Syrie, Le Conseil de sécurité de l’ONU doit prolonger le mécanisme d’aide transfrontalière

villages dévastées par le tremblement de terre

Le Conseil de sécurité des Nations unies doit renouveler l’autorisation du mécanisme d’aide transfrontalière de l’ONU avant son expiration le 10 juillet, et ce pendant au moins une année afin de garantir une opération de secours humanitaire durable, a déclaré Amnesty International le 5 juillet 2023. Ce mécanisme est le seul moyen qui permette à l’aide des Nations unies d’être acheminée depuis la Turquie jusqu’au nord-ouest de la Syrie et c’est la « ligne de vie » de quatre millions de personnes qui en dépendent pour avoir accès à la nourriture, à l’eau, au logement et aux services de santé.

Des travailleurs·euses humanitaires ont déclaré à Amnesty International que l’arrêt du mécanisme d’aide transfrontalière de l’ONU aurait un impact dévastateur sur la population civile déjà en butte à de profondes difficultés pour accéder aux services essentiels, situation encore exacerbée par les tremblements de terre qui ont frappé la région au mois de février.

« La politisation cynique par la Russie du mécanisme d’aide transfrontalière a réduit le champ d’action temporel et géographique de la résolution et n’autorise plus que l’utilisation d’un seul passage transfrontalier depuis 2020, ce qui compromet l’acheminement d’une aide vitale à un moment où les récents tremblements de terre ont eu des répercussions catastrophiques sur la population, a déclaré Aya Majzoub, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« l’arrêt du mécanisme d’aide transfrontalière de l’ONU aurait un impact dévastateur sur la population civile déjà en butte à de profondes difficultés pour accéder aux services essentiels »

« Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU doivent rejeter toute politisation de l’aide humanitaire, mettre l’accent sur les besoins essentiels sur le terrain et accélérer le renouvellement du mécanisme pour une période d’au moins une année, afin de s’assurer que l’opération ne soit pas interrompue et que les civil·e·s aient accès à des secours susceptibles de sauver des vies. Si le Conseil de sécurité ne renouvelle pas ce mécanisme avant le 10 juillet, l’Assemblée générale devra réaffirmer la nécessité d’acheminer de l’aide humanitaire à travers la frontière, ce qui est légal [1] même en l’absence de résolution du Conseil de sécurité ou d’approbation du gouvernement syrien. »

Lorsque les groupes armés d’opposition ont pris le contrôle du nord-ouest de la Syrie en 2014, le gouvernement syrien a interrompu la fourniture de tous les services essentiels dans la région. Aussi, au moins quatre millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire pour survivre, dont 2,8 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays vivant principalement sous des tentes sans voir accès aux services de base.

Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU doivent rejeter toute politisation de l’aide humanitaire, mettre l’accent sur les besoins essentiels sur le terrain et accélérer le renouvellement du mécanisme pour une période d’au moins une année

En juin 2023, Amnesty International a interviewé six civil·e·s vivant dans le nord-ouest de la Syrie qui avaient perdu leur maison du fait des tremblements de terre, ainsi que neuf travailleurs·euses humanitaires, dont quatre qui se rendent régulièrement dans la région. Elle a analysé des rapports publiés par des agences humanitaires des Nations unies au sujet de l’opération de secours menée dans le nord-ouest de la Syrie.

« C’est insupportable »

D’après l’ONU [2], les tremblements de terre ont entraîné le déplacement de 265 000 habitant·e·s du nord-ouest de la Syrie et aggravé le calvaire d’une population déjà fragile qui vit dans des camps surpeuplés. Selon les travailleurs·euses humanitaires, face à cette augmentation du nombre de personnes déplacées, il a fallu mettre en place de nouveaux camps, qui ne disposaient pas des services essentiels. En outre, le manque d’abris adéquats et les dommages causés aux infrastructures hydrauliques ont entraîné une recrudescence des maladies transmises par l’eau.

Une veuve a raconté qu’elle avait dû vivre dans une tente avec ses trois enfants après que sa maison s’était effondrée lors des séismes, qui ont également tué sa mère : « Je vivais dans la tente depuis environ deux mois lorsque ma cousine m’a proposé de venir chez elle. Je me sens comme un fardeau : je ne suis pas toute seule, il y a aussi mes trois enfants et je n’ai pas de revenus. Avant les tremblements de terre, mon oncle installé avec sa famille en Turquie nous envoyait de l’argent, mais ils sont tous morts dans les séismes. »

Un homme déplacé du fait des tremblements de terre, actuellement installé sous une tente dans un camp qui accueille environ 200 familles, a déclaré : « Nous manquons de tout, de nourriture, de vêtements, d’électricité, d’abris, d’eau potable, de tout. C’est insupportable de vivre sous tente par cette chaleur. Nous avons reçu de l’aide au cours des deux premiers mois, puis plus rien. »

En 2022, l’ONU a pris des mesures visant à améliorer les conditions de vie dans le camp et a remplacé [3] les tentes de fortune par des abris, ce qui garantit des conditions de vie sûres et dignes. Les travailleurs·euses humanitaires estiment que le mécanisme d’assistance transfrontalière de l’ONU est essentiel pour continuer de fournir des abris dignes car seule l’ONU, et non des organisations humanitaires locales ou internationales, est en mesure d’en procurer.

Six mois, une période totalement insuffisante

« Au moment où nous commençons à mettre en œuvre un projet une fois la phase de planification achevée, le mécanisme transfrontalier est de nouveau soumis à des négociations de renouvellement. »

En janvier 2023, le Conseil de sécurité des Nations unies a prolongé de six mois l’ouverture du poste-frontière de Bab al Hawa, mais les travailleurs·euses humanitaires ont déclaré que, compte tenu de l’ampleur des dégâts, cela n’était même pas suffisant pour évaluer les besoins, les analyser, se coordonner avec les autorités locales, soumettre des propositions, obtenir l’approbation du financement et commencer la mise en œuvre de l’aide. En effet, ils ne se contentent pas d’apporter une aide vitale, ils mènent également des projets qui facilitent l’accès aux services essentiels et améliorent les conditions de vie de la population, en particulier dans les camps – création d’écoles, d’abris dignes, d’infrastructures d’approvisionnement en eau et d’assainissement, mais aussi équipement d’hôpitaux et de centres médicaux.

Une personne employée humanitaire a déclaré à Amnesty International : « Au moment où nous commençons à mettre en œuvre un projet une fois la phase de planification achevée, le mécanisme transfrontalier est de nouveau soumis à des négociations de renouvellement. »

Une autre a expliqué : « La plupart des projets ont besoin de plus de 12 mois. Nous venons de terminer la première phase d’un projet pour lequel nous avons obtenu un financement de l’ONU, ce qui a pris six mois, et désormais nous devons attendre le renouvellement du financement pour la deuxième phase. S’il n’est pas acté, alors le projet s’arrêtera à mi-chemin : quel gaspillage d’efforts et de ressources. »

Pas d’autre solution

Les travailleurs·euses humanitaires soulignent le caractère irremplaçable de l’aide transfrontalière de l’ONU, qui joue un rôle crucial dans la coordination de l’opération d’aide humanitaire et l’approvisionnement en fournitures essentielles. Sans renouvellement, cette opération dans le nord-ouest de la Syrie perdra le financement de l’ONU, y compris pour divers programmes gérés par des organisations d’aide locales et internationales.

Un employé humanitaire a déclaré : « L’[aide] transfrontalière ne se résume pas aux camions qui passent du sud de la Turquie au nord-ouest de la Syrie. Il s’agit de bien plus. Nous réalisons des projets à long terme qui améliorent la vie des gens, tout cela dans le cadre du mécanisme transfrontalier. Aussi le non-renouvellement sonnerait-il le glas d’une aide vitale, mais aussi de ces projets, car nous n’avons pas de système de remplacement. »

Les gouvernements russe et syrien affirment tous deux que l’ONU devrait acheminer uniquement de l’aide transfrontalière, c’est-à-dire de l’aide via Damas vers les zones contrôlées par l’opposition. Toutefois, l’ONU et des organisations locales et internationales affirment que cela ne suffira pas pour atteindre le volume qui peut être acheminé par le biais du mécanisme transfrontalier. Jusqu’à présent en 2023, un seul convoi d’aide transfrontalière [4] a pu se rendre dans le nord-ouest de la Syrie.

Selon l’analyse juridique d’Amnesty International [5], acheminer une aide humanitaire impartiale aux civil·e·s qui en ont un besoin urgent via la frontière syrienne sans l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies ou l’accord du gouvernement syrien est légal en vertu du droit international. En effet, il n’existe pas d’autres solutions et les opérations de secours transfrontalières des Nations unies sont essentielles pour éviter que la population civile ne souffre et ne subisse de graves violations des droits humains dans le nord-ouest de la Syrie.

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