Syrie : Des bombes à sous-munitions interdites aggravent la catastrophe humanitaire dans la Ghouta orientale

· Des photos vérifiées montrent que les forces gouvernementales syriennes ont utilisé des bombes à sous-munitions de fabrication soviétique contre des zones à forte densité de population.

· Les médecins décrivent une situation humanitaire terrible – notamment une malnutrition généralisée – dans le contexte d’un siège qui se durcit.

· Des témoins racontent les attaques menées sans discrimination qui font des victimes parmi les civils, les forces syriennes commettant chaque jour des crimes de guerre.

Les forces gouvernementales syriennes utilisent de plus en plus des armes à sous-munitions interdites, de fabrication soviétique, pour procéder à des attaques sans discrimination et directes contre les civils pris au piège du siège de la Ghouta orientale tenue par les rebelles. Ces attaques ont tué au moins 10 civils et amené la crise humanitaire dans la région au point de rupture, a déclaré Amnesty International le 30 novembre 2017.

Elle a interrogé cinq personnes assiégées dans la Ghouta orientale – des militants et des professionnels de santé – qui ont décrit une situation très préoccupante, d’autant que le gouvernement a intensifié depuis le 14 novembre sa campagne de bombardement contre cette enclave tenue par les rebelles, près de la capitale Damas.

« Dans la Ghouta orientale, le gouvernement syrien commet des crimes de guerre dans des proportions épiques. Il use de sa stratégie désormais familière d’assiègement et de bombardement des civils, qui a déjà dévasté Alep, Daraya et d’autres bastions des rebelles, et contraint la population à se rendre ou à mourir de faim, a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Face à la malnutrition qui s’aggrave, les forces syriennes doivent mettre fin au siège illégal de la Ghouta orientale et permettre aux organisations humanitaires d’y accéder librement, avant qu’une situation déjà catastrophique ne fasse de nouvelles victimes civiles. »

Attaques contre les civils et les biens civils

« J’ai clairement vu tomber des parachutes attachés à des petites bombes et, 10 secondes plus tard, l’écho d’une série d’explosions. » Mustafa, bénévole de la défense civile

Les images partagées par des militants de la Ghouta orientale et vérifiées par un expert en armements d’Amnesty International montrent des fragments de bombes à sous-munitions, vestiges des attaques qui se sont déroulées au cours des 10 derniers jours, notamment le 19 novembre.

On peut voir sur ces images des projectiles à sous-munitions de fabrication soviétique, tirés depuis le sol, de 240 mm de diamètre et de calibre 3O8, contenant jusqu’à 10 sous-munitions. Selon le Landmine and Cluster Munition Monitor, qui effectue un suivi sur les mines terrestres et les munitions à fragmentation, ces armements sont apparus en Syrie après les premières frappes de missiles menées par la Russie contre les groupes hostiles au gouvernement en septembre 2015.

Ces armes sont interdites par plus de 100 pays en raison du danger extrême qu’elles représentent pour les civils, du fait de leur caractère non discriminant.

« Le gouvernement syrien fait preuve d’un mépris flagrant pour la vie des centaines de milliers d’habitants de la Ghouta orientale depuis qu’il a commencé à assiéger la région fin 2012. Toutefois, il monte encore d’un cran en intensifiant ses attaques contre des civils et des infrastructures civiles au moyen de bombes à sous-munitions interdites par le droit international, a déclaré Philip Luther.

« Environ 400 000 civils luttent pour survivre malgré les bombardements qui ont lieu chaque jour, voire chaque heure, sans accès à de la nourriture ni à des soins médicaux. »

Des militants ont déclaré à Amnesty International que le gouvernement syrien a également tiré contre des quartiers d’habitation des missiles imprécis et improvisés, tels que les « missiles éléphant », appelés ainsi en raison du bruit distinctif qu’ils font au moment de leur lancement.

Selon le Centre de documentation des violations en Syrie, organisation locale de surveillance, 97 civils ont été tués dans le cadre d’attaques terrestres et aériennes menées par les forces gouvernementales syriennes entre le 14 et le 26 novembre.

Amnesty International a interrogé deux personnes, témoins de l’une de ces attaques : al Quawtli, quartier très peuplé proche de la Grande mosquée à Douma, a été frappé par des projectiles à sous-munitions.

Mustafa, bénévole de la défense civile, qui intervient comme sauveteur à la suite des attaques militaires, a été témoin d’une attaque contre un marché très fréquenté le 19 novembre. Il a déclaré à Amnesty International :

« J’ai entendu le lancement du missile, car la base militaire gouvernementale est toute proche. Ensuite, j’ai clairement vu tomber des parachutes attachés à des petites bombes et, 10 secondes plus tard, l’écho d’une série d’explosions. Après cela, le bombardement s’est poursuivi, mais le bruit était différent.

« Je me suis rendu sur les lieux de l’attaque et j’ai vu des personnes blessées, à terre – des femmes, des enfants et des hommes. Plusieurs ont par la suite succombé à leurs blessures. »

Amnesty International a analysé quatre vidéos postées en ligne, qui montrent, selon certaines affirmations, des explosions d’armes à sous-munitions près de la Grande mosquée. Elle a vérifié que les images des parachutes utilisés pour larguer les projectiles à sous-munitions de 240 mm, de calibre 3O8, utilisés lors de l’attaque (voir ci-dessous) ont bien été prises à Douma.

Muhammad, un militant spécialisé dans les médias, a été témoin d’une attaque qui a frappé un bâtiment résidentiel. Il a évoqué ce moment :
« Les missiles ont frappé deux bâtiments situés autour d’un marché, qui est habituellement plein de boutiques et d’enfants qui jouent.

« Sur les lieux, j’ai vu la défense civile emmener le corps d’une fillette d’environ six ans. Elle s’appelle Ghina. Sa famille a survécu, elle non. Elle se trouvait dans l’un des bâtiments qui a été touché. Heureusement, l’avion n’a pas frappé le marché, sinon le bilan serait encore plus lourd. »

Intensification de la crise humanitaire

« Tous les enfants qui viennent me voir sont squelettiques, ils n’ont que la peau sur les os. » Hoda, médecin dans la Ghouta orientale.

Depuis que le gouvernement syrien s’est emparé des quartiers de Qaboun et de Barzé, qui bordent tous les deux le quartier d’Harasta dans la Ghouta orientale, en février 2017, les tunnels de contrebande qui garantissaient depuis des années à la population assiégée un afflux minimum de nourriture, d’eau et de fournitures médicales, ont été fermés.

Résultat, la situation humanitaire dans la Ghouta orientale se dégrade rapidement et les prix des denrées grimpent en flèche, tandis que les hôpitaux s’efforcent de soigner les patients malgré les stocks qui s’amenuisent. Le 3 octobre 2017, le gouvernement syrien a durci le siège et fermé le dernier point d’entrée dans Douma, le poste de contrôle d’al Wafideen.

Muhammad, un militant spécialisé dans les médias, de la Ghouta orientale, a raconté à Amnesty International que les professionnels de santé se démènent pour prodiguer des soins adaptés aux personnes souffrant de malnutrition et aux blessés, malgré la pénurie de fournitures médicales. Il a déclaré :

« Les étrangers pensent que nous exagérons, mais ce n’est pas le cas. Nous avons à peine de quoi manger. Mon épouse et moi-même avons dû diminuer de moitié notre ration alimentaire. Il est impossible de s’acheter les produits vu les prix actuels, quatre fois plus élevés qu’auparavant. »

Selon le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la sécurité alimentaire paru le 22 novembre, une miche de pain de 700 g coûtait mi-novembre 85 fois plus cher dans la Ghouta orientale qu’à Damas, situé à seulement 15 kilomètres.

Hoda, une médecin qui travaille dans l’un des hôpitaux de campagne dans la Ghouta orientale, a raconté à Amnesty International l’ampleur de la crise de malnutrition :

« Les hôpitaux dépendent désormais des convois d’aide humanitaire qui sont rarement autorisés à passer Le dernier convoi qui est entré à Kaferbatna [quartier de la Ghouta orientale], c’était il y a un mois [en octobre]. Il transportait une très faible quantité d’aide médicale. Nous avons besoin de combustible, d’anesthésiants, d’oxygène, d’antibiotiques... Nous manquons cruellement de tout cela.

« Ce sont les enfants qui souffrent le plus. Je constate de nombreux cas de malnutrition. Les enfants ont besoin de manger pour avoir de l’énergie et renforcer leur système immunitaire, mais leurs familles n’ont pas de quoi les nourrir, alors ils mangent de l’orge – dont le prix est abordable – une fois par jour. C’est tout.

« Nous n’avons pas de cas d’enfants qui meurent de malnutrition, mais tous les enfants qui viennent me voir sont squelettiques, ils n’ont que la peau sur les os. J’ai ausculté un bébé de 10 mois, qui ne pesait que 800 grammes. Tous les enfants sont en sous-poids, sans exception. »

En octobre, l’UNICEF (le Fonds des Nations unies pour l’enfance) a annoncé que 232 enfants dans la Ghouta orientale souffraient de malnutrition aigüe sévère.

« La Russie, en tant que partie à ce conflit, a la responsabilité particulière de veiller à ce que son allié, le gouvernement syrien, mette un terme à ce siège illégal et cesse de commettre des crimes de guerre. D’autres États doivent user de leur influence pour faire pression sur la Syrie afin de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire, sans entrave, jusque dans les zones civiles assiégées de la Ghouta orientale et de toute la Syrie », a déclaré Philip Luther.

COMPLÉMENT D’INFORMATION

En août 2015, Amnesty International a publié un rapport sur le siège illégal de la Ghouta orientale et les attaques contre des infrastructures civiles. En novembre 2017, elle a publié un rapport sur les déplacements massifs en Syrie, dénonçant la stratégie d’assiègement prolongé du gouvernement qui vise à déplacer de force la population locale. Elle a recensé les violations et atteintes aux droits humains commises par toutes les parties en Syrie depuis le déclenchement de la crise.

Amnesty International demande depuis des années à l’ensemble des États de cesser immédiatement d’utiliser, de produire, de transférer et de stocker des armes à sous-munitions, et de devenir parties à la Convention de 2008 sur les armes à sous-munitions.

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