SOUDAN : Veiller au respect des droits humains pour garantir une paix durable

Index AI : AFR 54/018/02

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International appelle le gouvernement soudanais et l’Armée populaire de libération du Soudan/ Mouvement populaire de libération du Soudan (APLS/MPLS) ainsi que tous les médiateurs et autres participants au processus de paix au Soudan à faire des droits humains un élément central de tout accord de paix.

Les deux parties au conflit armé interne soudanais ont signé un protocole d’accord le 20 juillet à Machakos, au Kenya, et doivent reprendre les négociations de paix le 12 août, sous les auspices de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et d’observateurs envoyés par les États-Unis, le Royaume-Uni, la Norvège et l’Italie.

« Le protocole de Machakos indique que les droits humains doivent être garantis par un accord de paix signé entre les deux parties à la guerre civile soudanaise. Amnesty International salue cet engagement important, qui souligne que la paix ne pourra être durablement rétablie que si elle se fonde sur le respect des droits fondamentaux de tous les Soudanais », a déclaré l’organisation.

Tout futur accord de paix devra notamment garantir pleinement le respect et la protection des droits suivants :

– le droit à la vie : les forces du gouvernement et celles de l’opposition armée se sont respectivement rendues coupables d’exécutions extrajudiciaires et d’homicides illégaux qui ont coûté la vie à des milliers de civils au cours du conflit. Les autorités ont procédé délibérément à des opérations aveugles de bombardements aériens contre la population civile dans de nombreuses régions du sud du pays et dans les monts Nouba, faisant des centaines de morts et un nombre encore plus grand de blessés. Tant le gouvernement que l’opposition armée doivent interdire les homicides illégaux et les attaques délibérées, disproportionnées ou menées sans discrimination contre les civils, et respecter en toutes circonstances le droit international humanitaire et relatif aux droits humains.

– le droit à la liberté et à la sûreté de sa personne : des sources humanitaires estiment que le conflit armé a déplacé plus de 4,5 millions de personnes depuis 1983. La principale cause de déplacement interne des civils au Soudan réside dans les attaques directes ou les menaces d’offensives des groupes armés. Des milliers de femmes et d’enfants ont été enlevés par les forces alliées au gouvernement mais aussi par des groupes armés d’opposition. Les deux parties au protocole d’accord doivent s’engager à protéger la vie, la dignité et la sécurité de tous les Soudanais. Les droits des civils de bénéficier d’une protection contre les déplacements délibérés et arbitraires, d’obtenir une assistance au cours des déplacements et de rentrer chez eux en toute sécurité doivent être respectés. Le sort des personnes déplacées sur le territoire soudanais ne pourra être amélioré que si les parties belligérantes s’engagent expressément à respecter le droit international, et à accorder aux organisations humanitaires et aux observateurs chargés de surveiller la situation des droits humains une totale liberté de mouvement au Soudan.

– le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment à la peine de mort : les forces armées de toutes les parties se rendent coupables d’atrocités contre la population civile, notamment de mutilations ainsi que de viols et d’autres violences sexuelles, essentiellement contre des femmes. Dans les régions du pays situées en dehors des zones de conflit, les forces de sécurité soudanaises torturent également des opposants politiques, des militants des droits humains et des personnes soupçonnées de désaccord avec les autorités centrales. Le Code pénal soudanais prévoit des châtiments cruels, inhumains et dégradants, notamment des peines de flagellation et d’amputation ainsi que la peine de mort par pendaison ou par crucifiement. Les autorités doivent mettre fin aux actes de torture et aux brutalités auxquels se livrent l’armée et les autres forces de sécurité ; toute allégation de torture, notamment de viol, doit faire l’objet d’une enquête indépendante et exhaustive, et les responsables présumés doivent être traduits en justice équitablement. Les châtiments cruels, inhumains et dégradants, au premier rang desquels la peine capitale, doivent être abolis.

– le droit de ne pas être arbitrairement arrêté et détenu et le droit à un procès équitable : la pratique de la torture est favorisée dans les lieux de détention soudanais par le fait que des personnes sont détenues au secret, donc privées de tout contact avec des avocats et leurs proches. Nombre d’individus sont maintenus en détention durant des mois sans inculpation ni jugement. D’autres se voient demander de se présenter quotidiennement aux services de sécurité, mesure qui vise manifestement à réprimer leur opposition au gouvernement. Dans bien des cas, les procédures judiciaires sont sommaires et arbitraires, l’accusé étant souvent privé d’une assistance judiciaire appropriée et du droit d’interjeter appel. Les autorités doivent mettre un terme à la pratique de la détention au secret, et toute personne privée de sa liberté doit pouvoir entrer rapidement en contact avec des avocats et ses proches ; tous les prisonniers politiques détenus sans inculpation ni jugement doivent être jugés équitablement ou relâchés sans délai ; le droit à un procès équitable, tel qu’il est prévu par les normes internationales relatives aux droits humains, doit être garanti sur tout le territoire soudanais.

– le droit aux libertés d’expression, d’association et de réunion : ceux qui critiquent les autorité sont harcelés, arrêtés et emprisonnés, souvent sans inculpation ni jugement. La presse écrite est soumise à la censure du gouvernement. La police a tiré à balles réelles sur des personnes qui manifestaient contre la politique du régime, souvent en violation des normes internationales relatives au recours à la force. Les partis politiques en désaccord avec la ligne du gouvernement sont interdits. Le MPLS harcèle et appréhende également ses opposants dans les zones placées sous son contrôle, et mène une politique de répression à l’égard de la société civile. Le droit d’exprimer pacifiquement des idées et des opinions, y compris sur des questions touchant à la guerre et à la paix, qui ne constituent pas une forme d’incitation à la violence doit être garanti, et toute personne détenue au seul motif de l’expression de ses convictions doit être libérée immédiatement et sans condition.

– le droit de ne pas être victime de discrimination en raison de son origine ethnique, de sa religion ou de son sexe : tant le gouvernement que l’APLS ont exploité les sentiments d’appartenance ethniques et religieux afin de rassembler les forces armées dont ils avaient besoin, accentuant les tensions entre les différentes communautés ethniques et religieuses du Soudan. Les personnes déplacées venues de tout le pays qui résident dans le nord du Soudan sont quotidiennement en butte aux pratiques discriminatoires des forces de sécurité. Les femmes sont tout particulièrement affectées par des lois et des pratiques discriminatoires qui restreignent leur droits, dans toutes les régions du Soudan. Or, chacun doit pouvoir jouir des droits et libertés reconnus à la personne humaine sans distinction ou discrimination fondées sur l’origine ethnique, la religion, le sexe ou sur toute autre situation. Les lois discriminatoires à l’égard des femmes doivent être abolies. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes doit être signée et ratifiée par l’État soudanais, et appliquée dans toutes les régions du pays.

Amnesty International estime par ailleurs que pour garantir le respect et la protection des droits fondamentaux des Soudanais, tout accord de paix devra également prévoir un mécanisme indépendant et impartial permettant d’enquêter sur toutes les allégations d’atteintes aux droits humains commises par les parties au conflit, et de mettre fin à la culture d’impunité qui prévaut au Soudan. Le principe d’une surveillance indépendante et impartiale, tel qu’il a été mis en avant par les États-Unis et accepté par les deux belligérants afin de faire la lumière sur les attaques menées contre des civils et des biens à caractère civil, doit être appliqué pour toutes les allégations d’atteintes graves aux droits humains. Justice doit être faite et les auteurs présumés de tels agissement doivent être contraints à rendre des comptes.

Complément d’information
Le protocole de Machakos résulte de la reprise du dialogue entre le gouvernement soudanais et l’APLS/MPLS le 18 juin 2002, dans le cadre des efforts déployés depuis des années par l’IGAD en faveur du rétablissement de la paix au Soudan. Les pourparlers de paix menés sous l’égide de cette organisation intergouvernementale (OIG) étaient enlisés depuis des années. Néanmoins, depuis que John Danforth a été nommé par les États-Unis envoyé spécial pour la paix au Soudan en septembre 2001, des pressions internationales sont exercées sur les deux parties au conflit soudanais en vue de les amener à s’engager réellement dans un processus de paix. Avant la reprise des négociations de paix, la médiation de l’envoyé spécial américain avait permis la conclusion de quatre accords entre le gouvernement soudanais et l’APLS/MPLS, qui ne sont pas encore tous pleinement appliqués : un cessez-le-feu à caractère humanitaire placé sous surveillance internationale dans les monts Nouba ; un accord destiné à mettre un terme aux attaques contre les civils, dont le respect devra faire l’objet d’un contrôle international ; un accord aux termes duquel une commission composée de spécialistes extérieurs devra enquêter sur la pratique de l’esclavage ; et un accord prévoyant des jours de trêve dans les zones de conflits à des fins médicales.

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