SOUDAN - Le sort de centaines de prisonniers politiques en suspens

Index AI : AFR 54/064/2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Le 30 juin 2005, le président soudanais a promis de libérer les prisonniers politiques. À maintes reprises, Amnesty International a prié les autorités soudanaises de libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d’opinion et de remettre en liberté les autres prisonniers politiques, ou de les inculper dans les meilleurs délais d’infractions prévues par la loi et de les juger dans le cadre d’un procès équitable.

Sur les 355 prisonniers politiques recensés par Amnesty International, seul Sheikh Hassan al Turabi, fondateur du Congrès populaire (CP), a été libéré. Il avait été placé en résidence surveillée sans inculpation ni jugement pendant quinze mois à Khartoum (voir la liste des prisonniers politiques publiée par Amnesty International ce 30 juin 2005 dans le document AFR 54/062/2005 à l’adresse suivante : http://www.amnestyinternational.be/doc/IMG/pdf/AFR5406205.pdf).

Amnesty International estime que cette liste ne recense qu’une petite partie des prisonniers politiques du Soudan. Bien souvent, les familles ne savent pas où sont incarcérés leurs proches. Elles doivent faire des recherches dans l’espoir d’obtenir des informations sur le sort qui leur a été réservé, tandis qu’ils sont transférés d’un lieu à un autre. Au Soudan, il n’existe pas de registre public consignant les noms des détenus que les familles peuvent consulter.

L’organisation de défense des droits humains a demandé que tous les détenus puissent sans délai consulter leur avocat, entrer en contact avec leur famille et rencontrer des observateurs des Nations unies et des membres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Elle a indiqué que 10 p. cent seulement des prisonniers figurant sur sa liste avaient comparu devant un tribunal.

D’autre part, Amnesty International a sollicité la levée des dispositions d’urgence mises en place dans toutes les régions du Soudan, dispositions qui bafouent les droits humains. Elle demande aussi l’abrogation des articles 31 et 33 de la Loi de 1999 relative aux forces de sécurité, la mise en œuvre immédiate de réformes juridiques visant à aligner les procédures de détention en vigueur au Soudan sur les normes internationales relatives aux droits humains et l’enregistrement et l’inspection de tous les centres de détention par le ministère de la Justice.

Chiffres concernant les prisonniers

D’après la liste établie par Amnesty International :
Au moins un tiers des détenus ont été interpellés au Darfour et la plupart sont détenus de manière arbitraire en raison du conflit. Beaucoup sont toujours incarcérés au Darfour, d’autres ont été transférés à Khartoum. Parmi eux figurent des membres influents de la société civile, des détracteurs de la politique du gouvernement et des personnes - notamment des membres de groupes arabes - s’efforçant d’œuvrer en faveur de la réconciliation. La majorité d’entre eux ont été arrêtés parce qu’ils étaient soupçonnés d’être des sympathisants de groupes armés du Darfour ; toutefois, seuls 26 p. cent ont été inculpés ou jugés.

Plus de 100 détenus arrêtés ailleurs, pour la plupart au Darfour et dans l’est du Soudan, ont été transférés à Khartoum. Parmi eux, on croit savoir que figurent 18 partisans du Congrès beja, interpellés à Port-Soudan ou Kassala, puis transférés dans la capitale. En raison de la distance et des difficultés pour se déplacer, la plupart n’ont pas pu recevoir la visite de leur famille. En septembre 2004, le gouvernement a procédé à des vagues d’arrestations ciblant les membres du CP. Pour la majorité des 69 membres figurant sur la liste d’Amnesty International, la période de neuf mois de détention sans présentation à une autorité judiciaire que prévoit la loi soudanaise a désormais expiré. Le gouvernement a annoncé avoir déjoué par ce coup de filet un complot fomenté contre l’État. Pourtant, parmi ceux qui sont toujours maintenus en détention, peu ont comparu devant un tribunal ; bon nombre n’ont pas même été inculpés.

Quelque 106 détenus figurant sur la liste ont été appréhendés à Soba Aradi, camp de personnes déplacées situé au sud de Khartoum, après que des affrontements avec la police eurent fait au moins 14 morts dans les rangs des policiers et peut-être jusqu’à 50 victimes parmi les résidents. On croit savoir que plus d’une centaine d’autres résidents de Soba Aradi sont maintenus en détention. Certains ont été jugés dans le cadre de procès expéditifs où, pour la première fois, les avocats ont pu les rencontrer. Selon ces détenus, ils étaient chaque jour frappés par les policiers. Amnesty International demande instamment que ces détenus soient inculpés d’infractions prévues par la loi et jugés dans le cadre d’un procès équitable, ou remis en liberté, et qu’il soit mis immédiatement fin aux actes de torture dont ils affirment être victimes.

Complément d’information

Le 30 juin 2005, le gouvernement a réitéré sa promesse de lever l’état d’urgence, dans certaines régions seulement, et de libérer les prisonniers politiques. Le 24 juin, adressant au Conseil consultatif des droits humains du gouvernement soudanais une liste de plus de 300 détenus politiques, Amnesty International avait demandé qu’ils soient libérés immédiatement ou bénéficient d’un procès équitable.

En outre, le gouvernement a promis de libérer toutes les personnes placées en détention dans le cadre du conflit au Darfour, comme le prévoyait l’accord signé le 9 novembre 2004 entre le gouvernement d’une part et l’Armée de libération du Soudan (ALS) et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) d’autre part.

Des mois sans contact avec le monde extérieur

« [...] la communication de la personne détenue ou emprisonnée avec le monde extérieur, et en particulier avec sa famille ou son conseil, ne peut être refusée pendant plus de quelques jours. » [Principe 15 de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, ONU]

La plupart des détenus politiques n’ont aucun contact avec le monde extérieur. Presque toujours, les avocats se voient refuser le droit de les rencontrer et, bien souvent, les familles ne sont autorisées à les voir qu’une ou deux fois par an, lors de fêtes religieuses musulmanes. Parfois, les familles ne sachant absolument pas où leurs proches sont détenus, elles redoutent qu’ils n’aient été victimes de « disparitions » ou d’exécutions tenues secrètes. Même les avocats habitués à défendre des prisonniers politiques, qui connaissent les probables lieux de détention, ne sont pas en mesure de déterminer le sort qui leur a été réservé. Dans la plupart des cas, les familles ne bénéficient pas des services d’un avocat et ne connaissent pas le système. Elles sont renvoyées des postes de police et des bureaux de la sécurité nationale et endurent des semaines, voire des mois d’angoisse, ignorant si leur proche est vivant ou mort. Généralement, elles ne sont pas tenues informées lorsqu’un prisonnier est transféré dans un nouveau lieu de détention.

Adib Abdel Rahman Yusuf, libéré en avril 2005, a passé quatre mois dans un centre de détention secret situé près de la prison de Kober, à Khartoum, et surnommé « Abou Ghraib » par les détenus. Systématiquement battu et ligoté, il était parfois attaché à des fenêtres ou à des portes, et privé de sommeil. À certains moments, il était placé à l’isolement, puis a dû partager une cellule de 4 m² avec neuf autres détenus. Il a ensuite passé deux mois dans la prison de Dabak, à Khartoum-Nord ; infestée par les moustiques, elle est réputée pour ses conditions de détention déplorables. Transféré à la section des détenus politiques de la prison de Kober, dans le nord de Khartoum, il y a été incarcéré pendant un mois. Il ne sait pas pourquoi il a été libéré. Pendant toute la durée de sa détention, il n’a jamais comparu devant un procureur ni un juge, et n’a pas pu entrer en contact avec sa famille.

Torture et morts en détention

« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » [Article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)]

La détention au secret favorise une situation dans laquelle les passages à tabac et autres actes de torture sont souvent commis en toute impunité. Les étudiants et les membres de groupes marginalisés, comme les Nouba et les habitants du Darfour, sont les plus exposés aux coups et autres actes de torture lorsqu’ils sont interpellés. Au cours de l’année 2004, au moins quatre personnes sont mortes en détention dans des circonstances laissant à penser que le décès résultait, directement ou indirectement, d’actes de torture. Aucun membre des forces de sécurité n’a comparu devant un tribunal pour ces agissements. Les personnes mortes en détention sont :
Abdelrahman Mohamed Abdel Hadi, mort en détention le 26 août 2004, jour où il a été interpellé par des agents des services de renseignements à Mellit, au Darfour ; il aurait succombé à de graves blessures infligées lorsqu’il a été torturé.
Shamsaddin Idris, étudiant nouba de l’université al Nilein et militant du CP, mort en détention le lendemain de son arrestation par l’Agence nationale de sécurité à Omdourman, le 10 septembre 2004.
Abdel Rahman Suleiman Adam, Fellata originaire du Darfour, mort le jour de son arrestation, le 13 septembre 2004 ; il avait été interpellé dans le cadre des vagues d’arrestations de membres présumés du CP.
Abdallah Daw al Bait Ahmed, membre du groupe Bani Hussein au Darfour, arrêté par la police le 24 mai 2005 avec des centaines d’autres dans le camp pour personnes déplacées de Soba Aradi, à Khartoum. Son corps, présentant les marques d’un passage à tabac, a été amené à la morgue de l’hôpital de Khartoum le 8 juin 2005. Trois autres personnes appréhendées à Soba Aradi seraient mortes en détention.

La Loi relative aux forces de sécurité et les lois relatives à l’état d’urgence
« Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge. » [Article 9-3 du PIDCP]

En dépit de la signature de l’Accord de paix global le 9 janvier 2005, la Loi relative à l’état d’urgence demeure en vigueur dans l’ensemble du Soudan. Elle restreint la liberté d’expression et autorise les forces de sécurité à maintenir des personnes en détention pour une durée indéterminée et à interdire ou disperser les rassemblements pacifiques. Le pays est quasiment en état d’urgence permanent depuis 1999, mais n’a pas pris les mesures lui permettant de déroger en toute légalité à ses obligations au titre de l’article 4 du PIDCP. L’état d’urgence en vigueur au Soudan enfreint les dispositions non susceptibles de dérogation et les prescriptions du PIDCP par lequel il est lié.

La Loi relative aux forces de sécurité qui, au fil des ans, a permis des détentions au secret massives, n’a pas encore été modifiée. Au titre de l’article 31, les forces nationales de sécurité peuvent détenir des personnes pendant neuf mois. Les placements en détention excédant trois jours doivent être signalés au directeur du Bureau de la sécurité nationale ; ceux qui excèdent 30 jours doivent s’appliquer uniquement si « des éléments, des preuves ou des soupçons indiquent que [le détenu] a commis une infraction contre l’État ». Pourtant, dans la pratique, les prisonniers politiques sont généralement maintenus en détention au titre de cette Loi pendant des mois sans être autorisés à entrer en contact avec leur famille ni à consulter un avocat. L’article 33 accorde l’immunité aux membres des forces de sécurité et exclut toute plainte déposée contre eux pour torture ou mauvais traitements.

Le Soudan a ratifié des instruments relatifs aux droits humains en vertu desquels les prisonniers ont le droit d’être présentés à un juge « rapidement » après leur arrestation. Maintenir quiconque en détention pendant neuf mois sans l’inculper, le présenter à une autorité judiciaire ni l’autoriser à consulter un avocat, constitue déjà une atteinte flagrante aux libertés fondamentales. De surcroît, cette période inscrite dans la loi soudanaise est fréquemment prorogée. Une trentaine de prisonniers figurant sur la liste d’Amnesty International sont incarcérés depuis plus de neuf mois de manière illégale - et ce même au regard de la loi soudanaise. Des détenus très médiatisés ont fréquemment été libérés - avant d’être à nouveau interpellés - au terme de cette période de neuf mois.

Jibril al Nil, Nureddin Adam Ali, Ibrahim Mohammed Sultan et Ahmed Adam Bakhit, figures de proue du CP, ont effectivement comparu devant un tribunal qui les a acquittés de crimes contre l’État, pour être immédiatement arrêtés alors qu’ils sortaient de la salle d’audience. D’autres prisonniers, comme Hassaballah Khater Mursal et Mohammed Osman Ahmed, militants du CP, ou Yusuf Haroun Rahma, étudiant, et Ishaq Mohammed Adam, fermier, tous deux originaires de Niyertiti, au Darfour, semblent tout simplement être tombés dans l’oubli.

Pour obtenir de plus amples informations, veuillez contacter le Service Presse d’Amnesty International au 02 543 79 04 ou consulter les sites http://www.amnesty.be et http://www.amnesty.org.

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