Le conflit qui fait rage depuis maintenant plus de quatre ans au Soudan du Sud a causé d’énormes souffrances. Amnesty International a recensé de graves atteintes au droit international relatif aux droits humains et au droit international humanitaire pendant ce conflit, notamment des homicides délibérés de civils, des violences sexuelles généralisées, la privation de nourriture utilisée comme arme de guerre, des détentions arbitraires et prolongées et des disparitions forcées.
Ces violations, entre autres, se sont poursuivies sans relâche. Entre février et décembre 2017, le Mécanisme de suivi du cessez-le-feu et des dispositions transitoires de sécurité a recensé 154 cas déclarés d’agressions sexuelles commises par des soldats du gouvernement en uniforme et par des membres des services de sécurité dans la capitale, Djouba, et ses environs. Certaines femmes ont semble-t-il été mutilées au moment de leur viol, leurs oreilles et leurs doigts ayant été tranchés, tandis que d’autres ont été violées devant leurs enfants et des membres de leur famille.
Amnesty International a fait état de cas similaires dans un rapport sur la violence sexuelle publié en juillet 2017. Des femmes interrogées pour ce rapport ont déclaré qu’elles avaient été violemment battues lors de leur viol en réunion par des soldats des forces gouvernementales ; certaines d’entre elles ont été grièvement blessées.
Malgré la signature d’un accord de cessation des hostilités le 21 décembre 2017, le conflit entre le gouvernement et les forces de l’opposition n’a pas cessé, au mépris total des conséquence de ce conflit pour les civils. Depuis l’entrée en vigueur de cet accord, des combats ont été signalés dans diverses régions du pays, notamment à Koch, dans l’État d’Unité, et à Mundri, dans l’État d’Équatoria occidental. Des mouvements de troupes ont aussi été signalés à d’autres endroits, par exemple dans l’État de Jonglei. La situation a toutes les chances de continuer d’évoluer dans ce sens. En effet, c’est actuellement la saison sèche au Soudan du Sud, une période généralement marquée par une recrudescence des violences liées au conflit.
PRIVATION D’AIDE HUMANITAIRE
Le gouvernement et les forces de l’opposition ont tous deux volontairement entravé l’acheminement de l’aide humanitaire. Comme l’a indiqué le rapport d’activité du Groupe d’experts sur le Soudan du Sud de novembre 2017 : « La conséquence prévisible et, selon le Groupe d’experts, recherchée par les auteurs de ces blocages est limpide : les opérations menées pour apporter une aide humanitaire ou protéger les civils des violences ne peuvent bien souvent pas atteindre leur but, ce qui entraîne une exacerbation de la crise humanitaire dans de nombreuses régions du pays. »
L’année 2017 est celle qui a connu le plus grand nombre d’incidents liés à l’acheminement de l’aide humanitaire depuis le début du conflit. On estime qu’au moins 95 travailleurs humanitaires ont été tués au cours des quatre dernières années, dont 28 pour la seule année 2017 – novembre 2017 ayant été déclaré le mois le plus dangereux pour les travailleurs humanitaires depuis le début du conflit en décembre 2013. L’insécurité persistante et les violences liées au conflit ont considérablement perturbé les opérations humanitaires, entamant la capacité des civils à accéder à une aide vitale telle que la nourriture, les soins de santé et des hébergements d’urgence.
Les restrictions à l’aide humanitaire présentent pour les civils de lourdes conséquences, qui risquent de s’aggraver avec la saison sèche qui est en cours. Sept millions de personnes ont cruellement besoin d’aide et de protection, et de nombreux civils ne peuvent toujours pas retourner sur les terres qu’ils cultivaient, restent sans accès aux sources d’eau et sont privés d’une aide humanitaire indispensable à leur survie.
LA PRIVATION DE NOURRITURE COMME ARME DE GUERRE
Comme Amnesty International l’a indiqué dans son rapport de juillet 2017 sur les atrocités commises dans la région d’Équatoria, le gouvernement et les forces de l’opposition se servent tous deux de la nourriture comme arme de guerre, que ce soit en entravant l’acheminement des denrées alimentaires vers certaines zones, en pillant les marchés et les habitations, ou en prenant pour cible les civils qui passent les lignes de front avec de la nourriture, chaque camp accusant l’autre de soutenir « l’ennemi ».
Cette pratique consistant à restreindre systématiquement l’accès à la nourriture n’est pas une nouveauté et a contribué à instaurer une situation d’insécurité alimentaire aiguë, qui est devenue un élément caractéristique du conflit au Soudan du Sud. Les recherches menées par Amnesty International en 2016 à Leer, dans l’État d’Unité, ont montré que les attaques contre des biens de caractère civil, en particulier des hébergements et des réserves de nourriture, étaient généralisées, systématiques, et semblaient faire partie d’une stratégie politique gouvernementale visant à forcer les civils à quitter leurs villages. Les attaques contre les ressources alimentaires ont également eu pour effet, et semble avoir pour but, d’imposer, en guise de punition collective, une situation d’insécurité alimentaire aux personnes vivant dans des zones contrôlées par l’opposition.
Le Groupe d’experts sur le Soudan du Sud a relevé des tendances similaires dans son rapport d’activité de novembre 2017. Selon ce rapport, le gouvernement sud-soudanais a systématiquement entravé l’acheminement de l’aide humanitaire aux populations de l’État du Bahr al Ghazal occidental. Le Groupe d’experts a conclu : « Il s’agit là d’une utilisation de la nourriture comme arme de guerre visant à infliger des souffrances aux civils que le gouvernement considère comme hostiles à ses objectifs. »
En septembre 2017, on considérait que six millions de personnes, soit environ la moitié de la population totale du Soudan du Sud, étaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Il convient également de noter que, si la famine était limitée à certaines zones de l’État d’Unité en 2017, les populations de la région d’Équatoria, de l’ensemble des régions du Haut-Nil et du Bahr el Ghazal vivaient dans des conditions de « catastrophe humanitaire ». Il est à craindre que, si la situation continue de se détériorer, le pays soit confronté cette année au pire des scénarios : un retour de la famine dans de nombreuses parties du pays.
DÉTENTIONS ARBITRAIRES ET DISPARITIONS FORCÉES
Dans le cadre de la campagne anti-insurrectionnelle de plus en plus implacable menée par le gouvernement contre les personnes soupçonnées de faire partie de l’opposition, le Service national de la sûreté (NSS) et la Direction du renseignement militaire ont continué de procéder à des arrestations arbitraires et de maintenir des opposants présumés au gouvernement en détention prolongée, sans inculpation ni jugement. Des détenus ont été soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements. Les conditions de détention sont extrêmement rudes. Comme Amnesty International l’a souligné en 2016, sur le site de détention de Gorom, situé à environ 20 kilomètres au sud de Djouba, les détenus étaient incarcérés dans des conteneurs en métal mal ventilés, n’étaient nourris qu’une ou deux fois par semaine, et ne recevaient pas d’eau potable en quantité suffisante. L’organisation pense que de telles conditions ont abouti à la mort de nombreux détenus.
Outre les détentions arbitraires, la torture et les autres mauvais traitements, le NSS et les services de renseignement militaire ont également soumis des personnes à des disparitions forcées. Dong Samuel Luak et Aggrey Idri, qui tous deux critiquaient ouvertement le gouvernement sud-soudanais, ont disparu respectivement les 23 et 24 janvier 2017 à Nairobi, au Kenya. Amnesty International a reçu des informations crédibles selon lesquelles ces deux hommes auraient été vus en détention provisoire au quartier général du NSS à Djouba, les 25 et 26 janvier 2017. On ne sait toujours pas ce qu’ils sont devenus ni où ils se trouvent.
IMPUNITÉ GÉNÉRALISÉE
L’incapacité à traiter les atteintes graves au droit international humanitaire et relatif aux droits humains, ainsi qu’à obliger les parties au conflit à répondre de leurs actes, a contribué à perpétuer les atteintes aux droits humains dans le pays. Les victimes du conflit en cours au Soudan du Sud ont elles aussi le droit d’obtenir justice et réparation.
Des progrès ont été accomplis en vue de la création du tribunal hybride pour le Soudan du Sud fin 2017 : le Conseil des ministres du Soudan du Sud aurait approuvé les statuts du tribunal hybride et le protocole d’accord avec l’Union africaine. Cependant, les efforts doivent être poursuivis pour parvenir à la mise en place de ce tribunal hybride et à l’instauration d’une réelle obligation de rendre des comptes à l’échelle du pays.
Une grande partie des efforts entrepris pour mettre fin à l’impunité passe par la poursuite des travaux de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, conformément à la résolution adoptée par le Conseil des droits de l’homme le 24 mars 2017 – en particulier en ce qui concerne la collecte et la conservation des éléments de preuve, ainsi que la nécessité d’établir la responsabilité des auteurs de violations, afin d’ouvrir la voie à l’obligation de rendre des comptes.
RECOMMANDATIONS
Au vu des préoccupations évoquées ci-dessus, Amnesty International appelle le Conseil des droits de l’homme à adopter une résolution ferme sur le Soudan du Sud lors de sa 37e session, à renouveler le mandat actuel de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, et à veiller à ce que celle-ci ait les compétences et les ressources nécessaires pour « établir et signaler les faits et les circonstances des cas présumés de violations flagrantes des droits de l’homme, d’atteintes graves à ces droits et de crimes connexes, […] recueillir et conserver les preuves desdites infractions, et en désigner les responsables ».