SOUDAN - Poursuite du blocus de l’aide humanitaire

Index AI : AFR 54/010/2006

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International condamne les récentes actions du gouvernement soudanais - notamment le blocage hier 3 avril de la visite du sous-secrétaire général des Nations unies Jan Egeland - visant à faire obstruction à l’aide humanitaire au Darfour. La multiplication de ces actions au cours de ces derniers mois bafoue les accords passés entre le gouvernement du Soudan et les Nations unies, ainsi que les dispositions du Protocole humanitaire d’Abuja et de l’Accord de cessez-le-feu humanitaire de N’Djamena.

Ce mardi 4 avril, la Commission des affaires humanitaires de Nyala, dans le Darfour-Sud, a informé le Norwegian Refugee Council (NRC), une organisation non gouvernementale (ONG) internationale travaillant à Camp Kalma, que son « accord de coopération » ne serait pas renouvelé et qu’il devait retirer tout son personnel international du Darfour-Sud. Aucune raison n’a été donnée à l’appui de cette décision. Le NRC joue un rôle vital dans la coordination de toutes les activités de secours à Camp Kalma, où il aide environ 95 000 personnes déplacées internes dans ce camp.

Le refus de renouveler le mandat du NRC et l’expulsion de son personnel international sont les dernières mesures en date prises par le gouvernement, qui multiplie depuis quelques mois les actes d’intimidation et de harcèlement à l’égard des travailleurs humanitaires dans le Darfour. Les délais d’obtention et le retrait des permis de voyager et des visas de sortie des personnels humanitaires sont à nouveau utilisés comme moyens d’obstruction à l’arrivée de l’aide internationale au Darfour, déjà mise en péril par l’insécurité régnant dans le pays et les attaques perpétrées contre les personnels humanitaires.

Cet état de fait n’affecte pas seulement les ONG internationales. En mars, Amnesty International a fait part de son inquiétude après la suspension de l’Organisation pour le développement social du Soudan (SUDO, Sudan Social Development Organisation), une ONG nationale.

Le 13 mars 2006, la SUDO a reçu l’ordre de la Commission des affaires humanitaires de fermer ses bureaux à El Geneina, capitale de l’État du Darfour occidental et Zalingei, dans l’État du Darfour occidental. La Commission des affaires humanitaires a ordonné à la SUDO de cesser toutes ses opérations et de lui remettre les clés de ses bureaux, centres médicaux et centres d’alimentation thérapeutique, ainsi que les clés de ses véhicules. Les comptes bancaires de la SUDO, pour ses bureaux de Zalingei et El Geneina, ont été gelés. La Commission des affaires humanitaires a justifié la fermeture des bureaux de la SUDO et la suspension de ses opérations sur le terrain en déclarant que l’Organisation pour le développement social du Soudan avait violé la loi sur la Commission de l’aide humanitaire. Toutefois, malgré les demandes répétées d’explication de la part de la SUDO, la Commission des affaires humanitaires n’a jamais précisé quelles dispositions et paragraphes de la loi avaient été violés. L’ordre de suspension a, depuis, été levé pour le bureau de Zalingei, mais celui d’El Geneina est toujours fermé.

Un autre motif de préoccupation, susceptible de donner une base légale à l’obstruction de l’action humanitaire des ONG dans tout le Soudan mais plus particulièrement au Darfour, est la promulgation d’une nouvelle loi réglementant l’action des ONG.

Le 20 février 2006, les membres du parlement ont voté la Loi 2006 sur l’organisation du travail bénévole et humanitaire, qui remplacera la Loi sur la Commission de l’aide humanitaire. La promulgation de cette loi imposera des restrictions importantes et injustifiées à l’action des ONG présentes au Soudan. La loi accorde en effet au gouvernement un pouvoir de décision considérable en ce qui concerne l’autorisation et la réglementation des activités des ONG au Soudan ; certaines de ses dispositions bafouent le droit à la liberté d’association, contenu dans les traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels le Soudan est État partie, et dans la Constitution nationale de transition du Soudan. Toutefois, le président n’a pas signé la loi qui n’est donc pas encore entrée en vigueur.

Particulièrement préoccupante pour les ONG travaillant dans le Darfour est la section 5(f) de la loi exigeant une « non-ingérence des organisations étrangères et nationales dans les affaires intérieures du Soudan, dans la mesure où cela empièterait sur la souveraineté du pays ». « L’ingérence internationale dans les affaires intérieures » est évoquée de longue date par le gouvernement pour justifier les restrictions apportées au travail des ONG présentes dans des zones sensibles, pour les empêcher de dénoncer les violations des droits humains dont elles sont témoins sur le terrain. Il est inquiétant, surtout pour les ONG travaillant dans le Darfour, que cette disposition ait été inscrite dans la nouvelle loi.

Au cours du conflit dans le Darfour, le gouvernement n’a cessé de répéter qu’il s’engageait à faciliter un accès sans entrave aux organisations humanitaires. Le Protocole humanitaire d’Abuja, signé en novembre 2004, prévoit dans son article 1 sur la « Liberté d’accès et de mouvement » :

« Nous (le gouvernement, le Mouvement de libération du Soudan et le Mouvement pour la justice et l’égalité) nous engageons à laisser librement passer les organisations humanitaires et à permettre l’accès des travailleurs humanitaires aux populations dans le besoin dans le Darfour. »

Cet engagement a été réaffirmé récemment en avril 2005 par l’Accord de cessez-le-feu humanitaire de N’Djamena, dont l’article 8 prévoit que les parties s’engagent à faciliter la fourniture d’aide humanitaire et s’emploient à créer des conditions favorables à l’acheminement de secours d’urgence aux personnes déplacées et autres victimes civiles de la guerre et cela, où qu’elles se trouvent dans la région du Darfour.

Enfin, selon le secrétaire générale des Nations unies Kofi Annan, le gouvernement a indiqué qu’il renouvellerait le Moratoire sur les restrictions à l’égard de toutes les activités humanitaires au Darfour jusqu’en décembre 2007 (Rapport du secrétaire général sur le Soudan, mars 2006). Le moratoire « élimine tous les autres obstacles au travail humanitaire, à savoir :

suspension des restrictions aux visas des opérateurs humanitaires et liberté de circulation de tout le personnel chargé de l’aide dans l’ensemble du Darfour ;

autorisation de l’enregistrement temporaire immédiat des organisations non gouvernementales par une simple procédure de notification que le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) offrira d’administrer pour le compte des organisations, l’enregistrement définitif se faisant dans un délai de quatre-vingt-dix jours ;

suspension de toutes les restrictions à l’importation et à l’utilisation de tous les équipements, véhicules de transport, aéronefs et matériel de communication des opérateurs humanitaires. »

Amnesty International appelle également le gouvernement du Soudan à :

se conformer à ses engagements répétés de cesser toute obstruction à l’aide humanitaire. Les retards inutiles ainsi que le retrait souvent non justifié de permis de voyager et de visas de sortie doivent cesser. La fermeture et la suspension illégales d’organisations humanitaires doivent également être stoppées.

Amnesty International appelle aussi le président du Soudan à :

ne pas signer la Loi sur l’organisation du travail humanitaire et bénévole (2006) tant que toutes les dispositions non conformes aux normes internationales relatives à la liberté d’association et à la Constitution nationale de transition du Soudan n’auront pas été amendées.

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