Oumaral Kouvatov, fondateur d’un mouvement de l’opposition tadjike, a été abattu à Istanbul dans la soirée du 5 mars, et ses partenaires risquent eux aussi d’être la cible d’attaques, a déclaré Amnesty International jeudi 6 mars 2015.
Oumaral Kouvatov et sa famille avaient déclaré à Amnesty International qu’il avait reçu des menaces et des informations de sympathisants selon lesquelles l’« ordre » avait été donné de leur nuire, semble-t-il depuis les plus hautes sphères du pouvoir tadjik.
« L’assassinat d’Oumaral Kouvatov adresse un message extrême aux dissidents politiques tadjiks, au pays comme à l’étranger. Les autorités turques doivent mener dans les meilleurs délais une enquête impartiale et efficace sur ce meurtre, révéler toute la vérité et traduire les auteurs présumés de ce crime en justice », a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.
« Depuis quelques années, nous recevons des informations faisant état de menaces de mort et de tentatives d’assassinat visant des dissidents tadjiks établis à l’étranger, mais il s’agit du premier assassinat d’un opposant tadjik. Ce qui pose une question immédiate : combien d’autres sont menacés ? »
Ces dernières années, d’autres personnalités en vue fuyant des persécutions ont été tuées en Turquie, semble-t-il par des agents opérant à l’étranger. C’est notamment le cas d’anciens insurgés tchétchènes et d’un imam originaire d’Ouzbékistan qui critiquait le gouvernement ouzbèk.
« Les autorités turques doivent garantir la sécurité des personnes qui fuient les persécutions, qu’elles viennent du Tadjikistan ou d’ailleurs », a déclaré Denis Krivosheev.
« Il y a aussi des réfugiés tadjiks dans d’autres pays, notamment en Russie, où les dissidents politiques et religieux sont exposés au risque d’être enlevés et renvoyés de force au Tadjikistan. »
La situation des droits humains au Tadjikistan s’est encore dégradée ces derniers mois, les droits à la liberté d’expression et d’association étant la cible d’attaques, particulièrement à l’approche des élections parlementaires qui se sont déroulées le 1er mars. L’espace dédié à la dissidence notamment politique s’est considérablement réduit.
Oumaral Kouvatov, ainsi que d’autres hommes d’affaires, opposants et militants tadjiks, était l’un des fondateurs du Groupe 24, qui dénonce publiquement la corruption généralisée de la présidence d’Emomali Rakhmon. Au Tadjikistan, il était inculpé de « crimes économiques » et d’« extrémisme », des charges semble-t-il à caractère politique.
En octobre 2014, La Cour suprême tadjike a qualifié le Groupe 24 d’organisation « extrémiste » et interdit toutes ses activités au Tadjikistan. Les autorités ont également déclaré que plusieurs membres présumés du Groupe 24 avaient été ajoutés à une liste de personnes internationalement recherchées pour « tentative de renversement du gouvernement » et « extrémisme ».
Renvois forcés au Tadjikistan
Des dissidents politiques tadjiks et des personnes accusées d’« extrémisme » religieux ont également été enlevés et expulsés de plusieurs anciennes républiques de l’Union soviétique.
Amnesty International a recensé de nombreux cas où les services de sécurité en Russie et dans les républiques d’Asie centrale coopèrent afin d’enlever, de faire « disparaître », de transférer illégalement, d’emprisonner et de torturer des personnes recherchées pour des motifs religieux, politiques et économiques. La fréquence de ces violations des droits humains s’apparente à un programme de « restitutions » à l’échelle de la région.
C’est le cas par exemple de Maksoud Ibraguimov, chef du mouvement politique Youth for Tajikistan Revival, qui a été détenu brièvement par la police russe en octobre 2014, après avoir été inscrit sur la liste des personnes recherchées au Tadjikistan. Il a été libéré le jour même sur ordre du bureau du procureur, au motif qu’un citoyen russe ne peut pas être remis à un autre État. En novembre 2014, deux assaillants non identifiés l’ont poignardé et lui ont tiré dessus à Moscou, mais il s’en est sorti.
Selon la famille de Maksoud Ibraguimov, le 20 janvier 2015, cinq hommes qui s’étaient présentés comme des agents du Service fédéral des migrations sont venus le chercher à son appartement de Moscou et l’ont emmené vers un lieu inconnu. Le 30 janvier, des membres du bureau du procureur général du Tadjikistan ont déclaré aux médias que Maksoud Ibraguimov se trouvait en détention provisoire à Douchanbé, la capitale du pays, pour « extrémisme ». Sa famille à Moscou avait été informée que sa nationalité russe avait été révoquée.
« Les cas d’Oumaral Kouvatov et de Maksoud Ibraguimov s’ajoutent à la liste croissante des opposants tadjiks qui sont victimes de violences et de harcèlement, ou sont parfois supprimés, alors qu’ils se sont réfugiés à l’étranger. Il convient de faire cesser ces agissements et de traduire en justice les responsables présumés de ces violences à caractère politique », a déclaré Denis Krivosheev.