Communiqué de presse

Tadjikistan. Le président doit examiner de toute urgence les nombreux cas de tortures

Vendredi 5 octobre 2012, le président du Tadjikistan, Emomali Rakhmon, fête son 60e anniversaire et le pays célèbre la Journée de la langue nationale. Des festivités devraient être organisées par des organismes gouvernementaux et diverses associations dans tout le pays.

Amnesty International saisit cette occasion pour attirer de nouveau l’attention sur le calvaire enduré par de nombreuses victimes d’actes de torture, rappelant que certaines d’entre elles n’étaient plus en vie pour fêter leur 30e anniversaire ou l’ont fêté derrière les barreaux, ayant été emprisonnées à l’issue de procès iniques. Malheureusement, les responsables tadjikes n’accordent pas la même considération aux allégations de torture pourtant crédibles formulées par ces victimes qu’aux célébrations de l’anniversaire du président ou de la Journée de la langue nationale.

Amnesty International a réuni de nombreuses informations tangibles sur le cas de dizaines de personnes ayant subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements alors qu’elles se trouvaient aux mains de représentants de l’État ; les épreuves qu’elles ont endurées ont profondément affecté leur existence et celle de leurs proches. Certaines d’entre elles sont mortes des suites de ces sévices, et leurs familles attendent toujours que la vérité soit rendue publique et que les responsables présumés de ces agissements soient déférés à la justice. D’autres ont été emprisonnées au terme de procès iniques, dont le verdict reposait sur des « aveux » extorqués sous la torture. D’autres encore ont été victimes d’actes d’intimidation et de harcèlement et réduites au silence par des représentants de l’État pour avoir dénoncé les mauvais traitements qu’elles-mêmes ou leurs proches avaient subis aux mains de la police.

D’après les recherches menées par Amnesty International, des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements sont fréquemment infligés dans les lieux de détention provisoire au Tadjikistan. Récemment, les autorités tadjikes ont mis en place des mesures visant à lutter contre ces pratiques. Le 12 septembre 2012, un policier a ainsi été condamné à une peine de sept ans d’emprisonnement pour avoir torturé un jeune homme de 17 ans. Il s’agit de la première fois qu’un représentant de l’État est reconnu coupable et condamné au titre du nouvel article du Code pénal adopté en mars 2012, qui érige la torture en infraction pénale.

Toutefois, malgré ces premiers signes positifs, Amnesty International a reçu de nouvelles informations selon lesquelles des actes de torture et d’autres mauvais traitements ont été infligés dans des centres de détention, tandis que les auteurs présumés de ces agissements continuent de bénéficier de l’impunité. Dans les régions concernées, les méthodes employées par la police, le parquet et les juges ne semblent pas avoir évolué, et les lacunes qui subsistent tant dans la législation que dans la pratique font obstacle aux droits des détenus et à la mise en place de garanties essentielles pour empêcher la torture. Amnesty International est également préoccupée par le fait que des enquêtes approfondies et impartiales n’ont pas été menées sur tous les autres cas d’allégations de torture. De plus, peu de progrès ont été accomplis pour que les cas de morts en détention fassent l’objet de réelles investigations, notamment ceux de Bahromiddine Chodïev, Khourched Bobokalonov, Safarali Sangov et Ismonboï Boboïev. Amnesty International s’inquiète qu’en dépit des nombreuses allégations de torture, peu de condamnations aient été prononcées et que des amnisties aient souvent été accordées dans des affaires où des représentants de l’État étaient accusés d’avoir commis de tels actes.

L’organisation est particulièrement préoccupée par des informations récentes selon lesquelles dans l’affaire de Safarali Sangov, les policiers qui avaient été condamnés pour « abus de pouvoir » et « négligence » ont par la suite été amnistiés. L’octroi d’amnisties dans ce genre d’affaires pourrait renforcer le climat d’impunité qui règne dans le pays. D’après ces informations, le parquet a prononcé les amnisties au cours de l’été 2012 sans en informer l’avocate chargée de l’affaire, avec qui il était pourtant régulièrement en contact concernant les procédures d’appel relatives à l’enquête en cours. La veuve de Safarali Sangov n’a été que récemment mise au courant de la décision, alors qu’elle s’était entretenue fin août avec l’enquêteur chargé de l’affaire, à propos des causes de la mort de son époux. Des rumeurs circulent selon lesquelles ces amnisties auraient été accordées en raison des relations existant entre l’un des policiers et le président. Certains observateurs craignent que la décision du parquet n’ait été passée sous silence pour empêcher l’avocat de la défense de faire appel.

Le Comité des Nations unies contre la torture a spécifiquement recommandé au Tadjikistan de prendre « des mesures pour garantir que les détenus aient accès dans le plus court délai à un avocat, à un médecin et aux membres de leur famille dès qu’ils sont mis en garde à vue ». Mais dans la pratique, les avocats ne peuvent s’entretenir que très tardivement avec leurs clients. Les détenus n’ont que rarement, voire jamais, la possibilité d’informer leurs proches de leur arrestation et de leur lieu de détention dans les 12 heures qui suivent leur interpellation. Les personnes conduites à un poste de police ou dans des locaux de garde à vue (IVS) ne sont pas systématiquement examinées par un médecin, et lorsqu’il existe des raisons de penser qu’un détenu a été soumis à des mauvais traitements, celui-ci n’est pas immédiatement examiné par un médecin qui soit en mesure d’établir un rapport fiable, sans craindre d’actes d’ingérence ou de représailles. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a déclaré que « les prévenus ne devraient être placés dans des centres de détention relevant de la responsabilité des fonctionnaires chargés de les interroger ou d’enquêter à leur sujet que dans l’attente de l’établissement d’un mandat de détention provisoire dont la durée a été fixée par la loi à 48 heures maximum. » Mais au Tadjikistan, les détenus sont parfois transférés de garde à vue vers des centres de détention provisoire (SIZO) après des durées largement supérieures à 72 heures.

Au vu de tous les éléments ci-dessus, Amnesty International engage le président du Tadjikistan à saisir l’occasion de son anniversaire pour permettre aux dizaines de victimes de torture et de mauvais traitements, ainsi qu’à leurs proches, d’accéder à la justice. En particulier, l’organisation demande au président de prendre les mesures suivantes :

• condamner publiquement et sans réserve le recours à la torture et aux autres formes de mauvais traitements ;

• s’engager à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

• faire adopter des modifications législatives visant à garantir que toute personne privée de liberté soit immédiatement informée de ses droits (notamment ceux de prévenir un tiers, d’être assistée par un avocat et de garder le silence), et que ces droits soient respectés dans les faits ;

• veiller à ce que les allégations de torture et de mauvais traitements fassent rapidement l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales, conduites par un organisme autonome à même de consulter des experts médicaux indépendants ; les affaires concernant les personnes suivantes doivent notamment faire l’objet d’une enquête minutieuse et impartiale : Ilkhom Ismanov et ses coaccusés, Asad Choukouraliev, Akhmad Sadïev, Bahromiddine Chodïev, Khourched Bobokalonov, Ismonboï Boboïev, Charif Abdourahimzoda, Masoleh Solïev, Farhod Dadoboïev, Nassim Salimzoda, Mouhammadcharif Oumarov, Ravchan Khollov, Iosïn Safarov et Ourounboï Ousmonov ;

• garantir que toutes les personnes actuellement incarcérées à la suite d’un procès inique puissent être rejugées ou bénéficier de nouvelles procédures équitables, notamment Ilkhom Ismanov et ses 52 coaccusés, les habitants du village de Khojai-Alo Farhod Dadoboïev, Nassim Salimzoda, Mouhammadcharif Oumarov, Ravchan Khollov, et Iosïn Safarov, ainsi que les témoins à charge Charif Abdourahimzoda et Masoleh Solïev ;

• faire en sorte que Charif Abdourahimzoda, Kosim Karimzoda, Masoleh Solïev et toutes les autres personnes qui ont dénoncé les actes de torture et autres mauvais traitements qu’elles ont subis, notamment les plaignants et les témoins, soient protégés des manœuvres d’intimidation et des représailles ;

• garantir que les personnes accusées d’avoir commis des actes de torture ou d’autres mauvais traitements soient jugées de façon équitable et, lorsqu’elles sont reconnues coupables, qu’elles soient sanctionnées par une peine proportionnelle à la gravité de leurs actes.

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