SOUDAN : Restreindre la liberté de la presse est totalement inacceptable

Amnesty International a condamné ce mercredi 2 juillet la confiscation de l’édition du 28 juin et d’une partie de l’édition du 29 juin du quotidien soudanais indépendant Al Sahafa par les forces de sécurité du pays.

« Le gouvernement soudanais et l’Agence nationale de la sécurité doivent mettre un terme aux confiscations et suspensions de parution de journaux locaux. Les actes d’intimidation et de harcèlement de journalistes, visant à restreindre la liberté de la presse, doivent cesser », a déclaré Amnesty International.

Dans la nuit du 27 juin, des membres des forces de sécurité ont saisi environ 20 000 copies du journal Al Sahafa, opération organisée en réaction à un point de vue publié quelques jours plus tôt à l’occasion de l’anniversaire du coup d’État du 30 juin 1989, au cours duquel l’actuel gouvernement a pris le pouvoir.

Salah El Din Awooda, journaliste et auteur de ce point de vue, convoqué par les autorités, a été averti qu’il ne devait pas critiquer le gouvernement. Quelques jours plus tard, les forces de sécurité ont ordonné au journal de supprimer une page de son édition du dimanche contenant trois articles. Une fois la page en question supprimée, les forces de sécurité ont saisi près de 16 000 copies de certaines parties du journal. Les articles considérés comme critiques vis-à-vis du gouvernement par les forces de sécurité avaient été écrits par Al Haj Warraq, l’un des directeurs du journal, Adil El Baz, son rédacteur en chef et l’une des filles du chef du parti Oumma [Parti de l’indépendance] Sadiq El Mahdi.

Les directeurs de publication au Soudan se plaignent fréquemment de ce que les forces de sécurité attendent que l’impression soit terminée pour saisir des copies de leurs journaux, leur imposant ainsi une charge financière supplémentaire. Les autorités ont également saisi le 6 mai des copies du journal Al Sahafa qui avait publié une déclaration du ministre des Affaires étrangères qui avait parlé d’ingérence externe dans le Darfour. Le ministre avait ensuite retiré ses propos.
« Le harcèlement de la presse soudanaise par le gouvernement met en danger les droits humains. La répression de la liberté d’expression n’aidera pas à l’établissement d’une paix durable au Soudan » a déclaré Amnesty International.

Bien que la censure ait été officiellement abolie en décembre 2001, les forces de sécurité soudanaises ont depuis cette date confisqué ou ordonné la fermeture de plusieurs publications et arrêté de nombreux journalistes.

Le 3 mai, Yusuf al Beshir Musa, trente-cinq ans, correspondant de Al Sahafa à Nyala, dans le sud du Darfour, a été arrêté par les forces de sécurité pour avoir écrit un article sur la destruction d’avions et d’hélicoptères des forces armées soudanaises sur l’aéroport d’el Fasher par l’Armée de libération du Soudan (un groupe armé d’opposition du Darfour fondé en février 2003 par des membres de groupes sédentaires, pour protester contre le manque de protection et le sous-développement de la région).

Musa, qui est amputé d’une jambe, a été détenu au secret pendant trois jours dans les bureaux des forces de sécurité de Nyala. Il aurait été battu à coups de bâton sur le corps et la plante des pieds. Le 6 mai, il a été autorisé à voir un médecin dont le diagnostic établit des marques de coups sur les fesses et le thorax. Détenu à la prison générale de Nyala, il a été inculpé pour « diffusion de fausses rumeurs contre l’État » et condamné à six mois de prison au titre de l’article 26 de la Loi de 1998 relative à l’état d’urgence. Il a été remis en liberté le 24 mai. Sa famille n’a pas été autorisée à lui rendre visite au cours de sa détention. Une plainte a été déposée auprès du procureur général du Soudan pour les actes de torture qu’il aurait subis.

« La torture et l’emprisonnement de journalistes, la suspension de parution et la confiscation de journaux qui font leur travail en effectuant des reportages sur les évènements importants et en exprimant librement leurs opinions est totalement inacceptable » a déclaré Amnesty International.

L’organisation a également appelé à la levée immédiate de toutes les restrictions et « lignes à ne pas franchir » limitant la liberté d’expression, ainsi qu’à la fin des suspensions de parution de certains journaux.

Complément d’information

Parmi les autres tentatives récentes des autorités soudanaises pour réprimer la presse, on peut citer :
Faisal al Baqir, correspondant de Reporters sans frontières au Soudan, a été arrêté et interrogé pendant deux heures par les forces de sécurité le 8 juin. Les questions portaient sur ses activités journalistiques et de défense des droits humains ainsi que sur ses opinions politiques ; c’était à son retour d’un séminaire en Grèce dont le thème était l’avenir des médias en Irak.
Nhial Bol, rédacteur en chef du Khartoum Monitor, a été détenu par la police après qu’une plainte eut été déposée par le Ministère de l’Awqaf (ministère des affaires religieuses) contre le journal le 6 mai, après la publication de trois articles considérés comme insultants pour l’islam. Selon le Khartoum Monitor, il s’agissait d’un article sur la destruction d’une église, d’un article écrit par le président du Parti chrétien démocrate intitulé « L’islam a-t-il peur du christianisme ? » appelant à la coexistence et d’un article à propos de la merissa, une bière traditionnelle ; l’article disait que l’islam autorisait la consommation de boissons de ce type. Nhial Bol a été remis en liberté le lendemain. Il s’est plaint d’avoir été forcé de rester debout face à un mur pendant cinq heures.

Le 8 mai, les forces de sécurité ont investi le Khartoum Monitor et fermé le journal. Ses avoirs ont été saisis, le journal n’ayant pas payé une amende de 15 millions de livres soudanaises (environ 6 000 euros) qui lui avait été infligée pour un article dans lequel il était écrit que l’esclavage était toujours pratiqué au Soudan. La cour pénale du Soudan de Khartoum nord qui a examiné la plainte déposée par le Ministère de l’Awqaf a déclaré le Khartoum Monitor coupable de « propagation de l’esclavage », « d’insulte à l’islam » pour avoir donné une fausse interprétation du Coran, et de « mise en danger de l’unité soudanaise » le 10 mai. La Cour a ordonné une suspension de parution de deux mois et infligé une amende de 500 000 livres soudanaises (environ 200 euros) au journal, ainsi qu’une amende d’un million de livres soudanaises (environ 400 euros) et une peine de quatre mois de prison à Nhial Bol. Nhial Bol a été emmené à la prison Dabak de Khartoum nord et mis aux travaux forcés ; il a été remis en liberté le lendemain, l’amende qu’il avait été condamné à payer ayant été versée. Le Khartoum Monitor n’a pas reparu.

Index AI : AFR 54/052/2003

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