En 2020, la Chine et la Russie ont opposé leur véto à des résolutions du CSONU qui auraient autorisé le maintien de l’ouverture de deux autres points de passage : Bab al Salam dans le nord-ouest et al Yarubiyah. Bab al Hawa est donc l’unique et dernier point de passage pour l’aide transfrontalière de l’ONU. Des responsables de l’aide humanitaire dans le nord-ouest de la Syrie disent que la fermeture de ce point de passage aurait des effets dévastateurs dans le nord-ouest du pays, où, chaque mois, cette aide parvient actuellement à 85 % des personnes dans le besoin.
« Parce que la Russie et la Chine ont de façon abusive fait usage de leur droit de véto l’an dernier, Bab al Hawa est actuellement la dernière bouée de sauvetage pour les civils du nord-ouest de la Syrie. Sa fermeture aurait des conséquences catastrophiques d’un point de vue humanitaire, comme cela a pu être constaté au cours de l’année écoulée avec la fermeture du point de passage d’al Yarubiyah, a déclaré Diana Semaan, chercheuse sur la Syrie à Amnesty International.
« Nous demandons au Conseil de sécurité d’autoriser de nouveau l’acheminement de l’aide humanitaire par Bab al Hawa, et de rouvrir les points de passage de Bab al Salam et d’al Yarubiyah. Il est honteux que des manœuvres politiques au Conseil de sécurité continuent d’entraver des initiatives internationales visant à faire face à l’une des pires crises humanitaires de notre époque. »
Le 22 juin, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a insinué [1] que la Russie va bloquer le renouvellement du point de passage de Bab al Hawa, affirmant qu’il était possible d’utiliser d’autres circuits d’acheminement de l’aide humanitaire et que le rôle de la Turquie n’était pas essentiel [2].
Amnesty International a mené des entretiens avec 20 travailleurs humanitaires distribuant l’aide humanitaire dans le nord de la Syrie. Les travailleurs humanitaires ont expliqué de façon détaillée à Amnesty International que la fermeture d’al Yarubiyah, le point de passage transfrontalier entre l’Irak et le nord-est de la Syrie, a conduit à de graves pénuries de produits médicaux.
« Nous demandons au Conseil de sécurité d’autoriser de nouveau l’acheminement de l’aide humanitaire par Bab al Hawa, et de rouvrir les points de passage de Bab al Salam et d’al Yarubiyah »
Ils ont aussi dit que la réouverture du point de passage de Bab al Salam est essentielle pour garantir une distribution de l’aide continue, en temps voulu et à un coût raisonnable. Les travailleurs humanitaires ont dit qu’il est risqué de ne compter que sur Bab al Hawa en raison de sa proximité avec les lignes de front, en cas de reprise des hostilités. De plus, l’acheminement de l’aide prend plus de temps et est plus coûteux parce que Bab al Hawa est éloigné des zones rurales du nord d’Alep qui par le passé recevaient l’aide depuis Bab al Salam.
La Syrie et ses alliés cherchent à enterrer le mécanisme transfrontalier créé par le CSONU en 2014, et demandent que l’aide soit en lieu et place de cela acheminée par Damas, la capitale du pays, via les lignes de front.
Toutes les parties au conflit en Syrie sont tenues au titre du droit international humanitaire de garantir un accès sans restriction à l’aide humanitaire impartiale pour les civils dans le besoin. Le gouvernement syrien doit veiller à ce que les populations civiles dans toutes les régions de la Syrie reçoivent l’aide humanitaire dont elles ont besoin pour survivre.
L’aide de l’ONU irremplaçable
Entre décembre 2019 et mars 2020, les gouvernements syrien et russe ont lancé dans le nord-ouest de la Syrie une violente offensive militaire qui a contraint presque un million de personnes à s’enfuir de chez elles et exacerbé une situation humanitaire déjà catastrophique. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU, 40,7 % des personnes déplacées en 2020 se trouvent à présent en situation d’insécurité alimentaire.
Toute l’aide transfrontalière passe à présent par Bab al Hawa et 50 % de l’aide et des services acheminés par ce seul point de passage sont fournis par l’ONU. Des organisations humanitaires internationales et syriennes ont dit à Amnesty International que l’aide de l’ONU est irremplaçable.
« Les années d’hostilités et de déplacements massifs ont engendré une catastrophe humanitaire dans le nord-ouest de la Syrie. Le seul fait d’envisager de supprimer cette dernière bouée de sauvetage, ce que fait la Russie, est d’une impitoyable cruauté, a déclaré Diana Semaan.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a lancé un avertissement en déclarant le 23 juin que le non-renouvellement de l’autorisation pour le point de passage de Bab al Hawa aurait des « conséquences catastrophiques ».
« Les années d’hostilités et de déplacements massifs ont engendré une catastrophe humanitaire dans le nord-ouest de la Syrie. Le seul fait d’envisager de supprimer cette dernière bouée de sauvetage, ce que fait la Russie, est d’une impitoyable cruauté »
Les travailleurs humanitaires ont expliqué que l’ONU fournit les produits médicaux indispensables et 70 à 80 % de l’aide alimentaire et en eau.
L’ONU a joué un rôle de premier plan concernant la livraison de vaccins dans le nord-ouest de la Syrie, et en avril 2021, la région a reçu un premier lot de 53 800 doses de vaccin contre le Covid-19. Tous les travailleurs humanitaires avec qui Amnesty International s’est entretenue ont confirmé que si la résolution n’est pas renouvelée en juillet, la région ne recevra pas le second lot de vaccins de façon transfrontalière. Même si les vaccins sont acheminés depuis Damas ou depuis la Turquie, sans l’aide technique et logistique de l’ONU, les organisations locales ne seront pas en mesure d’assurer leur stockage et leur distribution.
Un travailleur humanitaire en Turquie a déclaré qu’il est « presque impossible » d’acheter des vaccins anti-Covid-19 à cause de la demande mondiale, ajoutant que sans l’aide de l’ONU, il est impossible de garantir un stockage sûr.
En outre, l’absence de renouvellement de la résolution impliquerait pour les ONG locales la perte du financement par l’ONU de leurs programmes, en particulier dans les domaines de la protection, de l’éducation et de la santé, qui sont aussi essentiels que l’aide vitale.
Un travailleur humanitaire syrien à Idlib a dit à Amnesty International : « Nous sommes financés à 50 % par l’ONU, ce qui signifie que le nombre de personnes que nous aidons sera divisé par deux si la résolution n’est pas reconduite […] Vous imaginez les conséquences ? »
Crise médicale dans le nord-est
Un grand nombre de ces motifs de préoccupation se manifestent déjà dans le nord-est de la Syrie, majoritairement contrôlée par l’Administration autonome, dirigée par les Kurdes. Là, près de 1,8 million de personnes dépendent pour leur survie de l’aide humanitaire. En janvier 2020, le point de passage d’al Yarubiyah a été fermé, ce qui a mis à fin à l’acheminement transfrontalier par l’ONU de l’aide depuis l’Irak.
Les opérations de l’ONU transitant par al Yarubiyah étaient censées être remplacées par des livraisons effectuées depuis Damas, contrôlée par le gouvernement, mais le volume de l’aide, en particulier de l’aide médicale, ayant atteint cette région a fortement diminué, en raison d’entraves administratives et de restrictions en matière d’accès. Les organisations humanitaires ont également perdu l’accès aux programmes de financement par l’ONU, et ont dû se battre pour pouvoir poursuivre leurs opérations.
Plus d’un an après le début de la pandémie, la région continue de souffrir de graves pénuries de matériel pour les tests, d’un financement insuffisant pour les installations liées au Covid-19, et d’avoir des difficultés à obtenir de l’oxygène. Selon des travailleurs humanitaires, au moins neuf établissements de santé fonctionnant avec l’aide d’ONG risquent de fermer. Les ONG ont pu assurer la fourniture continue de médicaments essentiels pour traiter le diabète ainsi que les infections cardiovasculaires et bactériennes, des traitements consécutifs au viol et des kits de santé reproductive – ces produits étaient auparavant fournis de façon transfrontalière par l’OMS et le FNUAP.
« Il est absolument indispensable et urgent que les trois points de passage – Bab al Hawa, al Yarubiyah et Bab al Salam – soient de nouveau autorisés par le Conseil de sécurité pour au moins 12 mois, comme le montre toute évaluation honnête de la situation humanitaire »
Des travailleurs humanitaires ont également indiqué qu’en l’absence de contrôle et de mécanisme de reddition de comptes, il est impossible de savoir si l’aide médicale de l’ONU livrée aux représentants du gouvernement syrien dans le nord-est, est distribuée dans les centres de santé de la région. Les autorités syriennes ont un long historique de détournement de l’aide humanitaire et d’obstruction à cette aide.
« Il est absurde de penser que le gouvernement syrien peut remplacer l’ONU pour la fourniture de l’aide humanitaire. D’une part, il est impossible pour le gouvernement d’égaler l’ampleur de l’aide fournie de façon transfrontalière, et d’autre part, les autorités ont la triste réputation de bloquer systématiquement l’accès à l’aide humanitaire », a déclaré Diana Semaan.
Selon des travailleurs humanitaires, aucune aide humanitaire de l’ONU n’est parvenue aux villes de Kobani et de Menbij depuis la fermeture d’al Yarubiyah, en raison des restrictions imposées par le gouvernement. Ces villes, qui ont une population cumulée d’environ 350 000 habitant·e·s, dépendent à présent principalement de l’aide fournie par des organisations humanitaires internationales et l’Administration autonome, qui ne sont pas en mesure de répondre aux besoins de toutes ces personnes.
Une travailleuse humanitaire à Menbij a dit qu’il leur était impossible de soigner les maladies chroniques comme le cancer, les thalassémies et le diabète, et qu’ils étaient contraints de sélectionner les patients à cause du manque de produits. Elle a ajouté qu’il était encore impossible de savoir si Menbij et Kobani allaient être intégrées dans la campagne de distribution du vaccin contre le Covid-19.
« Il est absolument indispensable et urgent que les trois points de passage – Bab al Hawa, al Yarubiyah et Bab al Salam – soient de nouveau autorisés par le Conseil de sécurité pour au moins 12 mois, comme le montre toute évaluation honnête de la situation humanitaire », a déclaré Diana Semaan.