Sri Lanka : Il faut un calendrier de mise en œuvre définitif de la résolution 30/1

La résolution 30/1 du Conseil des droits de l’homme visant à « favoriser la réconciliation et l’établissement des responsabilités et promouvoir les droits de l’homme à Sri Lanka », adoptée le 1er octobre 2015, définit des engagements concrets destinés à garantir la vérité, la justice et les réparations pour les violations des droits humains commises dans le pays et à faire en sorte que ces violations ne se reproduisent pas.

La résolution 34/1 du Conseil des droits de l’homme, adoptée en mars 2017, demande en outre au Sri Lanka de « mettre pleinement en œuvre les mesures énoncées par le Conseil dans sa résolution 30/1 qui ne sont pas encore appliquées ». Dans la présente déclaration écrite, Amnesty International évalue les progrès du Sri Lanka concernant le respect de ses obligations en matière de droits humains et la mise en œuvre de la résolution 30/1, notamment par les engagements qu’il a pris lors de l’Examen périodique universel (EPU) en novembre 2017.

Le Sri Lanka a pris plusieurs mesures importantes depuis l’adoption de la résolution 30/1. Il a notamment ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées en juin 2016 et instauré un groupe de travail consultatif sur la réconciliation, dont il a résulté des consultations publiques et dont le rapport a été rendu public. Il a par ailleurs adopté en juin 2017 une version modifiée de la Loi sur le Bureau des personnes disparues.

Cependant, deux ans et demi après l’adoption de la résolution 30/1, Amnesty International est déçue par le manque d’avancées, et même dans certains cas par les retours en arrière, sur les engagements pris dans la résolution 30/1 au sujet des disparitions forcées ; de la vérité, de la justice et des réparations ; de la protection des minorités ethniques et religieuses et des défenseurs des droits humains ; et de l’abrogation de la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA).

Amnesty International se félicite que le Sri Lanka ait réaffirmé certains des engagements définis dans la résolution 30/1 pendant l’EPU, notamment ceux de rendre opérationnel le Bureau des personnes disparues ; de mettre en place une commission vérité, un bureau des réparations et un mécanisme judiciaire sous l’égide d’un conseiller spécial ; de réviser la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA) pour la mettre en conformité avec le droit international ; et d’ériger en infraction la disparition forcée.

L’organisation est cependant profondément préoccupée par le fait que le Sri Lanka n’ait pas publié de calendrier de mise en œuvre de la résolution 30/1, et ait rejeté six recommandations de l’EPU lui demandant de le faire. La mise en œuvre d’un plan d’action circonscrit dans le temps est essentielle pour les victimes et leurs familles dans leur quête de vérité, de justice et d’obligation de rendre des comptes. Son absence envoie un message très décourageant aux victimes, ainsi qu’à la communauté internationale, sur l’engagement du Sri Lanka à mettre pleinement en œuvre la résolution 30/1.

DISPARITIONS FORCÉES

Bien que le Sri Lanka ait ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, il doit encore respecter son engagement de reconnaître les disparitions forcées comme un crime. Or, un débat parlementaire sur un projet de loi érigeant la disparition forcée en infraction, prévu pour juillet 2017, a été différé sans explication. Durant l’EPU, le Sri Lanka s’est engagé à punir ce crime dans sa législation nationale et à veiller à ce que toutes les allégations de disparitions forcées fassent l’objet d’une enquête impartiale et efficace par un organe indépendant.

Le Parlement a adopté en 2016 une loi établissant un Bureau des personnes disparues ; ce bureau n’est cependant pas encore fonctionnel. Cette loi autorise – mais n’oblige pas – le Bureau des personnes disparues à transmettre les informations relatives à la responsabilité pénale des individus aux autorités compétentes pour qu’elles mènent des enquêtes pénales plus poussées. Amnesty International juge essentiel que le Bureau des personnes disparues transmette ces informations de manière systématique, ou qu’il les conserve jusqu’à ce qu’un mécanisme judiciaire indépendant et efficace soit mis en place. Pendant l’EPU, le Sri Lanka s’est engagé à allouer des fonds suffisants au Bureau des personnes disparues et à désigner des commissaires indépendants et qualifiés. Cependant, malgré l’allocation d’un budget et la publication d’appels à candidatures pour ses membres, le Bureau des personnes disparues n’est toujours pas constitué et n’a pas commencé à travailler.

RETARDS ET ABSENCE DE PROGRÈS DANS DES AFFAIRES EMBLÉMATIQUES

Pas moins de 100 000 familles réclament la vérité sur le sort de leurs proches. Amnesty International estime que, depuis 1980, les dossiers de 60 000 à 100 000 affaires de disparitions forcées se sont accumulés au Sri Lanka. Ces dossiers concernent notamment, mais pas uniquement, des jeunes Cingalais soupçonnés d’avoir des liens avec la gauche, des Tamouls soupçonnés d’avoir des liens avec les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE), des journalistes et des défenseurs des droits humains.

• Douze policiers ont été arrêtés en juillet 2013 dans le cadre de l’affaire des « cinq de Trinco », cinq étudiants qui avaient été tués par les forces de sécurité à Trincomalee en janvier 2006. Toutefois, ces policiers ont été libérés sous caution en octobre de la même année. Cinq ans plus tard, aucune enquête exhaustive, efficace et indépendante ne semble avoir été menée sur ces homicides. Au début du mois de janvier 2018, le ministre de la Sécurité publique, Sagala Ratnayaka, a indiqué que des réformes autorisant les témoins qui se trouvent à l’étranger à témoigner par Skype aideraient à faire avancer cette affaire. Amnesty International craint cependant que cette seule mesure ne suffise pas à combler les failles de l’enquête ni à convaincre les témoins qu’ils peuvent participer à la procédure judiciaire en toute sécurité.
• Prageeth Ekneligoda, caricaturiste politique, a été soumis à une disparition forcée le 24 janvier 2010. En août 2015, la police a arrêté plusieurs suspects en lien avec cette disparition, mais ceux-ci ont été libérés sous caution dans les mois qui ont suivi, et les procédures judiciaires à leur encontre sont toujours en cours.

Des familles de disparus manifestent depuis plus de 12 mois à Vavuniya, Maruthankerny, Mullaitivu, Killinochchi et Trincomalee pour demander au gouvernement de leur fournir des informations. Plusieurs manifestants ont pu rencontrer le Président le 12 juin 2017. Toutefois, les promesses faites lors de cette rencontre (notamment celle de publier une « liste des personnes qui se sont rendues aux forces armées durant la dernière phase de la guerre ») n’ont toujours pas été tenues.

OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES, VÉRITÉ, JUSTICE ET RÉPARATIONS

Le Sri Lanka s’est engagé dans la résolution 30/1 à mettre en place « un mécanisme judiciaire doté d’un magistrat spécialement chargé d’enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme et d’atteintes à ces droits et de violations du droit international humanitaire  ». Au cours de l’EPU, le Sri Lanka s’est à nouveau engagé à mettre en place ce mécanisme, sous l’égide d’un conseiller spécial. Cependant, aucun progrès ne semble avoir été fait en ce sens.

RÉVISION ET ABROGATION DE LA LOI RELATIVE À LA PRÉVENTION DU TERRORISME (PTA)

La résolution 30/1 a salué l’engagement du gouvernement sri-lankais d’abroger la PTA et « de la remplacer par une législation antiterroriste, conforme aux meilleures pratiques internationales contemporaines ». Par ailleurs, durant l’EPU, le Sri Lanka s’est engagé à réviser la PTA pour la mettre en conformité avec les normes internationales.

Or, plus de deux ans après l’adoption de la résolution 30/1, la PTA est toujours appliquée. Ces dernières décennies, des dizaines de milliers de personnes ont été détenues en vertu de cette loi, pour beaucoup d’entre elles sans inculpation et durant de longues périodes. Nombreuses sont celles qui ont également été victimes de torture en détention. Lors d’une visite récente au Sri Lanka, le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a communiqué les statistiques officielles concernant les personnes actuellement inculpées au titre de la PTA. Selon ces chiffres, sur 81 personnes qui se trouvent dans la phase judiciaire de leur détention provisoire, 70 sont détenues sans jugement depuis plus de cinq ans, et 12 depuis plus de 10 ans. Le rapporteur spécial a conclu que le recours à la torture contre les personnes arrêtées et détenues au nom de la sécurité nationale avait été et était toujours endémique et systématique.

Durant l’EPU, le Sri Lanka s’est de nouveau engagé à réviser la PTA pour la mettre en conformité avec les normes internationales.

RECOMMANDATIONS

Amnesty International appelle le Conseil des droits de l’homme à :
• demander à nouveau au gouvernement sri-lankais de rendre public un calendrier clair pour la mise en œuvre intégrale de la résolution 30/1 ;
• s’engager à nouveau à surveiller et à encourager l’application des engagements pris par le Sri Lanka dans la résolution 30/1, jusqu’à ce que ces dispositions soient intégralement mises en œuvre.

Amnesty International appelle le gouvernement sri-lankais à :
• fournir au Conseil des droits de l’homme un calendrier de mise en œuvre des engagements pris au titre de la résolution 30/1 et donner plein effet à ses obligations en matière de droits humains, notamment celles définies dans cette résolution ;
• nommer immédiatement les membres du Bureau des personnes disparues et fournir tout le soutien opérationnel, financier et technique nécessaire au fonctionnement rapide et indépendant de cette institution ;
• promulguer une loi érigeant la disparition forcée en infraction et mettre en œuvre la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ;
• publier immédiatement une liste complète des détenus et des personnes qui se sont rendues ;
• réviser et abroger la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA) et la remplacer par une législation antiterroriste conforme aux normes internationales en matière de droits humains.

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