Communiqué de presse

Suriname. Trente ans plus tard, les proches de victimes du président Bouterse continuent à demander justice

Le président Bouterse ne doit pas être autorisé à fuir ses responsabilités pour la torture et la mort de 15 personnes au Suriname en décembre 1982, a déclaré Amnesty International jeudi 6 décembre, à deux jours du 30e anniversaire de ces homicides.

En avril 2012, une modification apportée par l’Assemblée nationale du Suriname à une loi d’amnistie a quasiment éteint l’action judiciaire à l’encontre du président Desiré Delano Bouterse, qui était à la tête d’un régime militaire entre 1980 et 1987.

En mai, le tribunal militaire chargé de juger l’affaire a ajourné le procès afin que la constitutionnalité de la nouvelle loi soit contrôlée par le parquet général.

Des experts juridiques ont avancé que seul un tribunal constitutionnel est habilité à mener cette évaluation. Cependant, le tribunal constitutionnel dont la création est prévue par la Constitution surinamaise de 1987 n’a en fait jamais été établi. Selon certaines informations récemment relayées par les médias, les débats doivent reprendre le 12 décembre devant le tribunal militaire.

« Le déni persistant de justice qui frappe les proches des victimes du président Bouterse, ainsi que l’existence d’une loi d’amnistie sous-tendant celui-ci sont tout simplement honteux », a déploré Javier Zúñiga, conseiller spécial à Amnesty International.

« Le fait que personne n’ait rendu de comptes au cours des 30 années écoulées depuis ces terribles crimes montre que le Suriname n’est absolument pas au niveau de ses voisins d’Amérique latine, qui ont fait des progrès constants afin de rendre justice aux victimes de leur sombre passé. »

Les meurtres

Tôt le matin du 8 décembre 1982, 16 hommes ont été arrêtés chez eux à Paramaribo puis emmenés à Fort Zeelandia, un ancien fort néerlandais servant alors de quartier général à Dési Bouterse.

Parmi ces hommes figuraient des journalistes, des avocats, des professeurs d’université, des hommes d’affaires, des militaires et des dirigeants syndicaux.

Lors de ces arrestations, la violence a parfois été employée et les logements de certains de ces hommes ont été vandalisés.

D’après des témoins, les détenus ont à peine eu le temps de s’habiller et leurs familles ont été empêchées de sortir pendant plusieurs heures, un ou plusieurs soldats étant postés devant leur domicile.

Le matin du 9 décembre, des corps ont été amenés à la morgue de l’hôpital local. Dès que la nouvelle s’est répandue, des centaines de personnes se sont rassemblées sur place ; l’atmosphère était tendue. Des soldats ont tiré en l’air.

Le gouvernement a diffusé une déclaration à la télévision, affirmant que les 15 hommes avaient été abattus parce qu’ils avaient essayé de s’échapper. Le seul survivant de ce massacre, le dirigeant syndical Fred Derby, a été autorisé à quitter le fort après avoir été interrogé par Dési Bouterse.

Les Pays-Bas ont fermement condamné ces meurtres et ont immédiatement suspendu toutes les aides financières dont bénéficiait le Suriname. Ils ont annoncé que la question serait soumise à la Commission des droits de l’homme des Nations unies. Le Comité des juristes néerlandais pour les droits humains a ouvert une enquête et rendu un rapport en février 1983.

Dans ce document, le Comité a indiqué que les corps des victimes portaient tous des marques de torture et des lésions causées par des balles, en particulier à la tête, au visage, à la poitrine et à l’abdomen. Des dents avaient été enfoncées par des coups, des os avaient été brisés et des langues arrachées.

Le procès du 8 décembre

Les homicides de Fort Zeelandia n’ont jamais donné lieu à une véritable enquête mais en novembre 2007, un procès s’est ouvert contre le président et 24 autres suspects, dont plusieurs ministres.

À l’époque, Dési Bouterse avait déclaré que le procès était « politique » et refusé d’assister aux audiences. Il a présenté ses excuses pour les meurtres et affirmé qu’il ne se trouvait pas au fort lorsque ceux-ci ont été commis.

Le procès est actuellement ajourné, le temps que le parquet général détermine si la loi d’amnistie adoptée récemment est contraire à la Constitution. Une annonce a récemment été faite concernant la reprise des débats devant le tribunal militaire le 12 décembre.

La loi de 1992 a été modifiée afin de prolonger la durée de l’amnistie en vigueur pour les infractions pénales en relation avec la défense de l’État ; celle-ci est donc passée de 1985-1989 à avril 1980-août 1992, ce qui couvre les homicides de Fort Zeelandia.

Les amnisties pour violations graves des droits humains, notamment les exécutions extrajudiciaires, ne sont pas compatibles avec le droit international et privent par ailleurs les proches de victimes de réparations.

Le président Bouterse a affirmé que la nouvelle loi d’amnistie aiderait à réconcilier le pays.

« La réconciliation n’est pas possible sans justice, vérité ni réparations. Cette loi d’amnistie n’a pas lieu d’être aujourd’hui au Suriname. Ce qu’il faut faire en urgence c’est rendre justice aux victimes et à leurs proches », a conclu Javier Zúñiga.

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