Suisse. L’« initiative sur le renvoi » ne doit pas primer sur les obligations internationales en matière de droits humains

Déclaration publique

Index AI : EUR 43/002/2010

ÉFAI

28 novembre 2010

Amnesty International est vivement préoccupée par le référendum qui a eu lieu dimanche 28 novembre en Suisse et qui porte sur la modification de la Constitution suisse afin de permettre l’expulsion « automatique » et immédiate vers leurs pays d’origine des non-ressortissants déclarés coupables de certaines infractions pénales.

Selon de nombreux médias, l’initiative populaire baptisée « Initiative sur le renvoi » (die Ausschafungsinitiative) , a remporté dimanche 28 novembre 52,9 % de votes favorables.

Cette initiative populaire a eu lieu à la suite d’une campagne lancée par l’Union démocratique du centre (UDC), parti populiste qui a utilisé des matériels publicitaires ouvertement discriminatoires et xénophobes, notamment une affiche arborant le slogan « Ivan S., violeur et bientôt Suisse ? » et une autre affiche représentant le dessin d’un mouton noir éjecté de Suisse par des moutons blancs. Ces dernières années, les Suisses se sont prononcés dans le cadre d’un certain nombre de référendums initiés par l’UDC et ses partisans sur des sujets populistes liés à l’immigration et à la sécurité.

Si elle est mise en pratique, cette modification de la Constitution bafouerait les obligations qui incombent à la Suisse au titre du droit international, notamment l’obligation de ne pas renvoyer quelqu’un dans un pays où il risquerait d’être soumis à la torture ou à d’autres formes de persécution.

Ce risque est bien spécifique, car les nouvelles dispositions relatives au renvoi automatique s’appliqueraient aux demandeurs d’asile et aux réfugiés statutaires, les privant de tout recours utile. En outre, ces dispositions bafouent le droit à une vie de famille et le droit au respect de la vie privée des demandeurs d’asile, des réfugiés et des migrants.

L’initiative sur le renvoi suppose de modifier la Constitution suisse de telle sorte que les ressortissants étrangers déclarés coupables de certaines infractions pénales précises puissent se voir immédiatement retirer leur permis de séjour et être privés du droit de résider en Suisse. Parmi ces infractions figurent notamment le meurtre, le viol et d’autres infractions graves à caractère sexuel, les crimes violents tels que le vol qualifié et le vol à main armée, la traite des personnes, le trafic de stupéfiants et le vol avec effraction, ainsi que la fraude aux prestations sociales. Aux termes de la modification proposée, les législateurs ont toute latitude pour déterminer ce qui constitue l’une des infractions pénales mentionnées.

Si la Constitution est modifiée dans le droit fil du référendum, les non-ressortissants qui perdent leur droit de vivre en Suisse seront expulsés par l’autorité cantonale compétente et feront l’objet d’un arrêté leur interdisant le territoire suisse pendant une période allant de cinq à 15 ans.

Pour les récidivistes, cette période pourra être fixée à 20 ans. Toute personne visée par une mesure d’interdiction du territoire suisse est passible de poursuites si elle entre dans le pays pendant la période fixée.

La Suisse est tenue de veiller à ce que nul ne soit renvoyé vers un pays où
il courrait un risque réel d’être torturé ou soumis à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou à toute autre violation grave de ses droits humains. En outre, elle se doit de respecter le droit au respect de la vie privée et familiale, comme l’exige l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’interdiction du refoulement est clairement inscrite dans les conventions
régionales et internationales relatives aux droits humains auxquelles la Suisse est partie : la Convention contre la torture, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et son Protocole de 1967, la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention relative aux droits de l’enfant. La Cour européenne des droits de l’homme a statué à maintes reprises sur des affaires mettant en jeu l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et a soutenu clairement et sans ambiguïté le principe de non-refoulement.

Ce principe englobe l’obligation pour un État de ne pas extrader, expulser, ni éloigner une personne de son territoire de quelque manière que ce soit, lorsqu’il existe de bonnes raisons de croire que cette personne court un risque réel de subir un préjudice irréparable, soit dans le pays dans lequel elle doit être renvoyée, soit dans un pays tiers vers lequel elle risque d’être ensuite transférée. Ce principe s’applique à toutes les personnes relevant de la compétence d’un État partie, y compris aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Il n’est pas susceptible de dérogation et s’applique en toutes circonstances. L’interdiction de la torture est absolue.

Nombre d’immigrés de deuxième et troisième génération, dont les parents n’étaient pas citoyens suisses au moment de leur naissance, conservent la nationalité du pays d’origine de leur famille et n’ont pas été naturalisés Suisses. Si l’initiative sur le renvoi conduit à modifier la Constitution, la disposition relative à l’expulsion automatique est susceptible d’induire le renvoi forcé d’un immigré de deuxième ou troisième génération dans le pays d’origine de sa famille, où il n’aura peut-être plus ou n’aura jamais eu d’attaches sociales ni familiales.

Par ailleurs, la modification qu’induit le référendum supprime toute possibilité de faire appel de l’arrêté d’expulsion, qui émanerait du Bureau de l’immigration du canton suisse où réside la personne concernée.

Supprimer le droit d’interjeter appel, que ce soit au niveau cantonal ou fédéral, revient à fouler aux pieds le droit à un recours effectif inscrit dans plusieurs instruments internationaux auxquels la Suisse est partie.
Amnesty International exhorte le gouvernement suisse à s’acquitter des obligations qui lui incombent au titre des conventions internationales relatives aux droits humains et à s’abstenir d’expulser des non-ressortissants au détriment du principe de non-refoulement. La Suisse doit également accorder aux personnes soumises à une mesure d’expulsion la possibilité de faire appel, dans le plein respect des garanties procédurales.

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