Des proches de patient·e·s atteints du COVID-19, des professionnel·le·s de santé et des travailleurs·euses humanitaires ont déclaré à Amnesty International que les hôpitaux publics se voient contraints de renvoyer des patients du fait du manque de lits et de la pénurie de bouteilles d’oxygène et de respirateurs. En désespoir de cause, certains n’ont d’autre choix que de louer des bouteilles d’oxygène et des respirateurs à des prix exorbitants. Des milliers de vies, dont celles de professionnel·le·s de santé, continuent d’être en danger, en l’absence d’informations transparentes et efficaces et de tests.
« En Syrie, le système de santé ébranlé était déjà au bord de la rupture avant la pandémie. Aujourd’hui, l’absence de transparence du gouvernement quant à l’ampleur de l’épidémie de COVID-19, la distribution insuffisante d’équipements de protection individuelle et la pénurie de tests mettent en grand péril les professionnel·le·s de santé et l’ensemble de la population, a déclaré Diana Semaan, chercheuse sur la Syrie à Amnesty International.
« De toute urgence, le gouvernement syrien doit faire en sorte que les professionnel·le·s de santé qui s’occupent des malades atteints du COVID-19 soient protégés avec des équipements de protection individuelle adéquats et reçoivent une formation sur la manière de les utiliser. Si le gouvernement n’en a pas la capacité, il devrait solliciter l’aide des organisations sanitaires internationales qui travaillent dans les régions qu’il contrôle. »
« En Syrie, le système de santé ébranlé était déjà au bord de la rupture avant la pandémie. Aujourd’hui, l’absence de transparence du gouvernement quant à l’ampleur de l’épidémie de COVID-19, la distribution insuffisante d’équipements de protection individuelle et la pénurie de tests mettent en grand péril les professionnel·le·s de santé et l’ensemble de la population. »
Les autorités syriennes semblent sous-évaluer très fortement le nombre de cas de COVID-19. Le 22 mars, le gouvernement syrien a déclaré le premier cas de COVID-19. Au 10 novembre, le ministère de la Santé a recensé 6 352 cas, dont 325 morts. Le 29 août, Ramesh Rajasingham, sous-secrétaire général par intérim aux affaires humanitaires et coordonnateur adjoint des secours d’urgence, a déclaré au Conseil de sécurité de l’ONU que « les rapports sur les établissements de santé qui se remplissent, ainsi que le nombre croissant d’avis de décès et d’enterrements, tout cela semble indiquer que les cas réels dépassent de loin les chiffres officiels ». Ramesh Rajasingham a ajouté que ces cas ne pouvaient pas être attribués à une source connue, ce qui témoigne de la défaillance des systèmes de tests et de surveillance pour contrôler la propagation de la maladie.
Entre août et octobre, Amnesty International s’est entretenue avec 16 médecins, travailleurs humanitaires et proches de patient·e·s atteints du COVID-19 à Damas et à Deraa en Syrie, ainsi qu’à l’extérieur du pays. Tous les témoignages indiquent que la situation est pire qu’elle ne l’était il y a huit mois.
Le ministère de la Santé ne publie pas d’informations sur l’impact du COVID-19 sur les professionnel·le·s de santé ; les seules informations disponibles sont celles que le ministère adresse à l’ONU. En octobre, au total, 193 professionnel·le·s de santé avaient été testés positifs au COVID-19, mais des éléments laissent à penser que ce nombre pourrait être beaucoup plus élevé du fait du petit nombre de tests réalisés. Onze professionnel·le·s de santé seraient morts du COVID-19, mais selon le syndicat des médecins syriens, au moins 61 professionnel·le·s de santé sont morts de ce virus jusqu’au mois d’août 2020.
Un système de santé à l’agonie
L’épidémie de COVID-19 exacerbe la pression sur le système de santé syrien, très affaibli par près de 10 années de conflit. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 50 % seulement des hôpitaux à travers la Syrie fonctionnent pleinement, 25 % partiellement en raison de la pénurie de personnel, d’équipement, de médicaments ou des dégâts sur les bâtiments, tandis que les 25 % restants sont totalement hors service.
Si l’OMS et des organisations internationales humanitaires basées à Damas affirment avoir approvisionné le gouvernement syrien en équipements de protection individuelle, les travailleurs humanitaires font valoir que leur distribution par les autorités s’est avérée extrêmement lente, pour des raisons inconnues.
D’après des proches de personnes infectées à Damas, les cliniques privées, bien qu’elles dispensent des soins médicaux bien meilleurs que les hôpitaux publics, ont dû refuser des malades atteints du COVID-19, car seuls les hôpitaux publics à Damas sont autorisés à soigner ces patients.
« L’hôpital s’est contenté d’effectuer des tests et de dire à ma famille qu’il avait besoin d’une bouteille d’oxygène. Non sans difficultés, nous avons réussi à en louer une, mais il est mort trois jours plus tard. Ma famille a eu bien du mal à payer pour la bouteille d’oxygène car les prix ont très fortement augmenté, les bouteilles et les respirateurs étant de plus en plus recherchés. »
Un médecin a raconté que lorsque son grand-père a présenté des symptômes du COVID-19 vers la mi-juillet, sa famille l’a emmené dans deux hôpitaux publics à Damas, mais il n’y avait pas de lit disponible. Il est mort deux semaines plus tard. Ce médecin a déclaré :
« L’hôpital s’est contenté d’effectuer des tests et de dire à ma famille qu’il avait besoin d’une bouteille d’oxygène. Non sans difficultés, nous avons réussi à en louer une, mais il est mort trois jours plus tard. Ma famille a eu bien du mal à payer pour la bouteille d’oxygène car les prix ont très fortement augmenté, les bouteilles et les respirateurs étant de plus en plus recherchés. »
Absence de transparence et accès aux tests
Les tests sont la clé pour comprendre l’ampleur de l’épidémie et servir de base à la politique du gouvernement. De même, la publication de données est cruciale pour que la population soit informée et comprenne le niveau de propagation et son impact sur la société et le secteur de la santé. Pourtant, les centres de tests restent très limités en Syrie. Selon l’ONU, cinq laboratoires effectuent les tests de dépistage du COVID-19 pour les 15 millions de personnes vivant dans l’ensemble des régions contrôlées par le gouvernement. Il n’y a toujours pas de centres de tests à Deraa et dans le nord-est de la Syrie, où les taux d’infection ont connu une forte augmentation ces derniers mois.
À Deraa, des habitant·e·s et un médecin ont déclaré que les tests ne sont plus disponibles depuis juin et que lorsqu’ils le sont, il faut attendre jusqu’à une semaine pour avoir les résultats, car tous les tests sont envoyés au Laboratoire central de santé publique à Damas pour y être traités. Dans le nord-est, l’ONU a signalé que le nombre de cas pourrait bien dépasser 4 164, en raison des fortes lacunes au niveau des capacités de dépistage et de test.
Le ministère de la Santé publie un rapport quotidien sur le nombre de cas confirmés, de morts et de guérisons. Toutefois, ces données n’incluent pas le nombre de tests réalisés chaque jour. Des proches de personnes infectées, des travailleurs humanitaires et un médecin à Damas ont déclaré que les tests ne sont disponibles que pour les personnes se rendant à l’étranger.
En août, le ministère de la Santé a annoncé que le gouvernement n’était pas en mesure de réaliser des tests généralisés en raison du « blocus économique injuste imposé au pays, qui a affaibli le secteur de la santé ». Un mois plus tard, il a déclaré qu’il allouerait 300 tests par jour aux personnes se rendant à l’étranger, au prix de 100 dollars (environ 51 000 livres syriennes), alors que le salaire moyen mensuel s’élève environ à 60 000 livres syriennes.
Deux travailleurs humanitaires ont affirmé que la faible capacité du gouvernement en matière de tests est due au manque de cohérence de sa politique face à la pandémie, à l’absence de compréhension de l’importance des tests et aux obstacles bureaucratiques découlant de la centralisation du processus de prise de décisions.
Amnesty International engage le gouvernement syrien à intensifier sa réponse en matière de santé publique en veillant à ce que la population puisse véritablement bénéficier de services de qualité et à ce que les professionnel·le·s de santé aient accès aux équipements de protection nécessaires. En outre, il est essentiel de recueillir et diffuser des informations précises et actualisées sur la propagation du virus afin de lutter efficacement contre l’épidémie de COVID-19.