La torture, les coups de fouet et les exécutions sommaires sont monnaie courante dans les prisons secrètes gérées par l’État islamique en Irak et al Sham (ISIS), un groupe armé qui contrôle de larges zones du nord de la Syrie, écrit Amnesty International dans une synthèse publiée le 19 décembre.
ISIS, qui se targue d’appliquer strictement la charia (loi islamique) dans les zones qu’il contrôle, piétine impitoyablement les droits des habitants locaux.
Dans son document de 18 pages, intitulé Rule of fear : ISIS abuses in detention in northern Syria (voir document ci-dessous), Amnesty International identifie sept centres de détention qu’ISIS utilise dans le gouvernorat d’al Raqqa et à Alep.
« Parmi les personnes enlevées et détenues par ISIS figurent également des enfants de seulement huit ans, emprisonnés avec des adultes dans les mêmes conditions cruelles et inhumaines », a indiqué Philip Luther, directeur du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.
Des anciens détenus décrivent une longue liste choquante d’atteintes aux droits humains ; eux-mêmes ou d’autres ont été fouettés à l’aide de courroies de générateurs ou de câbles en caoutchouc, torturés par administration de décharges électriques ou contraints d’adopter une position douloureuse connue sous le nom d’aqrab (scorpion), qui consiste à attacher les poignets d’un détenu au-dessus de son épaule.
Certaines personnes détenues aux mains d’ISIS sont soupçonnées de vol ou d’autres crimes, d’autres sont accusées de « crimes » contre l’islam, par exemple d’avoir fumé des cigarettes, de zina ou de sexe en dehors du mariage. D’autres encore ont été arrêtées pour avoir remis en cause la règle d’ISIS ou parce qu’elles appartenaient à des groupes armés rivaux opposés au gouvernement syrien. ISIS est également soupçonné d’avoir enlevé et détenu des ressortissants étrangers, notamment des journalistes couvrant le conflit en Syrie.
Plusieurs mineurs comptaient parmi des détenus qui ont été lourdement flagellés, selon des témoignages obtenus par Amnesty International. Un jour, un père dévasté a dû endurer les cris de douleur de son fils, que les ravisseurs d’ISIS tourmentaient dans une pièce à côté. Deux détenus ont raconté qu’ils avaient vu un adolescent d’environ 14 ans recevoir plus de 90 coups de fouet durant un interrogatoire à Sadd al Baath, une prison qu’ISIS gère dans le gouvernorat d’al Raqqa. Un autre adolescent de 14 ans qu’ISIS accusait d’avoir volé une moto a été fouetté à répétition pendant plusieurs jours.
« Fouetter quelqu’un, et qui plus est un mineur, est cruel et inhumain, et constitue une violation flagrante des droits humains, a indiqué Philip Luther. ISIS doit cesser de recourir à la flagellation et aux sanctions cruelles. »
ISIS doit mettre fin au traitement affligeant infligé aux détenus et les dirigeants du groupe doivent donner pour instructions à leurs troupes de respecter les droits humains et d’appliquer le droit international relatif au droit humanitaire.
Plusieurs anciens détenus ont raconté à Amnesty International qu’ils avaient été arrêtés par des hommes armés et masqués qui les avaient conduits dans des lieux tenus secrets, où ils ont été retenus parfois pendant 55 jours.
Certains n’ont jamais appris où ils se trouvaient ; Amnesty International a identifié des pisons d’ISIS à sept endroits : Mabna al Mohafaza, Idarat al Markabat et al Merab, dans la ville d’al Raqqa ; Sadd al Baath et l’installation pétrolière d’al Akershi, situées ailleurs dans le gouvernorat d’al Raqqa, et Mashfa al Atfal et Maqar Ahmed Qaddour à Alep.
La prison de Sadd al Baath se trouve près d’un barrage sur le fleuve Euphrate à Mansoura, où le juge du tribunal islamique local, qui apparaissait toujours arborant une ceinture d’explosifs, a institué le règne de la terreur parmi les détenus.
D’anciens détenus l’accusent d’avoir présidé des « procès » grotesquement iniques qui ne duraient pas plus de quelques minutes, sous les yeux d’autres détenus, et d’avoir prononcé des condamnations à mort par la suite mises en application. Sur ses ordres, des détenus ont été impitoyablement fouettés ; en une occasion au moins, il se serait personnellement joint à la flagellation.
Sur le site pétrolier d’al Akershi, qu’ISIS semble utiliser comme terrain d’entraînement militaire, les prisonniers ont été soumis à la méthode de torture de l’aqrab, selon les témoignages de deux hommes qui y ont été retenus ces derniers mois. L’un d’entre eux a passé 40 jours à l’isolement ; il était parfois enchaîné dans une pièce minuscule remplie d’équipement électrique, avec de l’essence sur le sol.
« Après des années passées à subir la brutalité du régime de Bachar el Assad, la population d’al Raqqa et d’Alep souffre aujourd’hui d’une nouvelle forme de tyrannie que lui impose l’ISIS, caractérisée par la détention arbitraire, la torture et les exécutions », a indiqué Philip Luther.
Amnesty International demande à la communauté internationale de prendre des mesures concrètes pour bloquer le flux d’armes et tout autre soutien à ISIS et à tous les groupes armés impliqués dans des crimes de guerre et d’autres graves atteintes aux droits humains.
« Le gouvernement turc, en particulier, doit empêcher qu’ ISIS n’utilise son territoire pour importer des armes et des recrues en Syrie, a expliqué Philip Luther.
« Aussi, les États du Golfe qui ont exprimé leur soutien aux groupes armés luttant contre le gouvernement syrien doivent agir afin d’empêcher les arrivées d’armes, d’équipements et d’autres fournitures destinés à ISIS au regard de son déplorable bilan en termes de droits humains. »
Enfin, Amnesty International invite une nouvelle fois le gouvernement syrien à autoriser la Commission d’enquête internationale indépendante et les organisations internationales de défense des droits humains et du droit humanitaire à se rendre librement en Syrie, et à mettre un terme aux violations des droits humains et du droit international, notamment au recours à la torture dans ses propres centres de détention.