et elle a été sommée de se présenter devant le Service national de la sûreté et du renseignement les deux jours suivants.

La Loi de 2010 relative à la sécurité nationale accorde à cet organe les pouvoirs d’effectuer des perquisitions et de saisir des biens, et de maintenir des personnes en détention sans contrôle judiciaire.

Le 6 octobre, des résidents de la ville de Masudiya, au sud de Khartoum, ont commencé à manifester contre le prix de l’eau et de l’électricité, qu’ils estimaient trop élevé. Les autorités ont réagi en imposant un couvre-feu le 8 octobre et en faisant semble-t-il fermer les magasins du centre-ville. Plus de 22 personnes ont été arrêtées le 10 octobre, dont un homme souffrant de troubles mentaux qui a été incarcéré pendant trois jours et frappé en détention. Par ailleurs, un garçon de 13 ans a été appréhendé et a reçu 20 coups de fouet, en application d’une décision de justice. Il a été relâché à une condition : obtenir une déclaration écrite signée par son frère aîné, qui avait participé aux manifestations, dans laquelle celui-ci s’engageait à ne pas participer à de futures actions de protestation.

Les châtiments corporels sont cruels, inhumains et dégradants, et interdits par la Convention contre la torture, la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En outre, les enfants ne doivent pas faire l’objet de la procédure pénale habituelle, mais être traités conformément aux dispositions de la CDE, qui a été ratifiée par le Soudan.

Mesures de répression visant les membres de partis d’opposition
Le 18 octobre, Abbas Al Awad, 85 ans, syndicaliste et responsable au sein du Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (MPLS-N), a été arrêté à son domicile d’Alkalakla (Khartoum) à 10 heures du matin. Il a déclaré avoir été appréhendé puis maintenu en détention pendant une journée pour avoir prononcé un discours lors d’une réunion privée au sujet de l’« Alliance de Juba », qui est composée du MPLS-N et d’autres partis d’opposition. Cette alliance a été formée en avril 2010, avant le référendum sur l’indépendance du Soudan du Sud. Le 1er novembre, Izdihar Jumma, militante et membre du MPLS-N, a été arrêtée pour la huitième fois cette année en raison de son affiliation à ce parti politique. Elle a été maintenue en détention pendant deux jours.

Le 21 octobre, le Service national de la sûreté et du renseignement a effectué une descente au domicile de Dafallah Musa lors d’un rassemblement régulier auquel participaient plusieurs partis politiques, dans le quartier d’Alkalakla à Khartoum. Plus de 10 personnes ont été arrêtées et beaucoup ont signalé avoir été torturées pendant 15 jours. Certaines d’entre elles ont ensuite été forcées à signer un document selon lequel elles ne s’impliqueraient dans aucune activité politique et s’exposaient à retourner en détention dans le cas contraire ; il leur a par ailleurs été ordonné de se présenter régulièrement au Service national de la sûreté et du renseignement.

Parmi les personnes arrêtées et incarcérées le 21 octobre figurait Awad Abbas Al Awad, un professeur d’anglais de 49 ans, par ailleurs membre du parti communiste. Il a déclaré que les forces de sécurité ont encerclé sa maison et que des hommes armés arrivés à bord de quatre véhicules ont fait une descente chez lui et terrorisé tous les habitants de la zone. Il a déclaré qu’ils ont ensuite emmené les personnes appréhendées dans un immeuble isolé près du Palais de la république et qu’ils les y ont gardées pendant trois jours sans les nourrir ni les laisser dormir. Elles ont été forcées à se tenir debout, les mains à hauteur du visage, à côté d’un mur tandis que des membres du Service national de la sûreté et du renseignement continuaient à les agresser verbalement. Au bout de trois jours, les fonctionnaires ont emmené les détenus au siège du Service à Bahri et ont continué à les interroger plusieurs heures par jour jusqu’à leur libération.

Alameen Bilal Mukhtar, 32 ans, membre d’Oumma (Parti de l’indépendance), a déclaré qu’un des membres des forces de sécurité lui a donné un coup de pied dans l’œil droit et que deux hommes l’ont tenu par les mains et les pieds tandis qu’un troisième lui flagellait le dos. Il a également été insulté.

Amnesty International engage les autorités soudanaises à mettre immédiatement fin aux arrestations arbitraires, au harcèlement et aux actes d’intimidation visant les militants, et à respecter leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Chacun doit être en mesure d’exercer ces droits et de mener des activités politiques légitimes sans avoir à craindre d’être victime d’actes d’intimidation et de harcèlement.

La torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont strictement interdites par le droit international. Amnesty International demande aux autorités soudanaises de : veiller à ce que personne ne soit soumis à la torture ou d’autres formes de mauvais traitements par les forces de sécurité ou d’autres agents de l’État ; diligenter dans les meilleurs délais de véritables enquêtes impartiales sur toutes les allégations de torture et d’autres formes de mauvais traitements, de faire en sorte que les victimes reçoivent réparation et que les responsables présumés soient jugés dans le cadre de procès conformes aux normes internationales, sans que la peine de mort ne soit requise.

Complément d’information

Les actions de protestation d’octobre ont fait suite aux manifestations ayant duré de janvier à avril 2011 au Soudan, lorsque des milliers de personnes se sont mobilisées à travers le pays en faveur de la démocratie et contre la détérioration des conditions socioéconomiques.

Le 30 janvier, plus de 70 d’entre elles ont été arrêtées à Khartoum, dont un grand nombre dans la rue avant même de rejoindre la manifestation. Des membres du Service national de la sûreté et du renseignement et la police antiémeutes ont commencé à rechercher les organisateurs de la manifestation la veille au soir. Un grand nombre des personnes appréhendées auraient été soumises à la torture ou à d’autres mauvais traitements, et au moins un manifestant étudiant, Mohamed Abdelrahman, est mort à l’hôpital le 31 janvier après avoir été blessé par la police. À la connaissance d’Amnesty International, le gouvernement soudanais n’a pris aucune mesure à la suite de ces manifestations afin d’enquêter sur les allégations de torture, d’autres formes de mauvais traitements ou de recours excessif à la force par la police.

Depuis juin, plus de 200 membres avérés et présumés du MPLS-N auraient été arrêtés après qu’un conflit eut éclaté entre les forces soudanaises et l’Armée populaire de libération du Soudan au Kordofan méridional, et se fut étendu à l’État du Nil bleu le 1er septembre. Le 16 septembre, le gouvernement soudanais a prononcé l’interdiction de 17 partis politiques affiliés au Soudan du Sud, dont le MPLS-N. Le MPLS-N est le successeur du MPLS, qui partageait le pouvoir avec le parti du Congrès national, qui est à la tête du pays, avant la déclaration de l’indépendance du Soudan du Sud le 9 juillet.

La Loi de 2010 relative à la sécurité nationale accorde au Service national de la sûreté et du renseignement les pouvoirs d’effectuer des perquisitions et de saisir des biens, et de maintenir des personnes en détention sans contrôle judiciaire pendant une période pouvant atteindre quatre mois et demi. L’article 50 de cette loi habilite les agents de cet organe à arrêter et incarcérer des personnes pendant une période pouvant atteindre 30 jours, sans contrôle judiciaire. Cette période de détention peut être prolongée pour 15 jours supplémentaires par le directeur du Service national de la sûreté et du renseignement. Aux termes de l’article 50, le cas peut ensuite être soumis au Conseil national de la sécurité, lequel peut à son tour proroger de trois mois maximum la période de détention.

La durée totale de la détention sans contrôle judiciaire peut donc atteindre quatre mois et demi, en violation de l’article 9(3) du PIDCP, qui requiert que toute personne arrêtée ou incarcérée soit présentée sans délai devant un juge ou un autre représentant des autorités habilité par la loi à exercer un pouvoir judiciaire.

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