Sri Lanka. Amnesty International appelle le Conseil des droits humains des Nations unies à se prononcer sur les atteintes aux droits humains

Déclaration publique

ASA 37/019/2007

Amnesty International demande instamment au Conseil des droits humains des Nations unies d’appeler le gouvernement du Sri Lanka à réagir face au non-respect des droits humains observé dans le cadre du conflit armé en cours opposant les forces gouvernementales aux Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE, Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul) et à d’autres groupes armés. De graves atteintes aux droits humains et des violations du droit international humanitaire par toutes les parties au conflit marquent les hostilités qui n’ont fait qu’escalader depuis avril 2006.

Exécutions extrajudiciaires, enlèvements et disparitions forcées de civils sont devenus des faits quotidiens au Sri Lanka. Plusieurs centaines de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires ont été enregistrées au cours du premier semestre 2006. Amnesty International s’inquiète également du nombre grandissant de journalistes tués par des hommes armés non identifiés et des restrictions de plus en plus fortes à la liberté d’expression. L’organisation a appelé ce mardi 4 septembre les membres du Conseil des droits humains à saisir toutes les chances qui pourraient se présenter lors de la 6ème session pour tenter d’enrayer la dégradation rapide de la situation dans le pays.

Absence de protection des civils

Il y a un besoin urgent et continu de protection effective et durable des civils. Au moins 4 000 personnes auraient perdu la vie dans le conflit depuis fin 2005 ; neuf civils, parmi lesquels deux enfants auraient été tués le week-end dernier à Mannar, où l’on a signalé plus de 4 000 personnes déplacées au cours de ces derniers jours. Amnesty International craint que des civils n’aient pas seulement été « touchés lors d’échanges de tirs », mais qu’ils aient été délibérément pris pour cibles par les forces de sécurité, les LTTE et d’autres groupes armés.

Amnesty International est particulièrement préoccupée par l’absence de protection des civils dans le nord et l’est du pays. Le nombre d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées signalées a augmenté sans que soient identifiés et poursuivis en justice les responsables présumés de ces atteintes aux droits humains. La Commission nationale des droits humains à Jaffna a compté 21 disparitions forcées et 13 exécutions extrajudiciaires au cours des trois premières semaines d’août 2007. Au moins 290 000 civils ont été déplacés en raison des opérations militaires en cours des deux parties. La majorité de ces personnes déplacées sont des femmes et des enfants. L’aide humanitaire aux civils a sérieusement diminué, plus de 30 travailleurs humanitaires ont été tués depuis 2006. Le gouvernement a condamné les actes de violence perpétrés à l’encontre du personnel humanitaire mais il n’y a pas eu d’enquêtes effectives et impartiales ni de poursuites en justice. Amnesty International demande instamment aux autorités de faire en sorte qu’une assistance adéquate puisse être fournie aux populations civiles des provinces du nord et de l’est du pays et de coopérer pleinement avec les agences humanitaires.

De nombreuses personnes déplacées à l’intérieur du pays continuent de vivre dans la crainte, entretenue en partie par l’implication continue des LTTE dans de très nombreuses violations des droits humains, exécutions extrajudiciaires et enlèvements notamment. Outre la peur des représailles de la part des LTTE, de nombreuses personnes déplacées internes disent hésiter à retourner chez elles en raison de la menace d’enrôlement forcé au sein des LTTE qui plane sur les adultes et les enfants. Amnesty International a, de façon répétée, fait part de ses préoccupations à cet égard aux LTTE, leur demandant instamment de respecter leur promesse de libérer tous les enfants soldats.

La faction Karuna, qui a fait scission avec les LTTE, continue de recruter des enfants dans les zones contrôlées par le gouvernement, notamment dans le district de Batticaloa. Amnesty International a signalé en avril 2007 que des agences humanitaires dans l’est du pays avaient également fait état d’actes de chantage et de menaces dus à la faction Karuna. Philip Alston, rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a déclaré en 2006 que le gouvernement devait réaffirmer publiquement sa décision de renoncer à toute forme de collaboration avec la faction Karuna.

Attaques contre des journalistes

Le nombre d’agressions contre des journalistes, particulièrement contre ceux considérés comme travaillant pour les médias tamouls, a augmenté. Dix personnes travaillant pour les médias ont été tuées depuis début 2006 et un journaliste, victime de disparition forcée, est présumé mort. Le manque de détermination des autorités à mener des enquêtes effectives et à juger les auteurs présumés de ces exécutions illégales est préoccupant.

Un certain nombre de facteurs font craindre que des membres des forces de sécurité ne soient à nouveau impliqués dans les exécutions extrajudiciaires de journalistes et d’autres personnes. L’exemple de Sahathevan Deluxshan, vingt-deux ans, étudiant en journalisme au centre de recherche et de formation de l’université de Jaffna, abattu par deux hommes armés non identifiés le 2 août 2007 dans la ville de Jaffna, illustre ces craintes. Jaffna est une zone de haute sécurité, sous le contrôle de l’armée sri-lankaise et un certain nombre de points de contrôle y sont installés pour surveiller les mouvements des groupes armés. Que l’agression se soit produite pendant les heures de couvre-feu est un motif supplémentaire d’inquiétude, car cela indique que des militaires pourraient être impliqués ou avoir agi en tant que complices.

Restrictions à la liberté d’expression : Règlements d’exception

Depuis de nombreuses années, Amnesty International fait part de son inquiétude concernant certaines dispositions des règlements d’exception (RE) qui menacent d’imposer des restrictions injustifiées et disproportionnées à la liberté d’expression. Amnesty International continue de s’inquiéter des restrictions imposées aux droits civils et politiques au titre des règlements d’exception, rendus encore plus restrictifs en 2006, après leur ré-introduction en août 2005. Le nouvel ensemble de règlements autorise le gouvernement à déployer l’armée et à placer en détention sans inculpation toute personne soupçonnée d’activités terroristes. Par exemple, le règlement n°6 des règlements d’exception de 2006 rend passible du pénal non seulement le « terrorisme » et « toute activité terroriste spécifique », mais également « toute activité à des fins de terrorisme ou activités terroristes spécifiques perpétrées par une personne, un groupe ou des groupes de personnes ». Le règlement n°7 précise en outre que « nul ne doit promouvoir, encourager, soutenir, conseiller, assister, agir pour le compte de , organiser ou prendre part à des activités ou des évènements organisés par une personne, un groupe ou des groupes de personnes ou une organisation agissant en violation du règlement n°6 de ces règlements. »

De nombreuses dispositions sont formulées en termes vagues et généraux et peuvent donc être interprétées de façon à ranger un très grand nombre d’activités dans la catégorie des infractions passibles du pénal, comme le travail d’enquête et de reportage effectué par des journalistes. L’organisation est également préoccupée par l’application discriminatoire qui serait faite de ces règlements vis-à-vis des Tamouls.

Combat contre l’impunité : nécessité de mener des enquêtes effectives

En plus de l’augmentation du nombre des atteintes aux droits humains perpétrées dans le cadre du conflit, Amnesty International s’inquiète du climat persistant d’impunité dont font état les militants des droits humains et autres acteurs de la société civile au Sri Lanka. Le besoin de surveillance systématique sur le terrain et d’enquêtes impartiales et effectives reste pressant ; il est rendu d’autant plus nécessaire que seule une toute petite proportion de ces atteintes aux droits humains ont donné lieu à des poursuites et ont abouti à la condamnation de leurs auteurs.
En réaction aux critiques de la communauté internationale concernant la crise des droits humains au Sri Lanka, le gouvernement a mis en place une commission d’enquête et un Groupe international indépendant d’experts éminents (GIIEE) en septembre 2006. Amnesty International salue toutes les mesures prises pour lutter contre l’impunité, mais s’inquiète de constater que le mandat de la commission d’enquête et du GIIEE ne porte que sur seize affaires de violations des droits humains (avec la possibilité d’ajouter de nouveaux dossiers) et que l’ensemble des atteintes aux droits humains, particulièrement les affaires les plus récentes, ne pourra être traité. Le fait que le GIIEE ne fasse que donner un avis à la commission d’enquête et que la commission d’enquête n’ait à présenter de rapport qu’au seul président du Sri Lanka, n’étant pas officiellement intégrée au système judiciaire, est préoccupant. L’absence continue de programme effectif de protection des témoins met un obstacle sérieux au travail de la commission d’enquête et aux autres organes d’enquêtes, comme l’a souligné le GIIEE lui-même en juin 2007.

Amnesty International considère que d’autres mécanismes nationaux d’enquêtes et de surveillance, comme la Commission nationale sri-lankaise des droits humains, ne disposent pas de ressources suffisantes et n’ont pas la capacité de traiter des atteintes aux droits humains à l’échelle où elles sont commises actuellement. La commission d’enquête ne peut pas non plus remplir ce rôle, étant donné son champ d’action rétrospectif et limité à un nombre donné d’affaires.

Amnesty International réclame la présence d’observateurs internationaux chargés de veiller au respect des droits humains pour soutenir les organes nationaux chargés de la protection des droits humains et augmenter leur capacité d’action. Amnesty International est convaincue que des observateurs étrangers veillant activement au respect des droits humains internationaux et du droit international humanitaire par toutes les parties pourraient avoir un effet dissuasif efficace et contribueraient à une identification claire des auteurs présumés des violences. Ces observateurs devraient enquêter de façon indépendante, rendre publiques leurs conclusions et pouvoir communiquer sur le degré (ou le manque) de coopération des parties au conflit. La visite à Sri Lanka, en octobre, du Haut-commissaire aux droits de l’homme pourrait être un pas important pour aider le gouvernement sri-lankais à élaborer des programmes de protection des droits humains et devrait conduire à des mesures spécifiques de protection de la population civile.

Amnesty International demande instamment au Conseil des droits humains d’appeler le gouvernement sri-lankais à :
  inviter des observateurs internationaux indépendants chargés de veiller au respect des droits humains à venir enquêter de manière indépendante sur les violations des droits humains et du droit international humanitaire, à faciliter leur travail et à prendre en compte leurs recommandations ;
  abroger les règlements d’exception actuellement en vigueur ou les rendre conformes aux normes internationalement reconnues de respect des droits humains, notamment en ce qui concerne le droit à la vie, celui de ne pas être arbitrairement arrêté, de vivre libre de toute discrimination, disparition forcée, torture ou autres traitements ou châtiments cruels, inhumains et dégradants ;
  d’adopter et de mettre en œuvre de toute urgence des lois conformes aux normes du droit international pour protéger les victimes et les témoins de crimes, violations des droits humains et du droit international humanitaire ;
  mener dans les meilleurs délais des enquêtes indépendantes et impartiales sur toutes les affaires d’homicides, disparitions forcées, torture, mauvais traitements et autres violations du droit international, de façon à établir les faits et à les rendre publics, en veillant à ce que les auteurs de ces crimes soient jugés et à ce que des réparations sont accordées aux victimes et aux survivants ;
  ratifier la Convention des Nations unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ;
  inviter le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires à se rendre dans le pays et mettre en application sans délai ses recommandations précédentes ;
  rendre publiques les conclusions de toutes les commissions nationales chargées d’enquêter sur les atteintes aux droits humains ;
  demander instamment au gouvernement sri-lankais d’appliquer sans délai les recommandations des organes de suivi des traités relatifs aux droits humains et des procédures spéciales.

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